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Corée du Nord : de la prolifération, du poison et des sanctions

Kim Jong-nam (à gauche) et son demi-frère cadet, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un (à droite). (Crédits : AFP PHOTO / Toshifumi KITAMURA and Ed JONES)
Kim Jong-nam (à gauche) et son demi-frère cadet, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un (à droite). (Crédits : AFP PHOTO / Toshifumi KITAMURA and Ed JONES)
S’il s’agissait en ce début d’année 2017 de distinguer en Asie-Pacifique quelque initiative politique heureuse, bonne manière diplomatique ou autre espoir de paix, porter le regard vers l’Asie orientale et plus particulièrement sur l’ombrageuse Corée du nord ne pouvait guère constituer autre chose qu’un choix audacieux, mal à propos. Les 12 et 13 février derniers, d’un nouveau tir de missile à l’assassinat de Kim Jong-nam, la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC) donnait en l’espace de quelques heures la mesure de ses ambitions pour l’Année du Coq de Feu.
L’orientation générale esquissée par Pyongyang ne parait pas centrée sur un apaisement régional (avec Séoul, Pékin et Tokyo notamment) ; moins encore sur une velléité de réinsertion dans le concert des nations. Engagée sur des bases inquiétantes, la politique extérieure de Pyongyang ambitionne-t-elle de muscler graduellement sa feuille de route en vue d’une éventuelle confrontation ? Ou au contraire, comme le laissent entendre certains observateurs, de se manifester avec fracas en ce début d’année, d’élever la tension et l’attention de certaines capitales afin de créer à moyen terme des « conditions propices » – aux yeux de Pyongyang – à un éventuel réengagement ?

12 février : premier aventurisme politico-militaire de l’année, premier d’une nouvelle (longue) série ?

*Depuis 2006, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté une série de résolutions imposant et renforçant les sanctions contre Pyongyang, liées à la poursuite de ses programmes nucléaires et balistiques : résolutions 1695 (juillet 2006), 1718 (octobre 2006), 1874 (juin 2009), 2087 (janvier 2013), 2094 (mars 2013), 2270 (mars 2016), 2321 (nov. 2016).**Pukguksong-2, un missile balistique à portée intermédiaire (3 000 km) aux capacités conventionnelles et nucléaires.***cf. une vingtaine de tir de missiles balistiques réalisés en 2016, en plus de deux essais nucléaires intervenus en février et septembre 2016.
Le 12 février, cinq mois après son cinquième et dernier essai nucléaire en date (9 septembre 2016) et en dépit d’une interdiction d’exercice des plus explicites*, la Corée du Nord réalisait depuis sa côte orientale un nouveau tir de missile** en direction de la mer de l’Est et de l’archipel nippon. Une tentative maitrisée et aussitôt condamnée par les gouvernements voisins et une communauté internationale lassée de ces errements à répétition***. Rien qui n’ait a priori affecté Pyongyang au point de l’alarmer en quelque manière. Comme de coutume.

Assassinat de Kim-Jong-nam le 13 février : le fer (et le poison) par-delà la péninsule et le déni

L’énième bravade évoquée ci-dessus ne suffisait visiblement pas aux autorités nord-coréennes. Le lendemain, en plein terminal de l’aéroport de Kuala Lumpur, Kim Jong-nam, le demi-frère aîné de Kim Jong-un, était assassiné peu avant d’embarquer pour Macao – une de ses destinations familières d’exil ces dernières années. Le mode opératoire – par empoisonnement selon la police malaisienne – renvoyait aux sombres heures de la guerre froide. Un meurtre dont la signature ne fit aucun doute pour Séoul et qui souleva une indignation internationale marquée.
*En 2017, Pyongyang accueille 24 ambassades étrangères, dont une dizaine pour des Etats asiatiques (Malaisie, Chine, Inde, etc.).
Dans la foulée de ces événements, les services de sécurité malaisiens ont interpellé un ressortissant nord-coréen, une Indonésienne et une Vietnamienne, et seraient à la recherche d’une dizaine d’individus, dont une demi-douzaine de Nord-Coréens. Relevons que les derniers (mé)faits d’armes de Pyongyang ont une incidence sur ses rapports avec Kuala Lumpur. Le gouvernement malaisien – loin d’être le moins bien disposé* à l’égard du Nord – a rappelé son ambassadeur à Pyongyang, puis convoqua le représentant nord-coréen à Kuala Lumpur « pour explication ». Ce dernier avait montrer fort peu de diplomatie : « Sept jours se sont écoulés depuis l’incident [assassinat de Kim Jong-nam] et il n’y a toujours aucune preuve évidente quant à la cause du décès, avait déclaré l’ambassadeur Kang Chol le 20 février. A cette heure, nous ne pouvons avoir confiance en l’enquête menée par la police malaisienne (…). Cela renforce l’idée que cette enquête serait pilotée depuis l’extérieur, par quelqu’un d’autre. » Là encore, rien qui n’ébranla le gouvernement de cette austère République populaire, immune depuis longtemps aux critiques et appels à la raison du monde extérieur.

