Chine : L’action culturelle française à l’offensive
Beaubourg à Shanghai
Après avoir réalisé le plus vaste réseau de trains à grande vitesse au monde en l’espace d’une décennie, le régime chinois construit des équipements culturels à tour de bras. La Chine comptait 4873 musées en 2016, contre 1216 en France. Et ces nouveaux espaces sont à nourrir. Ils constituent donc un potentiel de développement important pour l’offre française d’expositions.
Les partenariats se multiplient. L’inauguration du festival Croisements fin avril se déroulera à la Power Station of Art à Shanghai, avec la première rétrospective de Christian Boltanski. Un lieu choisi également par la Fondation Cartier pour l’art contemporain pour son exposition « A Beautiful Elsewhere ». L’évènement doit rassembler 300 œuvres exceptionnelles sur 3000 m2.
Le Centre Pompidou a de son côté signé un accord de cinq ans avec le Shanghai West Bund Development Group. La convention a été officialisée en janvier dernier par Emmanuel Macron lors de sa visite en Chine. Cette « diplomatie des musée » considérée comme un atout par la France, permettra au Centre national français d’art et de culture de mettre en valeur une partie de ses œuvres dans un nouveau bâtiment de 25 000 m2.
Parallèlement, un accord cadre a été signé visant à créer une branche de l’Institut Georges Pompidou dans le futur quartier artistique international de Datong. Le président Georges Pompidou s’était rendu en voyage officiel dans l’ex-cité impériale à l’ouest de Pékin, alors que la Chine n’en avait pas encore terminé avec la Révolution culturelle. Ce geste de reconnaissance de la France n’a pas été oublié côté chinois. Il ne s’agit encore que d’un projet. Si ce dernier va jusqu’au bout, une « Maison Georges Pompidou », pourrait accueillir à Datong des chercheurs ou de jeunes artistes français, titulaires de bourses.
Francophonie sur messageries
« J’ai eu cette sensation de confiance dans l’avenir, d’un mouvement qui nous porte et non pas de quelque chose que l’on tire comme un patrimoine. »
Ruissellement version capitalisme rouge
« Pour les Chinois, l’attractivité de la France ce n’est pas le shopping, mais la culture ! »
Ah ! Le petit vin rouge
« C’est très désorganisé, mais l’énergie et la motivation sont toujours au rendez-vous. Et à la fin, le résultat est nickel ! »

Droits d’auteur, j’oublie tout !
« Le répertoire Sacem a généré 5 500 euros de droits pour toute la Chine en 2016. »
Théâtres de la soie
La Chine est demandeuse d’échanges internationaux. Elle est aussi en quête d’expertise en matière d’ingénierie culturelle. C’est le sens de la convention engagée en 2016 entre l’Association française des scènes nationales et le China Arts and Entertainement Group (CAEG). 70 scènes nationales côté français, 48 théâtres côté chinois.
L’union fait la force. L’association des scènes nationales françaises constitue la plus grande fédération de théâtres publics en Europe. Se regrouper en réseau, jouer collectif, permet à ses membres de présenter leurs productions en Chine. Entre octobre et novembre 2017, le Wanderer Septet d’Yves Rousseau a ainsi pu tourner dans cinq villes chinoises. Ce spectacle revisité entre jazz et musique classique a été amené par le Théâtre 71 de Malakoff. La deuxième tournée aura lieu fin mai et début juin prochains avec un spectacle d’ombromanie de Philippe Beau et la Comète de Châlons-en-Champagne.
Côté chinois, il s’agit non seulement de créer du lien avec les pays amis, mais aussi de vendre le projet du président Xi Jinping autour des « Nouvelles routes de la soie ». L’Association française des scènes nationales est ainsi devenue membre de la « Ligue internationale des théâtres de la route de la soie ». « C’est un terme générique, mais cette route de la soie s’autorise quelques détours, s’amuse Fabienne Loir, secrétaire générale de l’Association des scènes nationales. C’est la route de la soie au sens très large, le principe étant de signer des partenariats et des conventions avec différents pays afin de développer des relations autour de la création, mais aussi en matière de formation. Cela, sachant qu’il existe du côté des professionnels chinois une forte interrogation sur les politiques publiques en matière de spectacles vivants en France. »
L’étape suivante pour 2018 et 2019 sera donc de mettre en place des échanges plus fournis concernant les formations. « Ils ont des lieux extraordinaires, poursuit Fabienne Loir. Ils font pousser en quelques mois des théâtres qui font 1500 places. » Reste maintenant à les remplir ! Les musées flambants neufs sont à la recherche d’œuvres pour garnir leurs salles d’expositions tandis que les nouvelles scènes chinoises cherchent leur public. Si les comédies musicales anglo-saxonnes y parviennent sans peine, c’est une autre histoire quand il s’agit d’amener des textes ou une valeur ajoutée. Les théâtres français vont chercher leurs spectateurs par la main : « Les Chinois sont dans une approche uniquement diffusion et ils se rendent bien compte qu’en France, il y a un travail sous-terrain de médiation, de sensibilisation et d’éducation artistique. »
Schubert en tournée
« Je dirige une scène nationale à Châlons-en-Champagne. Châlons n’est pas connue en Chine, mais champagne en revanche… c’est miraculeux ! »
Trois questions à Robert Lacombe
Il dirige le plus important réseau de coopération culturelle français dans le monde. Chaque année, le conseiller culturel de l’ambassade de France à Pékin et l’action culturelle en Chine pilotent et soutiennent près de 600 événements, dont trois festivals dans une trentaine de villes. Le soft power français en Chine, ce sont plus de 500 personnes qui travaillent au service de la diplomatie d’influence. Et pour faire swinguer l’orchestre : pas moins de 4,5 millions d’euros sont investis chaque année dans les arts, l’audiovisuel, le livre, l’environnement, le patrimoine, les sciences.

