Aung San Suu Kyi, Antigone et "icône fracassée" de Birmanie
Contexte
Comme Luc Besson et bien d’autres, l’Occident s’est-il fait un film sur celle qui a longtemps incarné les idéaux démocratiques en Birmanie ? C’est la question que pose Bruno Philipp dans ce portrait sensible de l’ancienne figure de l’opposition birmane, arrivée à la tête du gouvernement en mars 2016. « Bien sûr, gouverner, c’est déchoir », écrit notre confrère du journal Le Monde. Mais cette fois, la Lady vient d’enregistrer un record au jeu des illusions perdues : jamais une icône de cette stature ne s’était fracassée à une telle vitesse. »
Que s’est-il passé ? « La fée magnanime serait-elle devenue Carabosse, la vilaine sorcière ? » Aung San Suu Kyi a-t-elle changé ou est-ce qu’on a mal compris – pas voulu comprendre – cette fille d’un héros de l’indépendance birmane, ancienne étudiante d’Oxford, lectrice des Misérables en français, « qui n’a jamais cessé de confondre son destin et celui de son pays »et prête à tous les sacrifices pour la conquête du pouvoir ; mais qui est aussi une Bamar – l’ethnie bouddhiste majoritaire – et qui a toujours mené son parti, la Ligne nationale pour la Démocratie, d’une main de fer.
Avec la plume qu’on lui connaît, Bruno Philipp revient sur le parcours courageux et romanesque de celle qu’il décrit comme une Antigone bouddhiste moderne. La tragédie grecque pour expliquer le drame que traverse la Birmanie d’aujourd’hui. Ce court essai de 90 pages se lit comme un roman. Nous y découvrons Aung San Suu Kyi plongée dans la nostalgie à la saison des pluies, lorsqu’elle était prisonnière de sa résidence sur le lac Inya à Rangoun. L’occasion également de faire la connaissance avec son ennemi juré de l’époque, le général Ne Win qui se rend fréquemment à Vienne pour suivre des séances de psychanalyse, « tirant parfois au revolver dans son miroir pour tuer l’esprit malin qui pourrait bien le posséder. »
Aung San Suu Kyi a-t-elle eu raison de signer un compromis avec l’armée ? La « Dame de Rangoun » est devenue la « Dame de Naypydiaw », capitale tropicale née du « cerveau mégalomaniaque et paranoïaque de l’ex-dictateur Tan Shwe » et nouvelle « cage dorée » pour la dirigeante birmane, nous dit l’auteur. « Sorte de vision orwelienne de l’urbanisme », la « cité royale » qui accueille les institutions birmanes depuis 2005, est divisée en « zone administrative », « zone militaire », « zone des hôtels », etc. Sans oublier un zoo « où s’ébattent, entre autres animaux exotiques, des pingouins au fond d’une piscine à température polaire. »
Précédé d’un récit de Rémi Ourdan, grand reporter au Monde, qui a couvert l’exode des Rohyingyas dans la région de Cox’s Bazar au Bangladesh, Aung San Suu Kyi, l’icône fracassée nous permet d’appréhender le parcours de la prix Nobel de la paix birmane sans céder à l’emballement de l’émotion et sans condamnation définitive. Vous trouverez également dans ces pages le portrait de l’une des nations les plus pauvres du continent, coincée entre les géants chinois et indiens. A l’heure du « Google journalisme » et après avoir passé ces trente dernières années à sillonner l’Asie, Bruno Philip démontre combien le journalisme de terrain reste essentiel, lorsqu’il s’agit de comprendre un pays, ses dirigeants et ses habitants.
Aung San Suu Kyi, l’icône fracassée, éditions des Equateurs.

« On a vu en elle quelqu’un qui était profondément marqué par son expérience en Occident. Et finalement, on a oublié qu’elle était aussi birmane. »
« Elle souhaite que son pays se modernise ; elle veut que les questions de santé, d’éducation puissent être améliorées dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Le massacre des Rohingyas est en train de ralentir tout cela. »
« La Birmanie est l’un des pays les pauvres d’Asie. Près de 40 % des 51 millions de Birmans vivent au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté. »
« Aung San Suu Kyi est une fille à papa qui tente d’achever la mission d’un père assassiné. »
« Après un processus de démocratisation voulue par la junte en 2011, on est entré dans une phase de régression. Et dans le contexte actuel où la Birmanie est critiquée de toutes parts par les Occidentaux, la Chine se frotte les mains ! »
« Elle fait de la méditation vipassana, la plus vieille médiation du Bouddha. Cela lui a donné la capacité à se soustraire du monde extérieur. Est-ce que cela expliquerait aussi ce manque d’empathie dont elle fait preuve vis-à-vis des Rohingyas ? »
« Elle affirme qu’il y existe un iceberg de désinformation qui serait le produit des médias, parce qu’elle ne supporte pas que tous ceux qui l’ont adulée, brûlent aujourd’hui son effigie. »
« A un moment où l’on voit émerger des mouvements antimusulmans en Inde, avec des attaques contre les « mangeurs de bœuf » comme les appellent les extrémistes hindous, il y a un rapprochement assez significatif entre l’Inde et la Birmanie. »
« Quand on accumule la crise des Rohingyas avec des dizaines de guerillas ethniques et une économie qui stagne, tout cela n’augure rien de bon pour les mois qui viennent. »
« Aujourd’hui, on ne peut pas se passer de la Chine, m’a dit Aung San Suu Kyi. En ajoutant : On ne choisit pas toujours ses voisins. »
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