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Birmanie : un nouveau président, pourquoi faire ?

Pour remplacer le président démissionnaire, U Thin Kyaw (au centre), la Conseillère d'État et de facto Première ministre birmane Aung San Suu Kyi (à droite) aurait choisi U Win Myint (à gauche), président de l'Assemblée nationale. (Source : The Nation )
Pour remplacer le président démissionnaire, U Thin Kyaw (au centre), la Conseillère d'État et de facto Première ministre birmane Aung San Suu Kyi (à droite) aurait choisi U Win Myint (à gauche), président de l'Assemblée nationale. (Source : The Nation )
Ce mercredi 28 mars, la Birmanie aura un nouveau président. Le précédent, U Htin Kyaw, a démissionné le 21 mars dernier. Le fidèle d’Aung San Suu Kyi devrait laisser la place à un autre allié proche de la « Dame de Rangoun ». A la différence qu’il pourrait être à la fois moins transparent et moins soumis. Ce qui ne serait pas du luxe pour celle qui est de facto Première ministre, tant elle semble éreintée après deux années de pouvoir.
Au printemps 2008, il y a tout juste une décennie, un cataclysme majeur s’abattait sur l’ouest de la Birmanie, dans la région du delta de l’Irrawaddy. Le violent cyclone Nargis emportait dans son déferlement de violence plus de 180 000 vies, semant la destruction et le chaos dans ce périmètre régional déjà guère choyé par les autorités (martiales) de l’époque.
*La Constitution de 2008 a été rédigée pour maintenir les généraux, malgré la transition démocratique, dans l’épicentre du pouvoir politique, laissant un gouvernement civil démocratiquement élu s’occuper de la gestion quotidienne des affaires nationales.
Au printemps 2018, dix ans plus tard, alors que les hommes en uniforme ont officiellement opéré un léger retrait* de la vie politique, l’événement marquant de cet entame printanière n’a rien de violent ni de traumatisant. Le 21 mars, le chef de l’État en exercice, le fort discret U Htin Kyaw, en poste depuis moins de deux ans, annonçait sa démission avec effet immédiat, justifiant son départ sans préavis par des raisons associant son état de santé, son envie de se projeter hors de la scène politique, et son état civil – 72 ans en juillet prochain.
*Quand bien même son parti raflait près de 80% des suffrages lors des élections générales de l’automne 2015. **Lequel interdit à tout citoyen birman de briguer la présidence s’il a un conjoint ou des enfants de nationalité étrangère. Aung San Suu Kyi est veuve d’un universitaire britannique et ses deux fils sont de nationalité anglaise.
Cette démission en catimini ne constitue pas un cataclysme en soi. Depuis son entrée en fonction en avril 2016, ce compagnon de route d’Aung San Suu Kyi nourrissait des appétences politiques personnelles minimales et une fidélité optimale aux idées et projet de « The Lady ». Il concevait ses fonctions présidentielles sur un mode restreint, strictement protocolaire, non politique. Un script convenant en tous points à La Dame… Privée* par certaines dispositions de la Constitution (art 59 f**) de la possibilité d’exercer la fonction présidentielle, Aung San Suu Kyi avait annoncé qu’elle passerait outre ces écueils textuels chers aux généraux et s’accommoderait quoi qu’il en soit de ces contingences. Notamment en nommant à la présidence une personne de confiance dénuée de toute ambition, et en exerçant l’autorité depuis les portefeuilles combinés de Conseillère d’État (une création administrative sur mesure pour ASSK) et de ministre des Affaires étrangères.
*Aung San Suu Kyi aura 73 ans en juin. En Birmanie, la longévité à la naissance est de 68 ans. **Sept mois après l’attaque coordonnée d’une trentaine de postes de police et d’une base de l’armée puis d’une vaste opération contre-insurrectionnelle engagée par les forces régulières en Arakan, près de 700 000 Rohingyas demeurent réfugiés dans des camps de fortune au Bangladesh (région de Cox’s Bazar). Signé en janvier par la Birmanie et le Bangladesh, l’accord de rapatriement bloque pour des raisons techniques et politiques birmanes (armée, populations arakanaises, opinion publique).
Cette formule présentait jusqu’alors quelque avantage pour la Dame et son projet politique, mais également un certain nombre de limites : au premier rang desquelles une hyperconcentration du processus de décision (hors domaines – et ils sont nombreux… – relevant du ressort exclusif de l’armée) dans les mains d’Aung San Suu Kyi, dont on ne présente plus les tendances marquées au « micromanagement ». Cette trame de gouvernance s’est révélée éprouvante intellectuellement mais également physiquement pour celle qui est déjà septuagénaire*. Par ailleurs, la « Dame de Rangoun » se trouve offerte depuis l’été dernier aux assauts répétés d’une communauté internationale ulcérée par sa « discrétion » sur la question de l’Arakan et du sort des Rohingyas** réfugiés au Bangladesh. Elle lui retire progressivement tout crédit. De l’ONU aux capitales occidentales en passant par le monde musulman ou diverses personnalités internationales emblématiques, cela varie de la critique sévère à l’appel à rendre ses titres honorifiques.