Médiathèque : on ferme à Séoul ?
La francophonie en fête en Chine, la francophonie inquiète en Corée du Sud. Selon une pétition lancée par des usagers de la médiathèque française de Séoul, l’avenir de cette dernière ferait « l’objet de discussions au sein des services culturels de l’ambassade de France. » Les choses seraient même bien avancées. Selon une source diplomatique citée par ActuaLitté, la médiathèque de l’Institut français devrait fermer ses portes par « manque de fréquentation. » Une partie des fonds devant être transférée à l’Alliance française de Daejon, à plus de 150 kilomètres au sud de la capitale sud-coréenne.
Politique « hors les murs »
Cette décision serait liée notamment à des réductions budgétaires. Les usagers frondeurs rapportent des propos tenus lors d’une réunion d’information : « Une politique globale hors les murs menée par le ministère des Affaires étrangères, serait mise en place pour tous les Instituts français à échéance de dix ans, visant la disparition des médiathèques moyennes. » Les auteurs du compte-rendu publié sur Change.org critiquent d’abord la manière : « Cette décision a été prise en catimini, on éteint les lumières et on laisse mourir le lieu, se désole Marie-Cécile Armand, inscrite à la médiathèque depuis deux ans et demi. » Ensuite le fond : « On nous fait un foin pas possible avec la francophonie, constate cette expatriée à l’initiative de la pétition. Le chef de l’État a promis de défendre le français partout dans le monde. Or la francophonie sans médiathèque, c’est du vent, ce n’est pas une francophonie de terrain. »
Les évolutions du terrain, l’air du temps et la numérisation accélérée de l’économie coréenne, c’est justement ce qui pousserait à la disparition de la médiathèque, selon l’avocat du diable. La Corée, pays parmi les plus connectés au monde, pourrait se contenter de consultations virtuelles, ce qui expliquerait une fréquentation jugée trop faible, de l’ordre de 500 à 600 adhérents. Un argument que renverse le professeur Jimmyn Parc sur le site de l’ECIPE : « Si la médiathèque de Séoul n’est pas assez fréquentée, explique cet intervenant à Sciences Po, c’est peut-être parce que l’Institut Français n’a pas été capable de percevoir les demandes alimentées par la puissante vague numérique et d’y répondre. La question n’est pas celle de la localisation de la Médiathèque, mais celle du contenu de son offre .(…) En clair, la Corée est le meilleur endroit au monde pour chercher une bonne manière de diffuser la culture française dans l’ère numérique. »
Crêpes et convivialité
La diplomatie d’influence de la France peut-elle se passer d’une proposition de livres, de CD et de DVD français en Corée ? Probablement, mais peut-elle se passer d’un lieu d’échanges entre Coréens et Français ? « En tant qu’enseignante de français, j’envoyais mes étudiants à la médiathèque, raconte Ida Daussy. J’y allais aussi le samedi avec mes enfants, poursuit la Française la plus célèbre de Corée. On mangeait des crêpes, il y avait des assiettes de pâté, on empruntait des livres et on allait pêcher des disques et des films que l’on consultait en famille. » « Il va y avoir de gros travaux dans l’ambassade de France à partir de mai prochain, relève de son côté Marie-Cécile Armand. Ils veulent probablement récupérer la médiathèque pour y mettre une partie du personnel. On sacrifie un lieu de partage avec la communauté coréenne pour des raisons purement logistiques. »
Cette disparition, si elle est confirmée, marquerait en tous cas la fin d’un symbole de la culture française à Séoul. La Médiathèque de l’Institut Français a probablement perdu une partie de ses habitués en déménageant une première fois au début des années 2000. Celles et ceux qui ont connu la capitale sud-coréenne avant cette date se souviennent de l’ancienne adresse près du Palais Gyeongbok, au nord de Séoul. A l’époque, le cinéma sud-coréen appelait la France à la rescousse dans sa lutte contre le rouleau compresseur d’Hollywood. La Médiathèque était alors un lieu de liberté, de débats et d’ébats. Les amoureux venaient regarder des films. On pouvait parler de tout.
Natalité en déclin
« Carrefour de l’information et de la culture, dont elle se veut l’expression vivante, la médiathèque-centre d’information est le lieu privilégié de la diversité culturelle en dialogue et du débat d’idées écrira quelques années plus tard, Marc Sagaert, alors chargé de mission auprès de la Direction générale de la coopération internationale et du développement au ministère des Affaires étrangères. L’époque a changé. Les usages ont évolué. Ce qui était « le plus grand réseau de médiathèques à l’étranger » doit s’adapter. Faut-il pour autant qu’il disparaisse ? Dans le contexte coréen, certains craignent que cela ne fragilise un peu plus la diffusion du français dans cette partie du monde. « Face à la natalité coréenne déclinante, les maternelles ont fermé en masse, les écoles primaires, les collèges et les lycées se restructurent s’inquiète Ida Daussy. En province, de nombreux départements de français à l’Université ont disparu faute d’apprenants. Et maintenant le gouvernement n’y croit plus, puisqu’on ferme la médiathèque. »
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