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ChaCha, rappeuse hybride de l’ère internet

ChaCha en veste militaire.
ChaCha en veste militaire. (Copyright : Force Focus)
Voilà longtemps que les nuits de Chine ne sont plus aussi câlines et gnangnans que le voudrait la chanson. Après les rockeurs, ce sont les DJ et les rappeurs qui mènent la danse. Silhouette fragile mais déterminée, voix suave et « flow » en mandarin incomparable : notre défricheuse de sons, Leo de Boisgisson, nous raconte sa découverte de la belle ChaCha depuis la scène underground de Shanghai aux scènes du monde entier.
Pendant des années, j’ai toujours apprécié la vitalité de la scène rock de Pékin mais déploré le manque de hip hop et de musiques urbaines en général. Bien sûr il y a quelques figures qui méritent d’être citées, mais j’ai toujours trouvé les rappeurs moins prolixes que leur confrères rockeurs qui eux n’ont jamais eu peur d’expérimenter.

De la cave du Shelter à Shanghai

Sans surprise, c’est à Shanghai que j’ai découvert ChaCha, égérie des nuits underground de cette grande ville insomniaque. A l’époque je m’occupais moi-même d’organiser des tournées et des soirées pour des artistes qu’on pourrait estampiller « urbain », j’ai donc pas mal fréquenté les lieux et rencontré les figures locales de cette scène. En 2006, il y avait un bar bizarre aux murs suintant d’humidité situé dans un ancien abri atomique qui s’appelait le Blue Ice. En 2007, une nouvelle équipe reprend cette espèce de tunnel sombre, l’équipe d’un système son digne de ce nom et le Shelter est né.
Straightoutashanghai, par ChaCha.
Straightoutashanghai, par ChaCha. (Copyright : 3eyenut)
Très vite le hip hop, le reggae, la « bass music » d’influence anglaise y trouve leur « refuge ». C’est là que j’ai vu ChaCha pour la première fois. A l’époque, elle était dans sa période reggae-dub : bandeau vert-jaune-rouge, pantalon de treillis large, elle paraissait très jeune, et pourtant elle est plutôt à l’aise au micro, aux côtés de Ranking Joe, une référence du dance hall jamaïcain des années 70-80. Sa voix mélodieuse se mariait très bien au groove tropical de son aîné. On sentait qu’elle avait encore à apprendre mais que le potentiel était là.
A voir et écouter, ChaCha et Ranking Joe, « One day you’ll know » :

… aux scènes européennes

A partir de ce moment-là, je n’ai cessé de suivre l’actualité de ChaCha. Les réseaux sociaux aidant, je remarque que la jeune femme signe de plus en plus de collaborations avec une variété impressionnante d’artistes et producteurs. A partir de 2009, en plus de ses apparitions régulières dans les soirées shanghaïennes, des producteurs internationaux font souvent appel à elle : les fers de lance du dubstep anglais Kode9 et Space Ape l’invite à collaborer sur plusieurs de leurs morceaux, puis c’est le Jazzman finlandais Jimy Tenor, puis les allemands de Jahtari. Depuis l’agenda ChaCha fait le plein.
Affiche du China Tour de ChaCha.
Affiche du China Tour de ChaCha. (Copyright : ChaCha & Aivilox)
On peut dire qu’elle a de la chance. ChaCha est jeune et belle à un moment où la jeunesse chinoise s’individualise, consomme, s’amuse, fait des choix, à un moment aussi où Internet rétrécit les distances avec le reste du monde. Et puis bien sûr, ChaCha a du talent : elle parle mieux anglais que beaucoup de ses congénères mais elle choisit délibérément de chanter et rapper en chinois, une marque d’authenticité qui fait la différence.
En 2011, elle se retrouve à Madrid suite à l’invitation de la Red Bull Academy, une référence pour les artistes des scènes urbaines et électroniques – la dernière édition s’est tenue à Paris le mois dernier. Elle est la première Chinoise à y participer. Elle y apprend beaucoup.

