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Ce qu’il est vain d’attendre de la Corée du Nord en 2024

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. (Source : Sky News)
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. (Source : Sky News)
Relations inter-coréennes, liens avec Moscou, avenir politique du régime de Pyongyang… Dans cette tribune, Olivier Guillard fait un tour d’horizon de la feuille de route attendue pour 2024 de la Corée du Nord.
*15 sessions de tirs distinctes (SRBM, MRBM, ICBM) entre le 11 février et le 28 novembre 2017. **Echange de critiques acerbes et autres menaces belliqueuses réciproques.
C’était le début de l’année 2018, voilà six longues années déjà. Le monde tournait la page d’un millésime 2017 à maints égards éprouvant dans la péninsule coréenne : tension considérable entre le Nord et le Sud, frénésie balistique nord-coréenne*, 6e essai atomique. Sans parler de la chaotique dynamique américano-nord-coréenne**. Début 2018, donc, la tension retombait brutalement entre le Nord et le Sud, dans une moindre mesure entre Pyongyang et Washington, à la faveur de l’organisation en Corée du Sud des XXIIIèmes Jeux olympiques d’hiver de PyeongChang du 9 au 25 février.
*Voir le documentaire réalisé en 2023 par Pierre Haski, Minju Song, sur cette austère et énigmatique trentenaire redoutée de ses administrés.
Des Olympiades de la paix voulues par le président libéral sud-coréen d’alors, Moon Jae-in, comme le catalyseur d’un jusqu’alors bien aléatoire printemps inter-coréen, d’une détente espérée entre le Nord et le Sud alors au bord du conflit. Des Jeux de la paix auxquels participèrent à la fois les athlètes nord-coréens et auxquels assistèrent la numéro 2 de la dictature héréditaire kimiste : Kim Yo-jong, 36 ans, surnommée la « princesse rouge »*, sœur de Kim Jong-un, l’omnipotent président, secrétaire général du Parti du travail de Corée, commandant suprême de l’Armée populaire de Corée et président de la Commission des affaires de l’État.
En 2024, point d’Olympiades hivernales ou estivales à l’horizon dans la péninsule. Seulement un rendez-vous électoral printanier au sud du 38ème parallèle avec le scrutin législatif d’avril en Corée du Sud, sorte de référendum de mi-mandat pour l’actuel locataire conservateur de la Maison Bleue à Séoul, le chef de l’État Yoon Suk-yeol, élu au printemps 2022, que le régime nord-coréen ne porte pas précisément dans son cœur – et vice versa.
Mais Pyongyang, la capitale la plus isolée, sanctionnée et défiante du concert des nations, voit en ce début d’année plus loin que l’Asie orientale. Elle lorgne avec attention sinon appétit en direction de la lointaine Amérique, laquelle conviera en fin d’année, le 5 novembre ses 168 millions d’électeurs à un 60ème scrutin présidentiel. Une élection nationale déjà annoncée particulièrement tendue et incertaine, qui devrait, sauf coup de théâtre se jouer entre le locataire démocrate actuel de la Maison Blanche Joe Biden et son prédécesseur républicain Donald Trump. Les autorités nord-coréennes espèrent un résultat favorable au camp républicain, Kim Jong-un ne désespérant pas de renouer à terme un dialogue inabouti et laissé en plan en 2019, à l’issue d’un sommet à Hanoi à plus d’un titre décevant, avec son ami et atypique 45ème président des Etats-Unis. Non sans d’évidentes arrière-pensées.

L’improbable « détente » : un printemps coréen 2.0 ?

