Cui Jian : "C'est la Chine qui s'est adaptée à moi !"
Contexte
Né en 1961 à Pékin d’une famille de minorité coréenne, Cui Jian baigne dans une atmosphère musicale, grâce à un père trompettiste et une mère danseuse. Il découvre le rock au début des années 1980 et se met vite à la guitare. Influencé par les Beatles, les Rolling Stones ou encore Simon and Garfunkel, il fonde un premier groupe, Seven Ply Board, en 1984. Le groupe joue essentiellement des ballades et des chansons d’amour dans les bars des hôtels de Pékin, mais aussi quelques morceaux rock de leur composition, plus innovants.
En 1986, Cui Jian est propulsé sous les spotlights lors d’une prestation à un concert pour la paix organisé au Stade des Travailleurs. C’est là qu’il joue pour la première fois Yi wu suo you (« Je n’ai rien ») devant une large audience. Le style de Cui Jian, sa voix rocailleuse, dénotent avec la pop sucrée importée de Taïwan qui s’écoute à l’époque. Le guitariste-chanteur et son groupe, renommé Ado, inventent en effet quelque chose de nouveau : une musique teintée d’influences du « Xibeifeng », (la folk du nord-Ouest de la Chine), mêlant instruments traditionnels, comme le suona aux guitares rock, et au saxophone. Les textes de Cuijian sont particulièrement marquants pour les jeunes : ils détournent certains airs révolutionnaires et évoquent la frustration de la jeunesse à la fin des années 80, les espoirs et la vacuité de cette époque.
En 1988, Cui Jian donne un concert à l’occasion de l’ouverture des JO de Séoul, sa carrière s’annonce bien lancée. En 1989, un an plus tard, Yi wu suo you (« Nothing to my name » selon la traduction anglaise) devient un véritable hymne pour la jeunesse, et plus particulièrement le mouvement étudiant qui sera réprimé en juin place Tian’anmen. Après ce terrible événement, Cui Jian doit se retirer loin de la capitale. Heureusement, les sanctions sont temporaires : en 1990 il sort son album La longue marche du rock et fait une tournée dans plusieurs villes de Chine. Toujours fidèle à ses idées et critique envers le gouvernement, il joue son morceau Yi kuai hongbu (一块红布 – « Un morceau de tissu rouge ») les yeux bandés d’un foulard rouge.
Longtemps, Cui Jian devra composer avec la censure et les interdictions. Pourtant, il a toujours manœuvré habilement pour mener sa vie d’artiste. Avec dix albums à son actif (sortis entre 1984 et 2015), des rôles dans différents long-métrages indépendants (dont Beijing Bastards en 1993) et plus récemment Blue Sky Bone qu’il a réalisé lui-même, Cui Jian a indéniablement imposé sa présence sur la scène culturelle chinoise.
Quant à la période 1986-2016, ces trente ans passés, on peut dire qu’ils ont été conditionnés et motorisés par l’économie. Pendant cette période, tout a changé autour de nous, y compris notre manière de vivre et de penser. Surtout ici à Pékin, on en a même oublié comment c’était avant. On est devenu plus libre, c’est vrai, mais cette liberté vient de l’ouverture économique. Il n’y a que la politique qui ne change pas, même si on a changé de président et qu’il y a différentes strates à l’intérieur du gouvernement.
Des gens disent que les politiques changent, d’autres disent que c’est moi qui ai changé. Moi, je pense que c’est plutôt eux qui changent. Après tout, ce sont eux [les officiels] qui nous invitent à donner des concerts. D’une manière générale, ils respectent notre travail. Je n’ai pas peur de collaborer avec les eux car de toute façon en Chine, on ne peut travailler qu’avec des structures officielles pour monter ce type d’événements. Ces collaborations n’ont rien de politique, elles sont pratiques.
Donc je pense qu’imiter le punk, par exemple, ce n’est qu’une attitude, ce n’est pas très intéressant. L’idée étant de produire de la musique la plus sale possible. Et considérer l’Europe et les Etats-Unis seulement comme les inventeurs du punk, c’est dommage car toute une partie de leur musique repose sur une maîtrise parfaite de la technique.
Maintenant en Chine, il y a plein de gens [musiciens] qui veulent être des héros, des stars parce qu’ils n’ont pas de direction dans leur vie. Moi je trouve que c’est très fatigant de faire le héros. En plus, tu peux te faire mal et faire mal aux autres. En Chine, le star system ne donne que des copieurs qui piquent des choses à droite à gauche sans rien comprendre (surtout dans l’Asie du Sud développée, Taïwan, Corée). Ils copient des choses occidentales qui ont été maturées pendant longtemps par de vrais artistes, sans se soucier du processus qui les a menés là. La Chine a besoin d’un juste milieu : pas seulement d’un star system d’un côté et d’un underground invisible de l’autre. Pour cela, il faut se respecter soi-même et respecter autrui.
Les gens ne se rendent pas compte que j’écoutais du hip hop avant tout le monde en Chine, par exemple, et que ma musique est toujours actuelle. D’ailleurs, mes albums se vendent toujours bien. Hier, on répétait pour le concert en studio. On a fait une version rap du morceau Net Virgin avec un jeune d’une vingtaine d’années qui rappait en dialecte du Shandong. C’était très cool, très frais. Je pense donc que je suis proche de la jeunesse, mais par contre, je ne veux pas me presser de sortir des morceaux à tout prix. Comme je le disais plus haut, j’aime les classiques, j’écoute Stravinsky, Malher, etc… Le Sacre du printemps me donne toujours envie de pleurer.
Discographie
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don