*Selon la Constitution birmane, le chef de l’État est désigné par le Parlement, lequel vote à partir de trois candidats. Les deux perdants de ce scrutin deviennent respectivement vice-présidents n°1 et 2. **Telle que la participation au soulèvement populaire du 08 août 1988. Cet engagement lui valut notamment de séjourner plusieurs années dans les geôles de la junte militaire… ***Participation aux scrutins de 1990, 2012 (élection partielle) et 2015 ; obtint un siège à chaque fois.
Ce mercredi 28 mars, le Parlement birman devrait désigner* le successeur d’U Htin Kyaw à la tête de l’État : il s’agit du président démissionnaire de l’Assemblée nationale, U Win Myint, une des rares personnalités séniores de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) à qui ASSK avait confié des responsabilités politiques nationales voilà deux ans… Le futur chef de l’État jouit d’un crédit certain dans la LND, de par ses trois décennies d’engagement politique au profit de la démocratie**, de ses mandats de parlementaire***, de sa relative modestie et discrétion (deux points forts pour qui entend œuvrer sur le long terme près de La Dame…), enfin, pour son bilan au perchoir de l’Assemblée nationale, où il fit montre d’un savoir-faire et d’une autorité manifestes, notamment lors de ses échanges avec les hommes en uniformes, qui occupent hors de tous scrutins un quart des sièges dans l’hémicycle.
Les observateurs de la scène politique birmane pointent du doigt quelques différences majeures entre le 9ème et le 10ème président birman. Si U Htin Kyaw acceptait sans sourciller et pour plaire à ASSK d’occuper sans bruit ni appétence particulière le poste de chef de l’État, son successeur, au tempérament politique plus prononcé et à l’humeur plus engagée, se prêterait par nature et conviction personnelle moins volontiers à l’exercice, sans pour autant se mettre en porte-à-faux avec Suu Kyi. Les militaires, avec qui U Win Myint eut quelques mots dans ses fonctions au perchoir, pourraient par ailleurs s’émouvoir de sa promotion à la tête de l’État. En particulier si la patronne de la LND décidait de se désinvestir partiellement de ses prérogatives exorbitantes du moment – d’autant plus lourdes à assumer en ces temps difficiles tant au niveau domestique qu’extérieur. Elle les reventilerait alors vers la présidence, au profit d’une personnalité a priori susceptible d’en assumer le coût (politique, nerveux, humain) et d’en assurer l’exécution.
Cette orientation à court terme est probable pour une administration LND déjà éprouvée après deux années au pouvoir, malmenée par une armée s’employant à préserver son autonomie et autorité, éreintée par les incidences (intérieures et externes) de la crise en Arakan. La préparation des élections générales en 2020 tout comme la nécessité d’impulser une dynamique nouvelle, plus en phase avec les attentes loin d’être satisfaites de la population, voilà autant d’éléments qui plaident en faveur du redimensionnement attendu de la fonction présidentielle.
*Mentionnons ici principalement les relations maussades avec les généraux, la crise en Arakan, le bilan sujet à caution de son administration après deux années d’exercice, le questionnement des milieux d’affaires sur sa politique économique, la poursuite des combats entre la Tatmadaw et divers groupes ethniques armés (GEA) dans les États Kachin, Shan, Karen, ou encore le processus de paix au ralenti.
Lors de divers entretiens menés récemment en Europe, en Asie et en Amérique du Nord par l’auteur de cette tribune auprès de personnalités birmanes œuvrant ou ayant œuvré au contact de La Dame de Rangoun, il est apparu que cette personnalité hors norme mais toutefois humaine semblait dernièrement accuser le coup, ployant quelque peu sous le poids conjugué des fardeaux intérieurs* et extérieurs, sans pour autant rompre.
Or le calendrier chargé des trente prochains mois jusqu’aux prochaines élections générales fin 2020 ne va guère alléger la charge de travail, d’énergie et d’émotion requises pour affronter les diverses tempêtes à venir. Il parait tout aussi évident qu’attendre dans ce laps de temps de l’influente institution militaire une coopération pleine et entière relève de la vue de l’esprit… Toute indispensable et courageuse soit-elle, l’opiniâtre mais frêle septuagénaire autrefois assignée à résidence une quinzaine d’années durant sur le bord du lac Inya à Rangoun, ne doit en aucun cas s’imaginer être l’alpha et l’oméga de la complexe équation nationale birmane du moment.
Mener à bien la transition démocratique engagée depuis 2010 et parvenir à une paix nationale, voilà les deux facettes d’un projet national plus grand et plus noble que la préservation de l’égo d’Aung san Suu Kyi. Pour le réaliser, il est grand temps que The Lady accepte, tout en demeurant engagée, présente dans l’épicentre de ce chapitre tortueux de l’histoire nationale, le principe d’un partage progressif et équilibré des responsabilités politiques. Qu’elle intègre l’idée d’une discussion saine et constructive, d’un débat équitable avec ses lieutenants et conseillers, soit l’image d’une Birmanie post-junte non-dépendante des inspirations et certitudes de sa citoyenne la plus connue au monde. Le bon sens et l’intelligence que l’on prête à cette infatigable figure de proue d’un pays plus civil que martial ne seront assurément guère de trop pour parvenir au résultat escompté.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.