Chine : la route de la soie vue du ciel
Contexte
N’espérez pas rencontrer les expulsés des nouvelles routes de la soie, ne comptez pas sur le témoignages des Ouighours, oubliez les écologistes et autres empêcheurs de goudronner en long… Le réalisateur ne s’en cache pas d’ailleurs, ce film n’aurait pas pu être réalisé sans la bienveillance des autorités chinoises, autrement dit sans un accord passé avec ces dernières. Pour tourner sur un territoire aussi explosif que le Xinjiang, où l’ethnie majoritaire Ouighours se sent dépossédée de ses terres et de sa culture en raison d’une arrivée massive de Hans -l’ethnie majoritaire en Chine- attirés par des projets de grandes ampleurs dont celui des nouvelles routes de la soie, pour pouvoir ne serait-ce que mettre un pied dans la région autonome et couvrir des évènements publics tels que la foire d’Urumqi ou filmer les champs d’éoliennes, oui pour tout cela il a fallu passer un « deal. » Un « accord » on ne peut plus clair : impossible de se séparer du traducteur recommandé par les autorités locales, impossible également d’envoyer bouler les équipes de « communication » qui vous suivent dans tous vos déplacements, depuis l’arrivée de l’équipe de tournage à Urumqi, la capitale du Xinjiang, jusqu’au passage de frontière vers le Kazakhstan voisin.
Cela étant posé, « Chine : à la conquête de l’ouest » est loin d’être un film de propagande. Le principal mérite de ce documentaire étant d’avoir su résumer l’esprit d’OBOR –« One Belt, One Road »-. Le projet titanesque lancé par le président Xi Jinping à l’automne 2013 est en effet difficilement cernable et souvent flou quant à ses ambitions. Le parti pris a été ici de concentrer la caméra sur une seule route, à savoir le tracé mythique des caravanes et des oasis interdites d’antan. En ressuscitant l’antique route de la soie, version autoroutes et trains porte-conteneurs, Pékin s’empare d’un leadership que semble ne plus vouloir exercer l’Amérique de Donald Trump. Dans son commentaire et au travers des paroles d’experts, le documentaire souligne les objectifs de la deuxième économie du monde : développement du grand-ouest chinois, nouveaux débouchés permettant d’absorber les surcapacités d’une industrie au bord de l’asphyxie, poursuite de la « colonisation » du Xinjiang et appétit non dissimulé pour les ressources pétrolières de l’Asie centrale.
Tous ces aspects sont évoqués dans le film, sans oublier la confrontation stratégique avec le grand frère russe. Car la force du projet de Pékin, c’est d’abord son portefeuille ! Le chantier colossale des nouvelles routes de la soie s’appuie sur la puissance économique chinoise. A terme, il pourrait même faire gagner une place à la Chine sur le podium économique mondiale. Problème : la Russie est très loin de pouvoir suivre le rythme. Si la plupart des pays européens font la fine bouche devant le « rêve chinois » du président Xi Jinping, Moscou pourrait également se renfrogner, sachant que les Chinois empiètent sur leur ancienne zone d’influence de l’Eurasie. Avant que le Transsibérien ne s’enrhume et qu’une noria de TGV chinois ne vienne relier Urumqi à Londres en moins de 48 heures, le projet de la route de la soie devra convaincre les populations des pays traversés. C’est l’autre mérite de ce film, montrer les espoirs et les doutes d’une jeunesse d’Asie centrale qui compte bien ne pas rester au bord de la route.
« Il y a un grand projet international mis en avant, du moins vendu comme tel par la Chine et également financé par des institutions internationales, mais dans un premier temps, c’est surtout du développement intérieur de la Chine dont il est question avec cette nouvelle route de la soie. »
« On aurait pu sans doute filmer une centrale nucléaire par drone au Xinjiang, mais par contre poser une question à un Ouïgour dans la rue face caméra, c’était une ligne rouge infranchissable. »
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