Politique
Photoreportage

Les Taïwanais restent confiants malgré la pression de la Chine

Mesure sanitaires oblige, la foule n’était pas admise le jour de la fête nationale, le 10 octobre 2021 autour du palais présidentiel à Taipei, barricadé à près de 500 mètres à la ronde. Sur invitation, quelques personnes ont été autorisées à assister à la cérémonie à des places bien définies. (Copyright : Daniel Ceng)
Mesure sanitaires oblige, la foule n’était pas admise le jour de la fête nationale, le 10 octobre 2021 autour du palais présidentiel à Taipei, barricadé à près de 500 mètres à la ronde. Sur invitation, quelques personnes ont été autorisées à assister à la cérémonie à des places bien définies. (Copyright : Daniel Ceng)
Atmosphère enthousiaste à Taipei pour la fête nationale, malgré une escalade de tensions entre Taïwan et la Chine populaire. Les récentes démonstrations de force de Pékin, décidé à réunifier l’île de 23 millions d’habitants au territoire chinois, n’ont pas perturbé le déroulement des festivités. Les Taïwanais venus assister aux célébrations se disent confiants dans leur avenir. Rappelant la réponse exemplaire du pays à la pandémie de Covid-19, la présidente Tsai Ing-wen a insisté sur les capacités de résilience et d’unité de son peuple : Taïwan, ne « se soumettra pas » face à la pression chinoise.
Double-cliquez sur les images pour les visualiser en plein écran.
Devant le palais présidentiel, journalistes et « invités VIP » sont rassemblés sous un soleil de plomb, le matin de ce dimanche 10 octobre. La cérémonie du « double 10 » s’ouvre sur un orchestre symphonique. S’ensuivent danses hip-hop, démonstrations d’arts martiaux et autres spectacles acrobatiques. Mais ce que tout le monde attend, c’est le discours de la présidente Tsai Ing-wen, au lendemain d’une allocution émise par le numéro un chinois Xi Jinping. Un discours dans lequel il a réitéré sa détermination à réunifier Taïwan à « la mère patrie » et qualifie l’indépendance de l’île de « grave danger caché » (严重隐患).
« Nous sommes Taïwan (We are 台灣) ». Comme un avant-gout de la teneur du discours à venir de Tsai Ing-wen, la banderole qui vient clore les démonstrations de l’équipe de taekwondo est visible depuis la caméra aérienne surplombant la scène. Vient ensuite le discours du président du Parlement Yu Shyi-kun, qui n’a pas manqué d’adresser ses salutations en quatre langues taïwanaises différentes. Soulignant la force démocratique et la résilience taïwanaises face au Covid-19, il réaffirme l’importance de la participation de Taïwan aux organisations internationales. Son discours se clôt sur un groupe musical représentant les différentes ethnies indigènes de Taïwan. La présidente arrive enfin.
Dans son discours pour marquer la fête nationale, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a rappelé son attachement à la souveraineté, à la liberté et à la démocratie de Taïwan. (Copyright : Daniel Ceng)
Dans son discours pour marquer la fête nationale, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a rappelé son attachement à la souveraineté, à la liberté et à la démocratie de Taïwan. (Copyright : Daniel Ceng)

Contexte

On l’appelle aujourd’hui la fête nationale de Taïwan. Le « Double Dix », pour 10 octobre (10/10), marque l’anniversaire de la Révolution de 1911, la « révolution Xinghai » (辛亥革命) qui a mené au renversement de la dernière dynastie, le 12 février 1912. Paradoxalement, à cette époque, Taïwan, sous mandat japonais, n’était pas intégrée au territoire chinois. Les célébrations ont été importées sur l’île par le gouvernement de République de Chine lorsqu’elle a été rétrocédée au continent en 1945. 76 ans plus tard, c’est seulement sur cette île désormais démocratique que cet anniversaire continue d’être célébré comme une fête nationale. En République populaire de Chine, le jour est également commémoré, mais ne constitue pas un jour férié.

Les tensions se sont accrues, entre Pékin et Taipei, entre le 1er octobre, qui constitue la fête nationale en République Populaire de Chine et le 10 octobre. Du 1er au 4 octobre, plus de 150 avions militaires chinois sont entrés dans la Zone de d’identification de défense aérienne de Taïwan (ADIZ). Des incursions inédites jusqu’alors. Le 9 octobre, à l’occasion de la commémoration de la révolution Xinghai à Pékin, le président chinois Xi Jinping a réitéré son désir de réunification avec Taïwan.

