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Analyse

Chine : la crise économique, prélude d'un hiver politique et social ?

Le président chinois Xi Jinping. (Source : The Telegraph)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : The Telegraph)
Plongée dans une crise économique profonde et durable, conséquence principalement d’une gouvernance devenue l’otage de l’idéologie, la Chine entre dans une période de repli sur soi. Derrière, pointe le spectre d’un long hiver politique et social. Sans compter le risque d’une fuite en avant sur le front extérieur, qui pourrait se traduire par une crispation militaire plus forte encore autour de Taïwan.
Ces derniers mois, quasiment tous les signaux sont passés à l’orange, puis franchement au rouge, pour l’économie chinoise : une croissance économique au plus bas depuis quarante-cinq ans, un chômage des jeunes qui explose, une demande intérieure anémique sinon en panne sèche, des exportations qui régressent, une dette publique devenue colossale, une confiance des investisseurs qui chancèle, des patrons d’entreprises chinoises devenus prudents et attentistes, le tout sur un fond de dégringolade accélérée de la démographie.
À cela s’ajoutent une fuite des capitaux sur laquelle Pékin ne communique plus depuis longtemps mais qui, selon des sources chinoises, serait considérable et le départ de nombreuses entreprises étrangères au profit d’autres pays moins risqués tels que l’Inde ou le Vietnam.
Les investissements directs étrangers (FDI) en Chine sont tombés au plus bas depuis 25 ans, l’année où les statistiques sur ce sujet ont commencé à être diffusées, pour totaliser moins de 4,9 milliards de dollars au second trimestre de 2023. Quant aux entreprises chinoises à l’étranger, elles ont considérablement dévissé pour devenir négatives à -34,1 milliards de dollars, chiffre record, pour la même période, selon des données officielles chinoises cité par Reuters.
« Je n’ai pas un client désireux d’investir en Chine. Pas un seul, déclare John Ramig, de la société Buchalter basée aux États-Unis et spécialisée dans la gestion de portefeuilles, cité par l’agence britannique. Tout le monde souhaite soit vendre ses opérations en Chine ou, s’ils produisent en Chine, ils sont à la recherche d’endroits alternatifs pour le faire. [Cette situation] est dramatiquement différente, comparé à il y a seulement cinq ans. »
Selon une source chinoise informée qui a requis l’anonymat, ces chiffres officiels sont largement sous-estimés et cachent une situation nettement plus grave. Le Financial Times relève pour sa part que les investisseurs étrangers ont vendu pour 12 milliards de dollars d’actions chinoises sur les seules places boursières de Shanghai et Shenzhen en août, un chiffre record depuis que ces statistiques sont publiées en 2014.
Mardi 5 septembre, lors de sa visite en Chine, la secrétaire américaine au Commerce Gina Raimondo avait déclaré que la Chine était devenue un endroit où il était « impossible d’investir » et que pour les entreprises américaines, leurs activités sur le sol chinois étaient devenues trop risquées du fait des contraintes à la fois économiques et politiques.

Gabegie dans l’immobilier

Autre signe d’une situation économique qui continue de s’aggraver : la production industrielle a reculé pour le cinquième mois consécutif en août. Les exportations ont chuté de 23,1 % en juillet en rythme annuel.
Un autre problème croissant est la dette publique et privée chinoise qui, colossale, dépassait 250 % du PIB en 2021. Selon des sources informées, elle dépassait largement les 300 % du PIB à la mi-2023, la dette des gouvernements locaux comptant pour l’essentiel de ce stock. Selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la dette du secteur non financier de la Chine est passée de 17 000 milliards de dollars en 2013 à 52 100 milliards de dollars en 2022.
Dans les régions, la dette est principalement le résultat de projets d’infrastructures pharaoniques inconsidérés et coûteux, financés par des emprunts et alimentés par le boom économique du début des années 2000. Ceux-ci ont généré une gabegie telle que beaucoup de ces infrastructures, aéroports ou autoroutes, sont aujourd’hui en surnombre et pour certaines inutiles.
Cette gabegie a également éclaté au grand jour dans le secteur de l’immobilier où les faillites sont désormais nombreuses et systémiques dans un secteur qui représente à lui seul entre 25 et 30 % du PIB national. Dernière illustration en date, le placement en faillite du géant Evergrande (恒大集团, Hengda) le 17 août 2023. Ce jour-là, Evergrande a officiellement requis son placement sous procédure de faillite aux États-Unis.
Confronté à des dettes de 113 milliards de dollars qu’il était incapable de rembourser et devenu le symbole de la crise du secteur privé de l’immobilier en Chine, il n’avait plus d’autre choix que de se placer sous la protection de la procédure américaine dite de « Chapter 15 » qui gère les cas d’insolvabilité. La crise avait éclaté en 2021 lorsque le géant s’était retrouvé en difficulté avec un endettement abyssal de 300 milliards de dollars lorsque les autorités chinoises avaient décidé de renforcer leur contrôle sur le secteur immobilier.
Ces faillites à répétition dans le secteur immobilier représentent un désastre personnel pour ces centaines de milliers de Chinois, pour la plupart des personnes âgées, qui ont cédé au mirage de la spéculation. Aujourd’hui, ces acquéreurs ont tout perdu : à la fois leurs économies et les revenus qu’ils espéraient retirer de ces placements pour assurer leur retraite. Selon le Financial Times, la crise de l’immobilier en Chine représentera au moins un point de croissance du PIB en moins en 2023. D’autres géants immobiliers sont également en graves difficultés, dont Country Garden qui, pourtant, paraissait jusqu’à récemment encore en bonne santé financière.