« Flow » en mandarin et styles croisés

Apprendre est un mot que ChaCha utilise souvent, comme beaucoup de créateurs chinois. Est-ce la reconnaissance tacite que l’histoire culturelle de la Chine a été interrompue et qu’il faut rattraper le temps perdu ? Ou l’humilité simple des bons élèves ? Quoi qu’il en soit, ChaCha ne parle pas beaucoup du passé, elle s’enthousiasme davantage du présent et du futur. Le présent, c’est la technologie, la musique qu’on produit à la maison, qu’on s’échange sur le net avec des producteurs basés à quelques fuseaux horaires, des fichiers a capella qui passent par les mains d’artistes avant de finir sur des vinyles distribués en Europe.
ChaCha et DJ Aivilox.
ChaCha et DJ Aivilox. (Copyright : ChaCha & Aivilox)
ChaCha est un hybride de l’ère Internet, c’est sûr. On la trouve sur la Toile sous divers pseudo, un pour chacun de ses projets musicaux, AM444, ChaCha ou Faded Ghost. AM444, c’est le duo plutôt trip hop qu’elle forme avec le producteur J. Soul basé à Amsterdam. Sous le nom de ChaCha, elle met plutôt en avant les projets hip hop et reggae et les collaborations avec Xiao Laohu (J Fever), Webber ou Along, figures montantes de la scène hip hop pékinoise ou cantonaise, tandis que Faded Ghost est un projet plus expérimental. Personnellement, j’ai toujours aimé et respecté ChaCha pour son « flow » en mandarin. Non seulement elle est pour ainsi dire la seule femme à évoluer dans le milieu du hip hop chinois mais en plus, elle a une habilité impressionnante à manier et à fluidifier le chinois le rendant presque familier aux oreilles néophytes.

L’épisode Matthieu Chedid

AM444 avec M (Mathieu Chedid) à Pékin
AM444 avec M (Mathieu Chedid) à Pékin. (Copyright : Benoît Florencon)
C’est sous le nom de AM444 que Chacha a collaboré avec Matthieu Chedid en 2014. La rencontre du duo et de -M- est un peu une allégorie des relations interculturelles à l’ère d’Internet. Lors de la préparation de sa deuxième tournée chinoise, le chanteur-compositeur français avait écouté le premier album de AM444, Eye Wonder (voir et écouter ici), et s’était entiché d’un morceau en particulier : Shen Jing Mo Shao, une ballade aux sonorités dub. Quelques mois plus tard, -M- avait injecté au morceau sa voix sexy et sa guitare diabolique et transformé le tout en une chanson hyper sensuelle, « Détache-toi » en conservant les paroles et la voix de ChaCha en chinois. Le résultat était étonnant mais vraiment bien.
A voir et écouter, « Détache-toi » par AM444 feat. M :
Le plus drôle c’est que ni ChaCha ni J.Soul n’avaient entendu parler de -M- auparavant. Ils l’ont découvert sur Wikipédia et Youtube et à peine quelques mois après, ils partageaient, un peu intimidés, la petite scène du VOX club à Wuhan avec la vedette française. Cette rencontre a généré plusieurs passages en Europe, concerts, résidences et autres festivals… ChaCha n’a pourtant pas encore vraiment percé en Europe, il reste encore beaucoup de travail pour y bâtir une carrière. Mais cela ne semble pas l’affecter outre mesure ; ce qui l’intéresse, ce sont les communautés, pas le marché : « La Chine d’aujourd’hui est très excitante. Je viens de faire une tournée de neuf villes avec ma copine Dj Aivilox. On a été dans des villes où nous n’avions jamais mis les pieds. On s’est rendu compte qu’on y avait un public, que les gens connaissaient notre musique. C’est génial. »

Tournée mondiale et fondue chinoise

ChaCha et RootwordsPaleo.
ChaCha et RootwordsPaleo. (Copyright : Aurélien Foucault)
Il est vrai que le contexte est particulièrement clément pour la chanteuse actuellement et que faire carrière en Angleterre ou aux Etats-Unis n’est plus une fin en soi dans le monde hyper globalisé et hyper connecté qu’est le sien. D’ailleurs en ce mois de décembre, elle n’aspire qu’à prendre un peu de repos. Depuis cet été, elle n’a pas arrêté : des dates en Russie, en Europe, une collaboration avec le rappeur américain Rootwords sur la scène du festival Paléo (Suisse), un passage à Atlanta avec Big Boi le producteur du mythique groupe Outkast dans le cadre des Converse Rubers Tracks Project, un enregistrement avec le rappeur pékinois JahJahwayetc… ChaCha n’a qu’une envie : rentrer dans le Guizhou, province du sud où elle a grandi, prendre du temps avec ses parents et manger une fondue très très épicée !
A voir, ChaCha/IN3 and Big Boi/Father à Stankonia au Converse Rubber Tracks :

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A propos de l'auteur
Basée en Chine pendant 16 ans où elle a passé sa post adolescence au contact de la scène musicale pékinoise émergente, Léo de Boisgisson en a tout d’abord été l’observatrice depuis l’époque où l’on achetait des cds piratés le long des rues de Wudaokou, où le rock était encore mal vu et où les premières Rave s’organisaient sur la grande muraille. Puis elle est devenue une actrice importante de la promotion des musiques actuelles chinoises et étrangères en Chine. Maintenant basée entre Paris et Beijing, elle nous fait partager l’irrésistible ascension de la création chinoise et asiatique en matière de musiques et autres expérimentations sonores.
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