Société
Entretien

Migrants Rohingyas : “Il faut une action commune aux pays voisins de la Birmanie”

Photo d'un bateau transportant des migrants Rohingyas
Le problème des boat-people Rohingya ne date pas d’aujourd’hui : sur cette photo prise le 7 novembre 2012 sur les côtes du Bangladesh, ce bateau transporte vers la Malaisie des migrants de cette ethnie musulmane apatride de Birmanie. (Crédit : STRDEL / AFP)
Près de 600 migrants ont été secourus au large de la province indonésienne d’Aceh, rapportent les autorités de Sumatra ce lundi. Un milliers d’autres ont été interceptés et placés dans des centres de rétention en Malaisie. La plupart font partie de l’ethnie Rohingya, minorité musulmane et apatride de Birmanie, d’autres viennent du Bangladesh. Un nouvel afflux qui a pris de court les autorités locales, alors que la Thaïlande voisine, traditionnelle plaque tournante du trafic, a intensifié sa lutte contre les passeurs suite à la découverte de charniers de clandestins la semaine dernière.

Entretien

La rédaction d’Asialyst a joint Chris Lewa à Bangkok. Chris est coordinatrice de l’ONG Projet Arakan qui mène des recherches auprès des Rohingyas depuis 1999. Le Projet Arakan est par ailleurs membre de l’Asia-Pacific Refugee Rights Network.

Ce phénomène de migration ne date pas d’hier, pourquoi ce changement d’attitude de la part des autorités thaïlandaises ?
Le problème n’est en effet pas nouveau. Dans les entretiens que nous menons avec les Rohingyas qui viennent de débarquer en Malaisie, cela fait au moins trois ans que pratiquement tous ou presque, nous racontent la mort de plusieurs des leurs en Thaïlande. Ces décès surviennent dans les camps de détention dans la jungle, à la frontière malaisienne. C’est lors de leur transit en Thaïlande que les passeurs tentent d’extorquer de l’argent à leur famille. Et cette période d’attente peut être longue parfois. La plupart du temps, les migrants meurent pour des raisons de santé, ils ne reçoivent quasiment aucune nourriture des trafiquants. Comme beaucoup d’entre eux ne peuvent pas payer la dette de leur passage, ils sont gardés pendant des semaines, voire des mois dans ces camps. On parle de 2 000 dollars par migrant, parfois plus. Ces histoires ont été rapportées dans les médias, y compris dans les journaux locaux. Ce qui est nouveau c’est qu’aujourd’hui la Junte au pouvoir en Thaïlande semble décidée à intervenir. Il y a eu des raids de la police sur les camps auparavant, mais jamais les autorités n’avaient lancé ce genre d’investigations permettant de mettre à jour les charniers comme aujourd’hui.
On a pu lire des éditos critiquant le manque d’action de la police notamment dans le Bangkok Post. Est-ce qu’on peut parler d’une véritable prise de conscience de ce problème au niveau politique ?

Bien sûr que ce dossier est éminemment politique. Cela peut-être lié au fait que la note de la Thaïlande a été dégradée dans un rapport américain sur la traite des êtres humains l’année dernière. Le gouvernement veut redorer son image et tente de montrer qu’il est actif sur le problème. Depuis leur arrivée au gouvernement, les militaires au pouvoir affirment que la lutte contre la corruption et le trafic d’être humain sont des priorités nationales. Donc il y a effectivement une prise de conscience au niveau des autorités, mais dans le même temps, il faut bien voir que ces actions visent uniquement à stopper le flot de migrants qui transitent par la Thaïlande avant d’arriver en Malaisie. On s’attaque aux passeurs, c’est bien, mais il faudrait aussi réfléchir aux racines du mal et aux persécutions vécues par les Rohingyas dans l’état d’Arakan qui les poussent à fuir la Birmanie. Chaque semaine, le pouvoir birman les dépossèdent un peu plus de leur droits. Il y a quelques semaines, les Rohingyas ont perdu par exemple leur carte blanche qui était leur seule pièce d’identité même temporaire [lire ou relire l’article de Juliette Gheerbrant]. La communauté internationale et les pays voisins de la Birmanie savent très bien ce qui se passe en Arakan. Le problème, c’est que les pays de la région ne sont pas disposés à recevoir les Rohingyas.

La marine thaïlandaise a longtemps repoussé les embarcations de migrants. Est-ce qu’il y a, là aussi, un changement de comportement vis-à-vis de ces clandestins en perdition ?

La Thaïlande repoussait les bateaux de migrants il y a quelques années. Depuis, la pratique a été vivement condamnée par la communauté internationale, et cela s’est arrêté. Maintenant, la pratique a changé et Bangkok s’attaque aux trafiquants. C’est une bonne chose, mais cela ne suffira pas à régler le problème. Les bateaux continuent d’arriver, et ne peuvent plus débarquer en Thaïlande. Les migrants se trouvent dans une situation encore plus difficile que dans les camps. On nous raconte que de nombreux migrants meurent en mer. Ils y restent deux ou trois mois, et les passeurs se débarrassent de leur corps en les jetant à l’eau.

A quoi ressemblent ces camps de migrants dans la jungle thaïlandaise ?

C’est une région de montagnes et de jungle, à la frontière avec la Malaisie. Les trafiquants ont monté des structures en bambou avec des bâches en plastiques comme toit. C’est là que les migrants sont détenus, un peu comme dans des cages. A peine débarqués sur la côte, les boat-people sont transférés en 4×4 jusque dans ces baraquements. Et c’est là qu’on leur prête un téléphone portable pour appeler leur famille ou leurs amis. Ils doivent trouver les 2000 dollars à verser aux passeurs. Tant que cette somme n’a pas été versée, souvent sur un compte en Malaisie, ils ne sont pas libérés. Souvent ils sont battus quand ils téléphonent à leur famille. Ils crient, ils pleurent. C’est une manière de mettre les proches sous pression, afin qu’ils vendent tout ce qu’ils possèdent et puissent réunir l’argent réclamé. Ensuite, une fois la dette acquittée, les passeurs les transfèrent de l’autre côté de la frontière où ils sont pris en charge dans d’autres voitures. Évidemment, il y a plein d’abus dans ces camps. Des femmes Rohingyas sont violées notamment. Les migrants bangladais subissent le même traitement. Certains nous ont même raconté avoir été enlevés et mis de force sur des bateaux avant que les recruteurs puissent obtenir leur commission.

La Thaïlande et les pays de la région peuvent-ils empêcher cet afflux ?

C’est vrai que c’est un problème grave et qui ne pourra pas se régler si le pouvoir en Birmanie ne change pas de politique vis-à-vis des musulmans. Il faut ensuite que les pays de la région s’organisent ensemble pour accueillir ces migrants, qu’ils viennent de Birmanie ou du Bangladesh, sachant que pour l’instant les autorités de Naypyidaw ne les reconnaissent même pas comme citoyens.

Peut-on comparer la situation des migrants en Méditerranée à celle des migrants en mer d’Andaman ?

C’est vrai que les situations sont semblables par certains aspects. Comme l’Italie, la Thaïlande est un pays de transit et le problème des Rohingyas ne pourra être réglé que suite à une action commune des pays de la région. La plupart des Rohingyas sont apatrides, personne ne veut d’eux.

Propos recueillis par Stéphane Lagarde

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.