Miracle économique terminé ?

La descente aux enfers de l’économie chinoise est pour bonne partie le résultat d’une gouvernance imprudente de responsables grisés par son décollage foudroyant et sa montée en puissance spectaculaire. Elle a aussi et peut-être surtout une autre cause : depuis 2013, Xi Jinping met l’accent sur la sécurité et la stabilité au détriment du développement économique. Mais elle résulte aussi et surtout de l’orientation politique absolutiste voulue par le président chinois depuis son arrivée au pouvoir, qui s’est encore radicalisée lors du XXème Congrès du Parti en octobre 2022. Dans l’entourage immédiat de Xi, rares sont aujourd’hui les experts de la chose économique. Les grands économistes chinois ont soit été écartés, soit ils ont disparu de la scène politique en raison de leur âge.
Comme de coutume, le pouvoir chinois tente de minimiser la crise et accuse les médias étrangers d’attiser les flammes et de noircir la réalité. Xi Jinping, de son côté, a tranquillement déclaré le 22 août que l’économie chinoise fait preuve d’une « forte résilience, un potentiel extraordinaire et une grande vitalité ».
Dans un éditorial publié fin août et intitulé « Le modèle de Xi défaillant – Pourquoi l’économie chinoise ne sera pas réparée », l’hebdomadaire britannique The Economist n’est pas tendre avec la gouvernance chinoise sous Xi Jinping : « Pourquoi le gouvernement [chinois] continue-t-il de commettre des erreurs ? L’une des raisons est que la croissance à court terme n’est plus la priorité du Parti communiste chinois. Les signes sont là : Monsieur Xi croît que la Chine doit se préparer à une économie durable et, potentiellement, à un conflit militaire avec l’Amérique. De ce fait, aujourd’hui il met l’accent sur la poursuite de la grandeur nationale, la sécurité et la résilience. Il est désireux de faire des sacrifices matériels pour réussir ses objectifs. De ce fait, les échecs qui se multiplient semblent moins résulter d’un nouveau coup de projecteur sur le sacrifice à la sécurité nationale qu’un processus de décision défaillant. Ils ont coïncidé avec la centralisation du pouvoir opérée par Monsieur Xi et son remplacement de technocrates par des loyalistes aux fonctions suprêmes. »
« Le fait que les problèmes de la Chine viennent de tout en haut signifie qu’ils vont persister, estime encore l’hebdomadaire. Les prédiction des libéraux sur la Chine ont souvent trahi leurs vœux pieux. Dans les années 2000, les dirigeants occidentaux ont cru à tort que le commerce, les marchés et la croissance allaient encourager la démocratie et les libertés individuelles [en Chine]. Mais la Chine en est maintenant à tester la relation inverse : davantage d’autocratie peut-elle endommager l’économie ? La preuve qui commence à s’imposer est que c’est le cas et que, après quatre décennies de croissance rapide, la Chine entre dans une période de désappointement. »
« En Chine, le virus n’est pas la cause principale du « Covid long » économique : le responsable principal est la réponse du public à un interventionnisme extrême dont le résultat est un dynamisme économique moindre, estime l’économiste américain Adam Posen dans les colonnes du magazine américain Foreign Affairs le 2 août. Avant la pandémie, la grande majorité des foyers chinois et des petites entreprises privées faisaient confiance dans un compromis implicite, « pas de politique, pas de problème », en place depuis le début des années 1990 : le Parti communiste chinois exerçait un contrôle ultime, mais aussi longtemps que les gens restaient à l’écart de la politique, le Parti resterait en dehors de leur vie économique. »
Mais ce contrat non écrit a volé en éclats avec l’arrivée de Xi Jinping et son obsession de contrôler tout. « Ce qui reste aujourd’hui est la crainte largement répandue sans précédent depuis Mao Zedong de perdre ses biens et son train de vie, temporairement ou à tout jamais, sans avertissement et sans recours possible », ajoute l’économiste. Or « une fois qu’un régime autocratique a perdu la confiance des foyers moyens et des entreprises, il lui est difficile de la retrouver. Le résultat est que l’économie du « Covid long » n’est pas simplement un poids sur la croissance. Il va probablement pourrir l’économie chinoise pour des années. »

