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Entretien

Cinéma coréen : "Comment mettre votre homme enceint" de Gyeongmu Noh, comédie d'animation à caractère social

Extrait du film d'animation "Comment mettre votre homme enceint" de la réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. (Crédits : Korean Academy of Film Arts)
Extrait du film d'animation "Comment mettre votre homme enceint" de la réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. (Crédits : Korean Academy of Film Arts)
Et si les hommes pouvaient eux aussi tomber enceints grâce à un nouveau traitement ? Ne serait-ce pas la solution pour revigorer une natalité coréenne en berne et permettre aux hommes de continuer leur lignée familiale tellement importante en Corée du Sud ? Voici le point de départ de la comédie hilarante de Gyeongmu Noh, Comment mettre votre homme enceint ? Le film, qui n’hésite pas à égratigner gentiment le modèle patriarcal coréen, présente de façon désopilante le parcours d’un mari qui, poussé par la piété filiale, la pression sociale et surtout par sa femme, se lance dans l’aventure de la grossesse à son corps défendant.
Présenté pour la première fois en avril dernier au Festival International de Film de Jeonju (Jeonju IFF), ce court métrage d’animation avait fait forte impression. Le film sera bientôt présenté dans le cadre du 18ème Festival du Film Coréen à Paris lors de la troisième séance de court métrage le 5 novembre prochain. Entretien avec la réalisatrice Gyeongmu Noh.

Entretien

Née en 1989 en Corée du SudGyeongmu Noh a un parcours atypique pour une jeune réalisatrice puisqu’elle a tout d’abord commencé par étudier et travailler dans le domaine de la confection textile, avant de se tourner vers la réalisation d’animation. Diplômée de l’Académie coréenne des arts cinématographiques (KAFA), son film de fin d’études, A Blue Giant, a décroché en 2021 le Prix spécial du jury au Festival international du film de Jeonju. Comment mettre votre homme enceint (How to get your man preganant), lui aussi sélectionné au Jeonju IFF 2023 et au Festival du Film Coréen de Paris constitue son deuxième court métrage d’animation. Gyeongmu Noh est également l’autrice de plusieurs livres illustrés et prépare l’adaptation de How To Get Your Man Pregnant en bande-dessinée.

La réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. (Crédits : Gyeongmu Noh)
La réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. (Crédits : Gyeongmu Noh)
Vous avez un parcours atypique : qu’est-ce qui vous a conduit au cinéma d’animation ?
J’avais l’habitude de créer des livres illustrés et des bandes dessinées sur mon temps libre lorsque je travaillais pour une entreprise de confection textile. Quand j’ai dû faire une pause dans ma carrière pour raison médicale, j’ai entendu parler d’une école de cinéma près de ma ville natale. J’ai vu cela comme l’occasion d’améliorer mes compétences en narration et je me suis inscrite à l’Académie coréenne des arts cinématographiques, également connue sous le nom de KAFA. À l’époque, je n’avais pas conscience que l’animation était un médium complètement différent des livres.
Quelle est la genèse de Comment mettre votre homme enceint ? et pourquoi avoir choisi ce sujet ?
Je devais écrire un synopsis pour mon projet de fin d’études et j’étais complètement désemparée jusqu’à la dernière minute. Finalement, j’ai choisi le thème de la « grossesse » parce que c’était un sujet populaire parmi mes amies. J’ai grandi dans une famille très traditionaliste et patriarcale, et j’ai toujours ressenti de la frustration envers mon père, mes oncles et tout les hommes de ma famille. Je voulais les taquiner et soudainement, ça m’est apparu comme une évidence : je pouvais écrire une situation où c’était les hommes qui devenaient enceints ! Et c’est comme ça que cette histoire a commencé. J’ai ensuite passé environ cinq mois à écrire le scénario, la production principale a duré environ un an, et la post-production a duré environ quatre mois. J’ai mis beaucoup d’efforts à trouver les artistes appropriés pour chaque partie du projet. Presque tous les artistes impliqués dans ce projet ont été recrutés via Instagram. J’ai vraiment apprécié de collaborer avec eux et je suis incroyablement reconnaissant envers toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce film. Je dois d’ailleurs dire que mon assistante pour Comment mettre votre homme enceint ? est également sélectionnée par le Festival du Film Coréen à Paris pour son film Promise dont elle est la réalisatrice et passera dans la même séance [le 5 novembre prochain, NDLR].
Comment votre famille a-t-elle réagi au film ?
J’ai eu peu d’occasions de projeter mon film devant eux. Seules quelques femmes de la famille l’ont regardé, et elles l’ont vraiment apprécié. Quant aux hommes de ma famille, ils sont fiers de moi parce que j’ai remporté des prix mais ils n’ont même pas regardé le film ! Alors, je suis un peu contrariée que ce film leur ait apporté du bonheur.
Extrait du film d'animation "Comment mettre votre homme enceint" de la réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. Jeonghwan est poussé par sa femme Yujin à tomber enceint. (Crédits : Korean Academy of Film Arts)
Extrait du film d'animation "Comment mettre votre homme enceint" de la réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. Jeonghwan est poussé par sa femme Yujin à tomber enceint. (Crédits : Korean Academy of Film Arts)
Comment la question de la maternité est-elle perçue en Corée du Sud ?
La Corée du Sud est actuellement confrontée à l’un des taux de natalité les plus bas au monde. Ce que certains attribuent au fait que les jeunes femmes choisissent de ne pas avoir d’enfants. En 2018, le site du gouvernement a publié une carte infographique affichant le nombre de femmes en âge de procréer dans chaque district de Séoul. Puis la carte a été dépubliée en raison de nombreuses plaintes. Aujourd’hui, la situation continue de se détériorer et même certains hommes choisissent de ne pas avoir d’enfants en raison de la forte compétitivité de la société coréenne. De nombreux jeunes en Corée ne croient plus à la possibilité d’un avenir meilleur. La question est maintenant de savoir qui choisira d’avoir des enfants ou non.
Comment le film a-t-il été reçu en Corée du Sud ?
Jusqu’à présent, le film a été sélectionné par de nombreux festivals en Corée du Sud, y compris les festivals de films de femmes. Il a même été récemment projeté au Mexique où il a été très apprécié. Lors du Festival du Film Indépendant de Jeongdongjin, de nombreuses femmes dans le public ont applaudi et manifesté leur enthousiasme au moment où le docteur Samsin annonce à la télévision le lancement du projet permettant aux hommes de tomber enceints. C’était un moment mémorable et très drôle que je n’oublierai jamais. Beaucoup de spectatrices ont aussi apprécié un dialogue où le mari se voit rétorquer : « Si c’est toi qui accouches, le bébé sera un pur-sang Choi ! » Cette réplique transmet de manière efficace et humoristique le message clé du film : « Si tu veux un bébé, fais-le toi-même ! » [La notion de filiation par le sang et la continuité de la famille par un héritier mâle est une notion encore très importante dans la société coréenne bien qu’elle soit remise régulièrement en question, NDLR] Néanmoins, cela ne veut pas dire que je souhaite retirer aux femmes la possibilité d’avoir des enfants et donner aux hommes l’exclusivité de la grossesse. Je ne voulais pas que ma mère soit prise de regrets en regardant mon film et la fin de l’histoire va dans ce sens. Je souhaite que les femmes puissent avoir l’occasion inestimable d’avoir un enfant qui soit véritablement le leur, mais d’une manière qui promeut la matriarchie.
Extrait du film d'animation "Comment mettre votre homme enceint" de la réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. Le Docteur Samsin est inspiré des Halmeoni Samsin, les divinités protectrices de l’accouchement. (Crédits : Korean Academy of Film Arts)
Extrait du film d'animation "Comment mettre votre homme enceint" de la réalisatrice sud-coréenne Gyeongmu Noh. Le Docteur Samsin est inspiré des Halmeoni Samsin, les divinités protectrices de l’accouchement. (Crédits : Korean Academy of Film Arts)
D’où vient ce personnage du docteur Samsin, qui permet la grossesse aux hommes ?
Dans le shamanisme coréen, les « Samsin » sont trois divinités qui protègent les accouchements. On les appelle les Samsin Halmeoni, les « grand-mères Samsin ». C’était une façon de souligner l’importance et la volonté de protection des accouchements à une période où la médecine n’était pas aussi avancée. Dans mon film, le docteur Samsin est une docteure de génie et en même temps, une déesse qui apparait dans les rêves de Yujin, la femme qui pousse son mari à participer au programme pour tomber enceint.
Quels sont vos projets ?
Il n’y a peu de possibilités de produire des films d’animation en Corée sans le soutien de la production à l’échelle nationale. Malheureusement, bon nombre de ces programmes de soutien ont récemment été supprimés. C’est une situation décourageante pour les cinéastes d’animation coréens. Par conséquent, j’envisage de créer une série de courtes animations à petit budget pour YouTube. Elles seront également dans le genre comédie noire et mettront en scène des chats.
Propos recueillis Gwenaël Germain

