Qiu Xiaolong : "La Chine, cette immense toile d’araignée où la corruption est partout"
Contexte
C’est la dixième enquête de l’inspecteur Chen traduite en français, mais en réalité sa première puisqu’il s’agit de la genèse du héros. C’est aussi probablement le roman le plus introspectif de Qiu Xiaolong. L’écrivain a fait naître l’inspecteur principal Chen Cao pendant la Révolution culturelle, autant dire sous le règne de la terreur. Dénonciation, critique de masse et punition publique, la sainte trilogie maoïste entend « rééduquer » les petits propriétaires et les intellectuels.
Le roman s’ouvre ainsi sur une scène de brimade à l’encontre d’un médecin-chef à l’hôpital. Ce dernier est contraint de prendre sa propre température en public : « Il attrapa le thermomètre qu’on lui tendait et le mit dans sa bouche sans voir qu’il s’agissait d’un thermomètre anal. » S’ensuit une volée de critiques reprenant la maxime de Mao : « Les intellectuels sont plus ignorants que les ouvriers, les fermiers et les soldats. » Et quelques lignes plus loin, voilà notre médecin-chef transformé en agent d’entretien et sortant des toilettes, « le visage sale, ses lunettes cassées fixées par un sparadrap, en pleine transformation idéologique par le travail forcé. »
Une jeunesse dont on ressort forcément un peu cabossé, d’autant que l’absurde ne disparaît pas une fois l’entrée à l’université. La jeunesse de Chen Cao, c’est aussi la Chine de Deng Xiaoping – celle de l’ouverture économique et du plein emploi qu’on ne choisit pas. Dans l’économie planifiée, pas question de choisir votre carrière. C’est l’État qui décide de votre destin. Chen Cao a fait des études d’anglais, il sera donc… policier ! Et pour justifier cette décision, on lui confie la traduction d’un manuel de la police américaine que probablement personne ne lira.
De cette absurdité naîtra le mal-être et la fragilité d’un héros contraint à faire des compromis entre ses idéaux de jeunesse et les règles du parti unique. Pour tenter d’y échapper, Chen se réfugie dans la poésie qui humanise encore davantage le personnage. « Entre souvenirs douloureux, bienveillance et impuissance face au temps qui passe et à la grande broyeuse de la société communiste chinoise, Il était une fois l’inspecteur Chen donne l’impression d’un roman testament, indique Renaud de Spens. L’une de ses meilleures œuvres depuis Mort d’une héroïne rouge, mais dans un registre différent, plus intime, où le polar est encore plus un prétexte pour raconter les grands et petits drames de la Chine contemporaine », poursuit le sinologue qui nous a accompagnés pour cet entretien.
Que les fidèles se rassurent : malgré cette touche plus intime, ils retrouvent ici les mêmes recettes que dans les précédents volumes. Chaque roman de Qiu Xiaolong étant un festin à la fois pour l’esprit et pour les sens, où l’on se met à table quasi à toutes les pages : nouilles froides de Corée à la texture à la fois molle et croustillante ; cervelle de porc bien cuite, baignée de vin de riz jaune, avec du gingembre ou des oignons verts ; recette de carpe vivante cuite dans un grand wok à feu vif, puis marinée pendant des heures dans une sauce de soja avec du sucre et des épices ; nouilles aux trois crevettes agrémentées de feuilles de lotus, etc, etc. C’est d’ailleurs par un mystère culinaire que s’ouvre cette première enquête. À l’autopsie, le ventre du cadavre présente un cocktail d’aliments étonnants : du caviar non digéré, de l’aileron de requin et des crevettes ivres de Ningbo ! L’ouverture de la Chine conduit certes à une mondialisation des assiettes, mais quand même… Un tel mélange est forcément suspect.
« J’ai fait mes études à Pékin, sur les mêmes bancs d’école que Bo Xilai »
« Je n’aurais jamais pu être garde rouge. En Chine, le rouge c’est le bien, le noir c’est le mal ! »
« Le Parti communiste chinois doit s’opérer lui-même pour extirper la corruption, autant dire mission impossible ! »
« Pour faire des affaires ou résoudre une enquête policière, il faut se constituer un réseau et cela passe souvent par un bon repas. »
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