Problème cyclique et structurel

L’un des scénarios avancé par certains de ces économistes anglo-saxons est une croissance du PIB qui va stagner autour de 2 % ou 3 % dans les années à venir, soit au même rythme que celle des États-Unis. Ce qui fait dire que « le miracle économique de la Chine est terminé », comme le souligne aussi Larry Elliott, spécialiste des questions économiques et rédacteur en chef économique du grand quotidien britannique The Guardian.
Ce qui se passe depuis le début de l’automne 2023 en Chine, dont la faiblesse de la devise chinoise, la chute des prix de vente au détail, les turpitudes du secteur immobilier, « sont tous des signes d’un malaise plus profond qui exigera du Parti communiste au pouvoir d’entreprendre des changements économiques qui demanderont une réduction du contrôle économique rigide », explique Larry Elliott, alors que Xi Jinping « est un homme fort qui n’est pas préparé à accepter des concessions [dans les registres] de la liberté et de la démocratie. Tôt ou tard, la Chine prendra le chemin de l’Union soviétique. » Mais pour aussitôt ajouter que ce scénario noir est à modérer quelque peu car la Chine n’est pas l’URSS de l’époque : non seulement la direction chinoise a tiré les leçons de la chute du régime soviétique, mais l’économie chinoise est tellement imbriquée dans l’économie mondiale que ses réserves de puissance, bien que fortement réduites, n’ont pas disparu.
La plupart des économistes occidentaux estiment que la situation en Chine est différente de la crise financière mondiale de 2008 : les banques chinoises demeurent alimentées par une forte épargne domestique et la Chine détient une montagne d’obligations étrangères, en particulier américaines. Ils estiment néanmoins que cette situation pèsera sur l’économie mondiale puisque la locomotive chinoise est désormais à l’arrêt ou presque.
Stephen Roach, senior économiste du Paul Tsai China Center à la Yale Law School, explique au Nikkei Asia qu’il ne voyait pas venir « un épisode du type Lehman Brothers ». Mais, ajoute-t-il, « la Chine se trouve à un moment pivot de son développement ». Il reste donc que le « miracle économique chinois » s’est bel et bien évanoui pour de bon pour céder la place à une économie en difficulté qui ne retrouvera sans doute pas avant longtemps et peut-être jamais les rythmes de croissance à deux chiffres auxquels les observateurs de ce pays étaient habitués. Certains observateurs notent à ce sujet que le pic de la croissance du PIB chinois a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. La glissade a commencé autour de 2015 et s’est depuis nettement accélérée.
Pour d’autres analystes économiques, la Chine pourrait connaître bientôt sa première véritable crise financière d’ampleur. Ainsi, selon Charlene Chu, une ancienne analyste de Fitch Rating, l’une des grandes agence de notation, « le climat macroéconomique est bien pire qu’il n’a jamais été depuis les réformes et l’ouverture dans les années soixante-dix. Il ne s’agit pas simplement d’un problème, tel que l’effondrement de l’activité dans le secteur de l’immobilier. Nous voyons un problème cyclique et structurel avec des exportations faibles, un problème de confiance » et une dette colossale des gouvernements locaux.
Le plus grave est la confiance, estime Charlene Chu : « La question de la confiance est quelque chose que nous n’avons jamais vu sur une telle magnitude depuis très longtemps. » La crise dépasse largement par son ampleur celle qu’a connu le Japon dans les années 2000, estime cette experte d’origine chinoise. C’est certes une crise « mais à la sauce chinoise. La Chine est un pays beaucoup plus grand avec des niveaux de revenus bien moindres que ceux du Japon à cette époque et sa situation démographique se détériore plus rapidement. Nous nous attendons à une décennie très difficile, à moins que les autorités apportent [des solutions] très agressives en matière de réforme structurelle. »