Si tel devait être le cas, les prémices des rapports entre Pyongyang et Séoul en ce début d’année semblent nous orienter bien loin d’une quelconque et improbable embellie. En témoignent les récentes déclarations des plus hautes autorités nord-coréennes pour s’en convaincre.
« Les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ne sont plus celles d’un même peuple mais sont devenues celles de deux pays hostiles ou en état de combat […]. La Corée du Sud nous a déclaré comme son principal ennemi et a collaboré avec des forces étrangères tout en cherchant l’effondrement de notre régime et l’unification par absorption […]. Nous devons réagir rapidement à une éventuelle crise nucléaire et mobiliser tous les moyens physiques, y compris la force nucléaire, afin d’accélérer les préparatifs en vue du grand événement qui consistera à placer l’ensemble du territoire de la Corée du Sud sous notre contrôle », éructait le 31 décembre Kim Jong-un. Histoire sûrement d’adresser les signaux les plus univoques en direction du Sud et de ne pas laisser la place au doute du côté des colombes de Séoul.
Pour confirmer son propos de la veille, celui qui entamait le mois dernier sa treizième année à la tête de la dictature du Nord et célébrait le 8 janvier dernier ses quarante ans, en rajouta une couche éloquente dès le 1er janvier : « L’environnement sécuritaire critique de la péninsule coréenne se rapproche du bord du conflit armé à mesure que les jours passent et que la nature de la confrontation militaire entre les États-Unis et les autres forces hostiles évolue […]. Si l’ennemi opte pour la confrontation militaire et la provocation contre la Corée du Nord, notre armée doit lui porter un coup mortel pour l’anéantir complètement en mobilisant tous les moyens et toutes les potentialités les plus durs sans la moindre hésitation. »
Ambiance à Pyongyang. Avant de monter crescendo en pression une dizaine de jours plus tard et de muscler plus avant son discours belliqueux à l’endroit du Sud : « Considérant que le « clan » de la République de Corée [Sud] est notre principal ennemi, ce que la Corée du Nord devrait faire en priorité dans ses relations avec l’État hostile est renforcer les capacités militaires d’autodéfense et la dissuasion nucléaire en premier lieu. Si le Sud utilise des forces armées contre la Corée du Nord ou menace notre souveraineté et sécurité et qu’une telle occasion se présente, nous n’hésiterons pas à anéantir la Corée du Sud en mobilisant tous les moyens et toutes les forces dont nous disposons. »
Le quadragénaire précisa encore qu’il ne comptait pas déclencher une guerre unilatéralement, mais qu’il n’avait pour autant « aucune intention d’éviter un conflit également ».
*En référence notamment aux sorties publiques aux côtés de son père de plus en plus fréquentes ces derniers mois d’une des filles de Kim Jong-un, Ju-ae, âgée à peine de 11-12 ans. **Yonhap, 6 janvier 2024.
Une posture pour le moins agressive que les autorités sud-coréennes interprètent de la manière suivante : pour le ministre de l’Unification à Séoul, « La situation domestique du Nord est très difficile […]. On note entre autres une perception populaire très négative vis-à-vis de la succession héréditaire du pouvoir*… L’objectif est de détourner ce mécontentement vers l’extérieur »**.
Notons à ce stade que l’acrimonie marquée du Nord pour le gouvernement sud-coréen ou Washington ne se limite pas en ce début d’année 2024 au seul Kim Jong-un. Sa sœur, l’énigmatique, insondable et redoutée Kim Yo-jong, a déjà donné de la voix à plusieurs reprises, dans une veine là encore aussi limpide que peu encourageante, entre menaces, leçons et ironie entremêlées : « Je salue cordialement l’engagement du président de la République de Corée, Yoon Suk-yeol, de continuer à rendre des « services distinctifs » au développement rapide de la supériorité militaire de notre État au cours de la nouvelle année. » Relevons ici l’emploi nouveau, fort rare jusqu’à ce jour, pour désigner la Corée du Sud, de l’appellation officielle « République de Corée », témoignant d’un changement d’attitude politique et étatique vis-à-vis du voisin méridional avec lequel il ne s’agit a priori plus guère de rechercher à terme une réunification de toute manière bien impensable.
*Qualifié par cette dernière en 2021 de « perroquet élevé par les Américains ».
La veille, Kim Yo-jong s’était déjà illustrée par quelques compliments à l’endroit des autorités sud-coréennes, en stigmatisant plus particulièrement en des termes choisis le chef de l’État actuel ainsi que son prédécesseur à la Maison Bleue, Moon Jae-in* : « Depuis son investiture, [Yoon Suk-yeol] réclame le renforcement de la dissuasion élargie entre la Corée du Sud et les États-Unis et se focalise sur leurs exercices militaires conjoints, plaçant ainsi le destin de la Corée du Sud au bord du gouffre […]. Sa capacité à réfléchir et à raisonner est discutable. »

