Politique
Billet de Kuala Lumpur

Malaisie : la nouvelle aura de Maria Chin, leader du mouvement Bersih

La secrétaire du mouvement anti-corruption Maria Chin Abdullah ouvrant les bras à ses supporters le 28 novembre 2016 à Kuala Lumpur, peu après sa libération.
La secrétaire du mouvement anti-corruption Maria Chin Abdullah ouvrant les bras à ses supporters le 28 novembre 2016 à Kuala Lumpur, peu après sa libération. (Crédits : Mat Zain/NurPhoto/via AFP)
Chaque soir depuis dix jours, sur la place de l’Indépendance à Kuala Lumpur, les supporters du mouvement anti-corruption Bersih se sont réunis en soutien à Maria Chin Abdullah, incarcérée depuis la veille du rassemblement, le 18 novembre, au titre du Security Offences Special Measures Act (Sosma). Hier lundi 28 novembre dans la soirée, les slogans sont repris plus joyeusement : la présidente de Bersih 2.0 a été libérée dans l’après-midi.
Les discours politiques, parfois teintés de religiosité musulmane, succèdent aux chansons chinoises dans l’attente de Maria Chin. Isaiah Jacob, un militant qui a jeûné toute la semaine précédent le rassemblement Bersih, était prêt à poursuivre son action jusqu’à la libération de l’opposante : « J’ai eu Maria au téléphone, elle m’a demandé si j’allais manger. Je lui ai dit : non, pas avant de te voir ! » D’autres personnes incarcérées après le 18 novembre sont présentes : Tian Chua, le numéro 2 du grand parti d’opposition PKR, libéré le 21, ainsi que le dessinateur Zunar, qui est sorti de détention la veille, dimanche 27 novembre. Malgré la pluie qui tombe en fines gouttes, le public est de plus en plus nombreux, pour atteindre 300 personnes à l’arrivée de Maria Chin. Cette dernière semble à peine éprouvée par ces dix jours de captivité qu’elle décrit à la foule.
La secrétaire du mouvement anti-corruption Bersih, lors d'une conférence de presse improvisée après sa libération lundi 28 novembre à Kuala Lumpur.
La secrétaire du mouvement anti-corruption Bersih, lors d'une conférence de presse improvisée après sa libération lundi 28 novembre à Kuala Lumpur. (Copyright : Dennis Ong)
Accusée lors d’interrogatoires quotidiens d’avoir reçu pour Bersih 2.0 des financements importants de la part de la Fondation Open Society du milliardaire George Soros, Maria China nie toujours. Mais elle inscrit la situation malaisienne dans la communauté internationale : « [Mon incarcération] ranime l’Internal Security Act [le dispositif policier d’après l’indépendance, NDLR] dans ce pays, très loin des standards internationaux. » Elle alterne malais et anglais pour remercier le public : « Sans votre soutien je n’aurais pas été libérée. » Cette incarcération, dans des conditions proches de la torture (isolement et lumière 24h sur 24), était sévèrement critiquée dans le pays et au-delà.

Pourquoi cette libération ? D’après Tian Chua, « le gouvernement aurait été embarrassé. » Et de fait, ces dix jours ont fait grandir l’aura de Maria Chin auprès des supporters de Bersih et attiré l’attention de la communauté internationale. La Haute Cour doit également examiner ce mardi 29 novembre sa demande d’habeas corpus, ce qui pourrait faire apparaître la vacuité des accusations contre elle. L’investigation de la police continue néanmoins et le siège d’Empower, une association de soutien aux droits des femmes fondée par Maria Chin, a été perquisitionné hier lundi. Le rassemblement du 19 novembre et cette vigie de dix jours ont fait grandir la résolution des opposants au Premier ministre Najib Razak. Le slogan « Bebas Maria » (« Libérez Maria ») est décliné : « Bebas rakyat » (« Libérez le peuple ») et finalement « Bebas Anwar », le vice-Premier ministre accusé de sodomie en 1998, en pleine crise financière asiatique, et de nouveau incarcéré depuis février 2015.

Les militants du mouvement anti-corruption Bersih dans l'attente leur leader Maria Chin Abdullah, tout juste libérée, le 28 novembre à Kuala Lumpur.
Les militants du mouvement anti-corruption Bersih dans l'attente leur leader Maria Chin Abdullah, tout juste libérée, le 28 novembre à Kuala Lumpur. (Copyright : Dennis Ong)
Isaiah Jacob, quand il aura récupéré de ses deux semaines de jeûne, promet de se mettre en grève de la faim pour la libération d’Anwar Ibrahim. Nous avions rencontré ce militant de cinquante ans, né avec une seule jambe, à la suite d’une marche pour protester contre l’usine de terres rares Lynas, située sur la côte est du pays à 300 km de Kuala Lumpur. Cette marche-ci sera plus longue encore, mais la résolution ne devrait pas lui manquer.
Par Aude Vidal, à Kuala Lumpur

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A propos de l'auteur
Aude Vidal s'intéresse depuis 2014 aux conflits sociaux et environnementaux en Malaisie. Elle est diplômée en anthropologie et collabore au site Visionscarto.net ainsi qu'à CQFD, L'Âge de faire et Mediapart.