Ambitions contrariées

« Pendant des décennies, la Chine a dynamisé son économie en investissant dans ses entreprises, ses gratte-ciel et ses routes, expliquent les journalistes Lingling Wei et Stella Yifan Xie dans les colonnes du Wall Street Journal. Ce modèle a suscité une période extraordinaire qui a sorti la Chine de la pauvreté et lui a permis de devenir un géant mondial avec des exportations qui ont submergé la planète. Maintenant, ce modèle est cassé. Ce qui a fonctionné lorsque la Chine s’efforçait de rattraper [son retard] n’a plus de sens maintenant que le pays se noie dans ses dettes et n’a plus rien à construire. Une partie du territoire chinois se retrouve avec des ponts et des aéroports non utilisés. Des millions de logements sont inoccupés. Les retours sur investissement s’effondrent. »
Quel avenir pour le développement économique de la Chine ? Le Fonds Monétaire International (FMI) table sur une croissance du PIB inférieure à 4 % pour les prochaines années. La prévision du centre de recherche Capital Economics basé à Londres est d’environ 2 % en 2030. Ces prévisions rendent l’objectif retenu par Xi Jinping qui est de doubler la taille de l’économie chinoise d’ici 2035 impossible à atteindre. Ceci « pourrait signifier que la Chine ne va jamais dépasser les États-Unis et devenir ainsi la plus grand économie du monde, son ambition qu’il nourrit de longue date », expliquent ces deux journalistes.
Si la Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde, la réalité d’aujourd’hui est celle-ci : les États-Unis qui comptent pour 4 % de la population mondiale représentent environ 25 % du PIB de la planète, à comparer avec respectivement 25 % et 18 % pour la Chine. Le revenu annuel par habitant de la Chine est de quelque 13.000 dollars (64ème rang mondial) contre 76.000 dollars pour les Etats-Unis.
Sur le plan de la démographie, doublée en avril dernier par l’Inde devenue le pays le plus de la planète, la Chine vieillit à un rythme très élevé, l’un des plus élevé du monde. En 1979, date à laquelle Pékin avait adopté la politique d’un enfant par famille, l’âge moyen de ses habitants était de 20 ans. Il serait de 40 en 2024 et, sur la base des projections actuelles, 39% de sa population aura largement dépassé l’âge de la retraite en 2050.
Ceci fait dire aujourd’hui à la plupart des économistes sérieux que la Chine non seulement ne parviendra pas à une croissance de 5 % en 2023, son objectif officiel, mais qu’en outre, elle ne sera pas la première puissance économique du monde dans un avenir prévisible. « L’approche la plus réaliste est que la Chine ne rattrapera probablement jamais la puissance des États-Unis et, de façon plus claire encore, ne la dépassera pas », écrit même Loren Thompson, chercheur senior de l’Institut Lexington dans un article publié le 25 août par la revue américaine Aerospace and Defense.
En attendant, cette évolution apporte un démenti cinglant à ceux qui, ces dernières années encore, prédisaient une hyperpuissance chinoise invincible qui prendrait nécessairement la tête du monde devant les États-Unis, dont l’un des chantres les plus vocaux et les plus écoutés était Kishore Mahbubani, politiste de Singapour et auteur du livre Le jour où la Chine va gagner – La fin de la suprématie américaine (éditions Saint-Simon, 2021).
Mais de ces ambitions contrariées naît l’inquiétude chez certains analystes d’une Chine qui s’enfoncerait dans une radicalisation encore plus aigüe de son système politique sous la férule de Xi Jinping. Le président chinois pourrait trouver comme levier un nationalisme exacerbé, comme cela a toujours été le cas en Chine lorsque les problèmes intérieurs s’accumulent.
Sur cette question, son homologue américain Joe Biden a déclaré le 10 août dernier que la Chine était désormais devenue « une bombe à retardement », citant ses problèmes économiques et le vieillissement de sa main-d’œuvre. « La Chine est une bombe à retardement par de nombreux aspects », a-t-il dit lors d’un déplacement dans l’Utah. Du fait de ses difficultés, cela donne des raisons de s’inquiéter car, « quand les personnes mauvaises ont des problèmes, elles font des mauvaises choses ». Joe Biden a toutefois assuré qu’il cherchait à entretenir « une relation rationnelle avec la Chine ». « Je ne veux aucun mal à la Chine, mais j’observe. »

