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Pour faire pièce à Pékin, Joe Biden s’entoure d’experts de la Chine

Le président américain lors d'une conférence de presse au Pentagone, le 10 février 2021. (Source : Axios)
Le président américain lors d'une conférence de presse au Pentagone, le 10 février 2021. (Source : Axios)
Depuis son investiture le 20 janvier dernier, le président américain Joe Biden s’est entouré d’une solide équipe d’experts de la Chine, illustrant sa volonté de faire du lien Pékin-Washington la première de ses priorités et de mieux faire pièce aux ambitions chinoises. Revue de détail.
Les choix du président américain dans quasiment de tous les départements de l’administration montrent un ensemble d’experts de l’Asie de même que des anciens conseillers de l’administration Obama. Ils illustrent également un consensus bipartisan qui s’est accentué sur la conduite à tenir face à Pékin. Ainsi surtout le nouveau secrétaire d’État Anthony Blinken qui a déclaré que la Chine représentait « la plus grande menace stratégique contre les États-Unis ».
« Ce n’est un secret pour personne que la relation entre les États-Unis et la Chine est probablement la plus importante que nous ayons dans le monde tel qu’il existe », avait déclaré à la presse Anthony Blinken le 27 janvier dernier à New York. Elle va façonner une grande partie de notre avenir à tous. »

Task Force

Parmi les décisions de Joe Biden, la création d’une task force sur la Chine au département de la Défense. Elle aura pour mission de rechercher « un effort coordonné de gouvernement et une coopération bipartisane au Congrès de même que des alliances solides et des partenariats », a précisé le président.
Le secrétaire à la Défense Lloyd Austin a déjà expliqué qu’il dirigerait « un focus à l’échelle d’un laser » pour s’assurer du fait que les États-Unis conserveront un avantage compétitif sur la Chine et pourront endiguer les efforts de Pékin pour devenir une puissance mondiale dominante.
Ely Ratner, un spécialiste de la Chine qui a déjà servi comme conseiller à la Sécurité nationale de Joe Biden lorsque ce dernier était vice-président de Barack Obama, devrait être nommé pour prendre la direction de cette task force en tant qu’assistant spécial de Lloyd Austin. Le même Ratner s’était exprimé au cours de l’été 2020 pour appeler les États-Unis à adopter une panoplie multiple de stratégies sur la Chine, y compris celle consistant à bloquer l’autoritarisme de Pékin dans le domaine des hautes technologies et sa position dominante en mer de Chine du Sud. « Une ère nouvelle et différente prend corps entre les ÉtatS-Unis et la Chine » et « Washington doit mettre à jour sa vision des choses », avait-il insisté.
Figurent également au Pentagone la vice-secrétaire à la Défense Kathleen Hicks, pour qui la Chine représente « le défi fondamental de notre temps », de même que le vice-secrétaire adjoint à la Défense Michael Chase, qui s’est distingué par ses recherches sur la modernisation de l’appareil militaire chinois lorsqu’il faisait partie du think tank Rand. S’y trouve enfin le chef d’état-major Kelly Magsamen, ancien vice-secrétaire adjoint pour les affaires de sécurité dans la région Asie-Pacifique.
Au département d’État, outre Anthony Blinken, on trouve Mira Rapp-Hooper qui a publié un article sur la meilleure façon pour Washington de retrouver une primauté militaire et économique afin de mieux endiguer la Chine, de même que Wendy Sherman, comme vice-secrétaire d’État, pour qui le lien entre la Chine et les États-Unis constitue « la relation centrale de notre époque ». Melanie Hart, le choix de Joe Biden pour devenir coordinatrice de la politique chinoise, a co-écrit en octobre un rapport pour le think tank Centre for American Progress dans lequel elle explique la nécessité pour les États-Unis d’adopter une stratégie globale pour contrer les subventions publiques chinoises au géant chinois des télécoms Huawei.
Dans le domaine de la sécurité, le Conseil National de la Défense (NSC) sera dirigé par des experts de la Chine qui se sont tous exprimés à propos du défi chinois. Ainsi Kurt Campbell, l’architecte de la stratégie de Barak Obama de « pivot vers l’Asie », sera le responsable en chef pour l’Indo-Pacifique dans cette organisation. Campbell et Rush Doshi, sélectionné par le président américain pour devenir directeur de la NSC, ont écrit ensemble un article publié en janvier par la revue Foreign Policy dans lequel ils se font les avocats d’un « réengagement sérieux des États-Unis » en Asie dans le but de mettre sur pied « un effort consciencieux visant à dissuader l’aventurisme chinois ».

« Calendrier autoritaire »

Sarah Kreps, professeure de droit à l’Université Cornell, a estimé que l’équipe de la nouvelle administration signale un virage de la politique chinoise des États-Unis à la lumière de l’avertissement déjà exprimé par Joe Biden sur le fait d’une « compétition extrême » à venir avec la Chine. « Tous les signes sont là venant de l’administration que même si beaucoup de responsables sont les mêmes qu’il y a dix ans, les politiques seront différentes, souligne-t-elle, citée par le South China Morning Post. Les détails ne sont pas encore clairs mais le changement de ton comparé à celui de l’administration Obama est sans ambiguïté. »
Sur le plan économique, la nouvelle secrétaire au Trésor Janet Yellen a déjà averti que les États-Unis se préparaient à « faire usage de tous les outils » possibles contre les pratiques chinoises jugées « abusives ». Enfin, la nouvelle ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, une spécialiste de la présence chinoise en Afrique, a déjà souligné qu’elle s’opposerait « au calendrier autoritaire » de la Chine sur la scène des Nations Unies. Son adjoint, Jeffrey Prescott, était vice-conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden lorsque ce dernier était vice-président et est un expert reconnu des affaires chinoises à l’origine de la création du Yale Center Beijing.
Dernière pièce du puzzle, le numéro deux au Trésor, Wally Adeyemo, a déclaré ce mardi 23 février que les États-Unis entendaient tenir la Chine pour responsable de son respect des règles internationales afin de garantir une concurrence loyale pour les entreprises américaines où qu’elles soient. « La Chine est notre concurrent stratégique », a-t-il affirmé, ajoutant que les Américains devaient dorénavant rechercher une coordination internationale pour « démontrer aux Chinois qu’ils sont isolés lorsqu’ils violent les règles ». Si le président chinois Xi Jinping espérait un retour à des relations plus apaisées avec les États-Unis, il risque fort d’en être pour ses frais.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).