Dans son discours, Tsai Ing-wen rend hommage au peuple pour sa grande résilience face à l’épidémie de Covid-19 qui a touché l’île au mois de mai : « Durant cette pandémie, nous nous sommes également rappelés de la grande discipline et vertu possédée par le peuple taïwanais. »
« Nous continuerons à renforcer notre défense nationale et montrer notre détermination à nous défendre, a également lancé la présidente, dans le but de s’assurer que personne ne peut forcer Taïwan à prendre le chemin que la Chine a tracé pour nous. Un chemin qui n’offre pas un mode de vie libre et démocratique pour Taïwan. […] Nous n’agirons pas de manière irréfléchie, mais il ne doit avoir aucune illusion : les Taïwanais ne se soumettront pas à la pression. »
Les mots sont à la fois fermes et prudents vis-à-vis du voisin chinois. Tsai Ing-wen a réaffirmé son désir d’entamer des discussions avec Pékin. Comme à son habitude, elle n’a pas prononcé le mot « indépendance ». Mais pour la Chine, s’exprimant via son Bureau des Affaires taïwanaises le lendemain, le discours de Tsai est facteur de confrontation et déforme les faits. Chercher l’indépendance, ajoute Pékin, c’est fermer la porte au dialogue.
L’arsenal militaire déployé est plus important que les années passées. (Copyright : Alice Hérait)
L’arsenal militaire déployé est plus important que les années passées. (Copyright : Alice Hérait)
En réponse à la pression politique et militaire de Pékin, les festivités de cette année ont été marquées par le déploiement d’un arsenal militaire inédit depuis l’époque du président Lee Teng-hui (1988-2000).
Des officiers de l'armée taïwanaise sur des véhicules blindés lors de la célébration de la fête naitonale, le 10 octobre 2021. (Copyright : Daniel Ceng)
Des officiers de l'armée taïwanaise sur des véhicules blindés lors de la célébration de la fête naitonale, le 10 octobre 2021. (Copyright : Daniel Ceng)
(Copyright : Daniel Ceng)
(Copyright : Daniel Ceng)
(Copyright : Daniel Ceng)
(Copyright : Daniel Ceng)
Tsai Ing-wen fait signe aux soldats, sportifs et travailleurs gouvernementaux qui contribuent au maintien du pays lors du défilé de la fête nationale, le 10 octobre 2021 à Taipei. (Copyright : Daniel Ceng)
Tsai Ing-wen fait signe aux soldats, sportifs et travailleurs gouvernementaux qui contribuent au maintien du pays lors du défilé de la fête nationale, le 10 octobre 2021 à Taipei. (Copyright : Daniel Ceng)
Les champions olympiques défilent lors de la fête nationale. En première ligne, Kuo Hsing-chun, médaille d’or d’haltérophilie aux jeux olympiques de Tokyo ​2020. (Copyright : Alice Hérait)
Les champions olympiques défilent lors de la fête nationale. En première ligne, Kuo Hsing-chun, médaille d’or d’haltérophilie aux jeux olympiques de Tokyo 2020. (Copyright : Alice Hérait)
Redescendu au niveau d’alerte 2 au Covid-19 depuis le mois d’août, Taïwan continue d’appliquer des mesures spécifiques de précaution, même si le gouvernement n’avait enregistré aucune contamination locale, dix jours avant le 10 octobre. Mesure sanitaires oblige, la foule n’était pas admise le jour même autour du palais présidentiel, barricadé à près de 500 mètres à la ronde. Sur invitation, quelques personnes ont été autorisées à assister à la cérémonie à des places bien définies. Le grand public pouvait cependant assister à un spectacle de lumière, donné chaque soir pendant la semaine précédant la fête nationale.
« Le double 10 est une fête à laquelle nous nous sentons émotionnellement investis, commente Liao, 62 ans, c’est très important. » Une vision à laquelle n’adhère pas Jiang, une jeune fille de 24 ans, venu assister le 9 octobre au spectacle lumineux : « C’est un jour qui a été établi par la République de Chine. Cela ne compte pas vraiment comme l’anniversaire de Taïwan. Je pense que l’anniversaire de Taiwan est plutôt le 25 décembre : c’est un jour pour les natifs [le 25 décembre 1947 est le jour où la Constitution a été mise en place à Taïwan 行憲紀念日, NDLR]. C’est un jour plus important. Disons que le 10 octobre est le jour commun pour tous les groupes à Taïwan. Pour le Kuomintang venu à Taïwan en 1949, ce jour n’a pas vraiment le même sens que pour les autres. »
