Kyushu secoue les chaînes globales de valeur
L’impact industriel du double séisme de Kyushu est plus grave. Il a aussitôt fait chuter le cours des actions de grandes entreprises affectées par l’arrêt de plusieurs usines situées dans l’île. Faute de pièces détachées, Toyota a stoppé durant une semaine l’assemblage de ses voitures, Honda celui de ses motos et l’industrie automobile coréenne (l’île est à 150 km de Busan) a également été affectée.
Depuis les années soixante, les industries traditionnelles de Kyushu ont cédé la place à l’électronique. Les disponibilités en terrain et en eau, ainsi qu’une main-d’œuvre meilleur marché, ont attiré les grands fabricants de semi-conducteurs. Kyushu est devenue la « Silicon Island » du Japon et on y produit près d’un tiers des circuits intégrés de l’archipel. Alors que de nombreuses usines ont délocalisé une partie de leurs fabrications de semi-conducteurs, leurs fournisseurs d’équipement sont restés dans l’île, d’où ils exportent à leurs clients implantés en Asie. Parmi ces fournisseurs, certains occupent des situations de quasi-monopole sur des niches comme les capteurs d’image de smartphone. Les deux séismes ont détruit un certain nombre d’installations et les dégâts provoqués dans les infrastructures ont freiné les exportations.
Les chaînes de valeur
Ces événements ont conduit nombre d’entreprises à s’interroger sur le bien-fondé de la fragmentation des chaînes de valeur, qui s’est particulièrement propagée en Asie. Une chaîne de valeur implique des échanges de composants, de sous-ensembles et de services (dont les tests) réalisés dans divers pays, pour aboutir à l’assemblage d’un bien complexe – une automobile, un téléviseur, un téléphone ; l’assemblage ayant lieu dans le pays situé à la fin de la chaîne.
Les premières chaînes se sont construites dans l’automobile aux Etats-Unis et l’industrie électronique a suivi ce modèle en éclatant la chaîne de production au niveau international dès les années 1960. Les entreprises américaines ont ainsi commencé à délocaliser l’assemblage de produits à Taïwan, Singapour, Penang et en Corée, à partir de composants exportés des Etats-Unis. Elles ont ensuite choisi de fragmenter et de délocaliser divers segments. Ensuite, cette organisation a été adoptée par les entreprises japonaises qui ont délocalisé massivement après la réévaluation du yen, puis par les firmes coréennes et taïwanaises. Ces entreprises ont réparti entre les pays chacune des étapes – fabrication, test, assemblage de la production – en fonction des niveaux de coûts salariaux, de la qualité des infrastructures et des incitations fiscales. Une organisation reprise par la construction automobile qui a implanté des lignes de fabrication de pièces, et de sous-ensemble dans les divers pays asiatiques. En multipliant les sites, cette organisation a contribué à dynamiser les échanges intra-asiatiques : on a souvent comparé l’Asie à un circuit intégré. Jusqu’à ces dernières années, le commerce lié aux chaînes de valeur était plus important et augmentait plus vite que le commerce de produits simples.
Un nouveau paradigme ?
Dans ces conditions, si les chaînes de valeur fragmentées, dont les fragilités sont avérées, offre moins d’avantages, les entreprises chinoises qui s’internationalisent pour surmonter les hausses de coût, pourraient hésiter à adopter ce système. Ce serait alors une fort mauvaise nouvelle pour les pays asiatiques et africains. Ces derniers, en effet, attendent un grand déménagement de l’industrie chinoise analogue à celui qu’avait précipité l’endaka, la réévaluation du yen au Japon il y a trente ans.
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