Le regard de Julien Chardon, chef programmateur de la section courts métrages du FFCP

« Cette année, le cinéma d’animation prend un tour sans précédent dans le Festival du film coréen à Paris (FFCP) puisque nous avons deux séances focus spécialement dédiées à l’animation. La compétition officielle contient elle aussi de sacrés moments de bravoure puisque nous avons reçu des films d’animations qui durent entre 25 et 30 minutes et qui sont des concurrents très solides pour le prix du meilleur film. Ce sont des histoires très travaillées avec des scénarios poussés, une élaboration graphique et une volonté d’affirmer un caractère qui est vraiment très impressionnante. J’adore tellement ce média mais je me suis parfois trouvé un peu échaudé devant les films d’animations que l’on pouvait recevoir. J’avais l’impression qu’il manquait parfois d’un peu de caractère, que les films auraient pu aller plus loin, qu’il était possible de ne pas faire de film d’animation uniquement pour les enfants, et cette année on est servi. Il y a de très très beaux films, qui sont captivants, émotionnellement touchants. Il y a de la poésie et du talent et c’est vraiment enthousiasmant. Bien entendu, il y a aussi une très belle sélection de films live, avec un peu moins de comédies que l’an dernier, mais où tous les styles sont représentés. Comme tous les ans, nous avons des films de jeunes premiers qui nous permettent d’apercevoir ce que sera le cinéma coréen de demain, mais aussi des films de réalisateurs plus chevronnés qui s’aguerrissent au fil des années et que l’on est heureux de retrouver.

G.G.

Le Festival

Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) (Lien : http://www.ffcp-cinema.com/) fête cette année son 18ème anniversaire et se tiendra du 31 octobre au 7 novembre 2023 au cinéma Publicis. Chaque année, le festival présente aux spectateurs parisien une sélection des meilleurs films coréens de l’année. Lors de cette édition 2023, 21 longs et 56 courts métrages, seront présentés au public parisien qui pourra participer à de très nombreuses sessions de question-réponses avec pas moins de quatorze invités dont le célèbre réalisateur Ryoo Seung-wan (Battleship Island, Escape from Mogadishu) qui viendra présenter son dernier film à peine sorti en Corée du Sud : Smugglers. En plus des nombreux films évènement et de la sélection Paysage, le festival fera de nouveau la part belle à la créativité et à la vivacité des jeunes cinéastes en programmant huit séances de courts-métrages, dont une spéciale halloween, la séance Strangecuts qui s’annonce pleine de frissons, un focus sur l’animation coréenne, mais aussi une rencontre avec la réalisatrice Jo Hayoung qui avait gagné l’an dernier le prix Fly Asiana du meilleur film court avec « Remember our sister », une comédie musicale poignante mettant en avant le sujet des Camp Town, des camps de prostitution au service de l’armée américaine stationnée en Corée du Sud.

(Crédits : FFCP et Cléa Darnaud)
(Crédits : FFCP et Cléa Darnaud)

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.