La signification pour le Kuomintang de la fête nationale, Zheng, 68 ans, venu lui aussi assister au spectacle de lumière, s’en réclame : « Nous, les Taïwanais, sommes en fait les héritiers légitimes de la culture chinoise. Ce n’est pas le cas du Parti communiste. Ils nous ont pillé notre culture et notre continent. Le PCC promeut désormais une doctrine diabolique. La vraie culture chinoise est à Taïwan. Nous avons hérité de la pensée confucéenne depuis des temps anciens. On n’est pas inquiet [par les pressions de la Chine]. On estime que la justice sera de notre côté. Regardez, en Chine continentale, il y a beaucoup de catastrophes naturelles, mais nous, on estime que ce sont de réelles manquements politiques, des désastres créés par l’homme. Tous les problèmes viennent de la nature du PCC, je pense qu’ils doivent changer. […] Ils contrôlent une terre qu’ils ont volé et l’utilisent pour dire que tout le monde doit promettre d’être loyal à la mère patrie. Mais c’est faux. »
« Aujourd’hui, nous sommes dans une période très tendue, donc particulièrement cette année nous venons participer à cet événement, pour soutenir Taïwan », commente à son tour Gao, 45 ans, dans le carré VIP, le jour de la cérémonie.
Conscients de la menace que constitue la Chine, Zheng, Gao et Liao se disent pourtant confiants dans l’avenir du pays. « Je ne suis absolument pas inquiet, confie Zheng. De plus, je sens que la situation actuelle de Taïwan est un objet de fierté pour tous les Chinois. Elle représente un espoir pour le futur de tous les Chinois et elle permet au monde de voir la vraie nature de la culture chinoise. »
« Le futur de Taïwan est dans les mains du peuple taïwanais. J’ai l’impression que nous comprenons notre pays de la même façon. J’ai donc beaucoup d’espoir quant à l’avenir de Taïwan », soutient Liao. « Je ne m’inquiète pas, rapporte Gao. Nous avons un voisin menaçant, mais nous avons beaucoup d’amis dans le monde entier, on doit coopérer avec eux. »
Même son de cloche pour Jiang, qui pourtant ne porte pas le même attachement à la fête nationale que ses ainés : « Pour l’avenir, je considère que Taïwan est un pays multi-ethnique. Nous l’avons vu pendant la pandémie, nous pouvons travailler ensemble. Si nous avons une difficulté commune, si Pékin nous attaque, clairement tout le monde regroupera ses forces. »
Chaque soir de la semaine précédant la fête nationale, le palais présidentiel offrait un spectacle de lumière, pour promouvoir la diversité de l’île et la résilience des habitants face à l’épidémie de Covid-19. (Copyright : Alice Hérait)
Chaque soir de la semaine précédant la fête nationale, le palais présidentiel offrait un spectacle de lumière, pour promouvoir la diversité de l’île et la résilience des habitants face à l’épidémie de Covid-19. (Copyright : Alice Hérait)
Spectacle de lumière devant le plais présidentiel, la veille de la fête nationale à Taipei, le 9 octobre 2021. Un homme portant une pancarte luminescente rappelle vocalement et visuellement : "Portez un masque, maintenez un mètre de distance." L’écran affiche le désormais célèbre QR code du Centre de control épidémique, scanné plusieurs fois par jour par tous les habitants de Taïwan afin de tracer les clusters, depuis que l’épidémie a touché l’île en mai 2021. (Copyright : William Han)
Spectacle de lumière devant le plais présidentiel, la veille de la fête nationale à Taipei, le 9 octobre 2021. Un homme portant une pancarte luminescente rappelle vocalement et visuellement : "Portez un masque, maintenez un mètre de distance." L’écran affiche le désormais célèbre QR code du Centre de control épidémique, scanné plusieurs fois par jour par tous les habitants de Taïwan afin de tracer les clusters, depuis que l’épidémie a touché l’île en mai 2021. (Copyright : William Han)
Par Alice Hérait (texte) et Daniel Ceng (photos), à Taipei

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Journaliste, Alice Hérait est spécialisée sur les questions contemporaine en Asie-Pacifique, et plus particulièrement sur le monde sinisé. Elle est titulaire du Master Hautes Etudes Internationales (HEI) à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Sinophone, elle a vécu un an à Taïwan, où elle a étudié à l'Université Nationale de Taiwan (國立台灣大學). Elle nourrit un vif intérêt pour les relations entre Pékin et Taipei.
Daniel Shou Yi Ceng est un photojournaliste primé, actuellement basé à Taipei, où il travaille avec des agences telles que the European Pressphoto Agency, The Guardian et Zuma Press. Particulièrement intéressé par les sujets sociaux et de droit humain, les manifestations et la politique, Daniel a couvert plusieurs événements majeurs en Asie, en Inde, en Chine, à Hong Kong et à Taipei.