Décision irrationnelle à craindre

Pour certains, le risque existe donc de l’imminence d’un hiver politique et social de longue durée qui se traduirait par un repli sur soi du pays plus prononcé encore, orchestré par ses dirigeants, et des risques de fuite en avant potentiellement dangereuse sur le dossier déjà explosif de Taïwan que Pékin considère comme une simple province et entend « réunifier » par la force si nécessaire.
« Le plus probable est que nous assistions à une fermeture de la Chine sur elle-même, explique à Asialyst Jean-François Di Meglio, président d’Asia Centre et expert de la Chine contemporaine. Ceci avec, peut-être, une réouverture à terme lorsque ces problèmes auront trouvé une solution. Le risque reste cependant que cette méthode échappe au ressentiment populaire et se résume à un discours rassurant mais aussi autoritaire sur le thème : « Les temps sont durs, on va en baver mais le peuple doit rester uni ». Cet exercice difficile, s’il est possible, comporte le risque de voir des gens partir. Ceux qui ne supportent pas une telle situation préfèreraient faire des pieds et des mains pour partir. Quant à ceux qui ne partiront pas, avec une forme de résignation séculaire, ils attendraient des temps meilleurs. Le scénario le plus probable est donc de faire accepter à la population une fermeture sur soi, accepter une croissance plus faible et attendre que cela passe. Ce serait là un scénario à la japonaise associé à une scénario de fermeture à la chinoise. »
Dans cette perspective, de plus en plus nombreux sont les observateurs sérieux à craindre une décision irrationnelle de la part de Xi Jinping s’il devait un jour se retrouver le dos au mur dans son pays, comme l’avait été Mao Zedong en 1966, l’année où il avait décidé de mobiliser des centaines de milliers de jeunes Garde rouges pour conserver le pouvoir coûte que coûte et annihiler par la violence tout forme d’opposition au sein du système.
Que ferait Xi Jinping dans une telle situation, lui qui prend soin de garder un visage paisible et fermé à chaque fois qu’il apparaît dans le paysage public ? Pour ceux qui craignent un tel scénario comme Willy Wo-Lap Lam (林和立), politologue et chercheur à la Jamestown Foundation basée à Washington, l’erreur serait de ne pas s’y préparer. « Aujourd’hui, de nombreux observateurs de ce pays, y compris moi-même, sommes très inquiets de constater que la seule arme dont il dispose encore dans sa boîte à outils est Taïwan, explique-t-il à Asialyst. Il existe plusieurs manières de traiter la question de Taïwan. Le pire des scénarios serait une guerre totale en ordonnant à l’armée une invasion terrestre qui causerait d’énormes pertes en vies humaines. Un autre scénario serait de simplement imposer un blocus maritime et aérien. Mais les États-Unis, le Japon, l’Australie et d’autres pays se sont déjà activement préparés à une telle éventualité. Il faudrait donc que Xi Jinping réussisse à s’emparer de Taïwan par la force en un temps limité. Or ceci aussi pourrait être difficile. Mais c’est bien là un scénario que je redoute. »
Une telle décision serait pour le maître de la Chine la dernière option pour garder le pouvoir. Mais « il ne nous est plus permis de prendre pour acquis le fait qu’il ne prenne que des décisions rationnelles. Ce serait là de sa part une décision irrationnelle comparable à celle de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine, ajoute Willy Lam. Xi Jinping dit à qui veut l’entendre qu’il est opposé à la guerre mais s’il se retrouve un jour le dos au mur, il pourrait recourir au conflit armé contre Taïwan. J’ai longtemps pensé qu’il pourrait lancer l’assaut durant son quatrième mandat entre 2027 et 2032, date à laquelle il aurait 79 ans. Mais cela pourrait se produire plus tôt. La situation se détériore à l’intérieur du pays. Le fait est que le temps joue contre la Chine et il en a parfaitement conscience. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).