Incidences sur le fragile équilibre Nord-Sud

*Destitution de la présidente sud-coréenne Park Geun-hye votée par l’Assemblée nationale en décembre, suite à un scandale de corruption .
Pour Séoul, par ailleurs aux prises avec le scandale Park Geun-hye* tardant à se solder, le crime préparé au nord du 38e parallèle et perpétré dans la capitale malaisienne ne saurait demeurer impuni. « Il s’agit d’un intolérable crime contre l’humanité, un acte terroriste élaboré par le régime nord-coréen (…). Nous devons coopérer avec la communauté internationale de telle sorte que la Corée du Nord paie le juste prix de son action terroriste », évoquait Hwang Kyo-ahn, Premier ministre et président de facto, le 20 février.
*Lorsque le gouvernement destitua puis exécuta Jang Song-thaek, le n°2 du régime et oncle de Kim Jong-un.
Depuis la « jurisprudence » Jang Song-thaek*, les observateurs avaient acquis la certitude que dans la Corée du nord de Kim Jong-un (qui succéda à son père Kim Jong-il en décembre 2011), les liens familiaux – y compris au sein du tout puissant clan Kim – et l’appartenance aux cercles rapprochés du pouvoir, ne constituaient plus une assurance vie absolue. A plus forte raison quand des soupçons de rivalité potentielle pèsent sur certains individus ou que des réserves sur la rationalité du régime ont été publiquement émises par certains intrépides. Ce qui fut le cas de Kim Jong-nam, dont les (rares) sorties ces dernières années sur l’orientation que pourrait/devrait à l’avenir adopter le régime auront probablement fini par lui coûter la vie ; sans compter ses rapports cordiaux avec le gouvernement chinois, à l’instar de son oncle Jang Song-thaek…

La relation Pékin-Pyongyang à l’épreuve ?

*Une ressource représentant un tiers du total des exportations nord-coréennes (22 millions de tonnes importées par la Chine en 2016).
Communément présentées sous un jour de grande proximité – une lecture a minima très approximative -, la relation sino-nord-coréenne souffre d’une évidente distanciation (sans pour autant frôler la rupture). On ne prête pas à Kim Jong-un un quelconque penchant sinophile. En retour, les interrogations de Pékin sur un abondant florilège de décisions actées depuis l’arrivée au pouvoir du « jeune Maréchal » se sont au fil des camouflets et des errances muées en de francs questionnements sur l’opportunité de protéger contre vents et marées l’indéfendable régime nord-coréen. Décidée par Pékin, la suspension à compter du 18 février dernier des importations de charbon nord-coréen* témoigne de ce courroux, de plus en plus difficilement contenu par l’administration Xi Jinping.

Washington ou l’interlocuteur honni… et recherché

Le 17 février, en marge de la réunion à Bonn des ministres des Affaires étrangères du G20, le nouveau Secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson rencontrait pour la première fois son homologue chinois et profitait de cette occasion pour inviter la Chine à « employer tous les leviers disponibles pour modérer le comportement déstabilisant de la Corée du nord ».

Deux jours plus tard, la presse sud-coréenne et américaine laissaient pareillement entendre que des préparatifs seraient en cours ces dernières semaines en vue de possibles discussions informelles à New York entre émissaires gouvernementaux nord-coréens et anciens responsables politiques américains.

Que déduire de ce début d’année 2017 pétri de tension ?

« Le meurtre de Kim Jong-nam par le Nord peut s’interpréter comme la neutralisation des forces alternatives au régime de Kim Jong-un et constitue un avertissement en direction de la communauté internationale contre tout projet de changement de régime. » Les propos de Han Min-koo, le ministre sud-coréen de la Défense, ont le mérite de la clarté et semblent assez fidèlement synthétiser la situation du moment. Encore que. Peut-on juste prétendre, depuis Paris, Séoul ou Washington « comprendre » ou même simplement entrevoir le jeu (dangereux) tramé depuis la plus recluse des capitales de la planète ? A l’exercice des hypothèses, conjectures et scenarii, l’atypique RPDC met si aisément ses observateurs face à leurs (nos) limites… Pour autant, avec une marge d’approximation plus raisonnable, il parait possible d’évoquer le quatuor de postulats suivants :
*Le 27 juillet 1953, à l’issue de trois meurtrières années de guerre dans la péninsule, les représentants des Nations Unies, de la Corée du nord et de la Chine paraphaient un « simple » accord d’armistice, prélude obligatoire à la conclusion espérée d’un accord de paix final, qui n’intervint jamais.
• la RPDC demeure le régime le plus imprévisible pour son environnement immédiat et la sécurité internationale ; rien ne permet de penser, au regard de ses derniers agissements, qu’elle entende amender à court terme sa politique et se conformer aux demandes du concert des nations ;
• critiqué depuis l’extérieur, le régime de Kim Jong-un ne parait ni sur le point d’être renversé par sa population ou une opposition structurée, moins encore de s’effondrer de lui-même, en dépit des diverses strates de sanctions imposées par la communauté internationale ;
• la dangereuse fuite en avant de ce début d’année ne saurait être cautionnée ni par la Chine, ni par les Etats-Unis ; si la première s’émeut des agissements de Pyongyang, elle ne parait pas à l’avant-veille de rompre sa relation privilégiée ;
• enfin, quant à la seconde, aux ordres d’une administration républicaine dont reste à savoir la feuille de route sur divers dossiers extérieurs complexes, elle ne saurait se laisser convaincre si facilement par les initiatives hasardeuses de Pyongyang, malgré le souhait nord-coréen de conclure un traité de paix en bonne et due forme*.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Birmanie 2020 : de l’état des lieux aux perspectives" (IRIS/Dalloz) et de ''L'inquiétante République islamique du Pakistan'', (L'Harmattan, Paris, décembre 2021). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.