Les mirages de la dénucléarisation

Appelée depuis des années par l’administration américaine, la dénucléarisation des capacités militaires nord-coréennes n’a pour Pyongyang jamais été une piste de réflexion sérieuse, moins encore une priorité. Et peu importe si cela obère toute décrispation sincère des rapports américano-nord-coréens. En 2024, il n’y a bien évidemment guère de chance que cette posture atomique résolue soit modifiée. Et ce, quelle que soient les éventuelles contreparties avancées par Séoul et Washington.
Pour rappel, en septembre dernier, la Corée du Nord avait amendé sa Constitution pour y inclure le renforcement de sa force nucléaire. Le Nord promulgua une nouvelle loi autorisant le recours préventif aux armes atomiques, s’arrogeant au passage unilatéralement le statut longtemps désiré « d’État nucléaire irréversible ».
*Yonhap, 31 décembre 2023.
Enfin, lors de la récente réunion plénière du Parti des travailleurs, durant laquelle le dirigeant suprême nord-coréen qualifia le voisin méridional « d’ennemi incontestable » du Nord, ce dernier appela de ses vœux à une augmentation « exponentielle » de l’arsenal nucléaire du pays et à la mise au point d’armes nucléaires tactiques* : « Nous devons réagir rapidement à une éventuelle crise nucléaire et mobiliser tous les moyens physiques, y compris la force nucléaire, afin d’accélérer les préparatifs en vue du grand événement qui consistera à placer l’ensemble du territoire de la Corée du Sud sous notre contrôle. » Des desseins et autres velléités par définition antinomiques avec une quelconque dynamique de dénucléarisation.

« Liaisons dangereuses » avec Moscou

Elle est appelée là encore notamment par Washington, Séoul, Tokyo, Kiev et nombre d’autres capitales. La fin de la coopération Pyongyang-Moscou en matière de fourniture de systèmes d’armes et de munitions, dont la presse internationale se fait l’écho de plus en plus souvent depuis la longue visite automnale de Kim Jong-un dans la Russie de Vladimir Poutine l’an passé, ne sera assurément pas pour 2024. Peu importe l’intensité du courroux international à l’endroit de Pyongyang et du régime russe.
« Nos informations indiquent que la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a récemment fourni à la Russie des lanceurs de missiles balistiques et plusieurs dizaines de missiles balistiques […]. Nous estimons que la Russie utilisera d’autres missiles nord-coréens pour cibler les infrastructures civiles de l’Ukraine et tuer des civils ukrainiens innocents », déplorait début janvier un haut responsable du Conseil de sécurité nationale américain.

Prolifération balistique, provocations, intimidations

À deux semaines du crépuscule 2023, sous les yeux du dirigeant suprême et de sa jeune fille, les scientifiques et militaires nord-coréens procédaient au cinquième tir de l’année d’un missile balistique intercontinental (ICBM). Un « spectacle » pour le moins insolite sinon douteux pour une adolescente, fusse-t-elle née au nord du 38ème parallèle.
Le dernier jour de l’année, la presse d’État nord-coréenne, la KCNA (Korean Central News Agency), relatait que lors de la récemment réunion plénière du Comité central du Parti du travail de Corée, Kim Jong-un avait annoncé le lancement en 2024 de trois nouveaux satellites militaires de renseignement suite à la mise en orbite du tout 1er du genre en novembre, tout en souhaitant étoffer en parallèle l’arsenal nucléaire national.
Dans la foulée de cette annonce nord-coréenne, Séoul de son côté avisait de ses projets similaires : mise en orbite courant 2024 de deux satellites de renseignements militaires supplémentaires.
C’est donc sans surprise à une course aux armements et à la poursuite des efforts de prolifération balistique du Nord et autres gesticulations militaires et provocations que l’on devrait assister dans la péninsule cette année. Du reste, le ton a, semble-t-il, déjà été donné la première semaine de janvier avec les trois journées consécutives de tirs d’artillerie au large des côtes nord-coréennes.
*Dont les propos étaient repris tels quels par la presse sud-coréenne (Yonhap, le 4 janvier 2024).
« Le risque d’affrontements sera plus élevé cette année, car les forces d’invasion, telles que les États-Unis et le Japon, s’introduiront dans la péninsule sous les auspices du groupe fantoche sud-coréen et avec sa coopération active, et il est probable qu’elles mettront en œuvre des mesures de guerre provocatrices sans précédent, telles qu’une frappe nucléaire, tonnait début janvier, comme souvent sans grand souci de mesure, la propagande d’Etat nord-coréenne*. Si les États-Unis et le Sud poursuivent des confrontations militaires avec nous, nous n’hésiterons pas à prendre des mesures critiques contre eux avec notre dissuasion nucléaire. »

Elections en Corée du Sud et aux États-Unis

En 2024, la Corée du Nord observera de fort près, interfèrera de diverses manières si elle le peut, commentera en des termes forts sans doute, les scrutins parlementaire printanier au Sud et présidentiel automnal aux États-Unis. Elle tentera de peser d’un certain poids sur les autorités à Séoul et Washington, d’influencer le choix des électeurs idéalement vers les partis et candidats ayant ses « préférences ».
On pense ici notamment à l’opposition libérale au Sud – tout sauf les Conservateurs au pouvoir à Séoul, résumerait assez bien la philosophie générale de Pyongyang sur le sujet. Les autorités nord-coréennes ne font pas mystère de leur préférence pour une alternance politique à Washington, pour la victoire des Républicains sur les Démocrates, pour un possible retour à la Maison Blanche de l’ancien président Donald Trump que Pyongyang semble convaincu de pouvoir à nouveau manipuler à sa main. À tort ou à raison.

Au Nord, la dictature, rien que la dictature, encore et toujours

En novembre, l’implacable dictature héréditaire kimiste a certainement pris de court l’opinion publique internationale avec l’organisation d’un scrutin sur le territoire nord-coréen. Lors d’élections locales nationales, 28 000 ouvriers, paysans, intellectuels et fonctionnaires ont ainsi été élus aux assemblées locales des provinces, villes et comtés, avec un taux de participation électoral qui fera rêver plus d’une démocratie occidentale : plus de 99,6 %.
Fait insolite à relever, pour la première fois depuis la fondation de la Corée du Nord en 1948, certains Nord-Coréens ont même eu la possibilité de choisir entre deux candidats : deux candidates se sont ainsi présentées aux élections primaires du 4 novembre à Hyesan dans la province de Ryanggang, frontalière de la Chine, pour un siège à l’assemblée populaire provinciale. Une incongruité qui, selon les rares médias étrangers se saisissant du sujet, plongea dans la perplexité les électeurs concernés.
Ce scrutin local n’augure bien entendu en rien un quelconque glissement volontaire du régime dictatorial du Nord vers un modèle démocratique prévalant de l’autre côté du 38ème parallèle. De même, les condoléances adressées début janvier par Kim Jong-un au Premier ministre japonais Fumio Kishida peu après le meurtrier et destructeur séisme ayant frappé l’archipel nippon, pour bienvenues et intelligentes soient-elles naturellement, ne duperont personne sur les intentions moins empathiques et plus déstabilisantes qui animeront le régime nord-coréen ces douze prochains mois. Et les suivants.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.