Société
Analyse

Chine : près de la moitié des jeunes seraient au chômage

Foire à l'emploi à Tengzhou, district de la municipalité de Zaozhuang, dans la province chinoise du Shandong, le 15 juillet 2023. ((Source : CNBC)
Foire à l'emploi à Tengzhou, district de la municipalité de Zaozhuang, dans la province chinoise du Shandong, le 15 juillet 2023. ((Source : CNBC)
Les chiffres officiels font déjà froid dans le dos. Près d’un quart des jeunes Chinois étaient sans emploi en juin dernier, selon les autorités. Mais en réalité, le taux de chômage des 16-24 ans serait deux fois plus élevé, d’après une économiste de l’université de Pékin.
Le 17 juillet, les autorités chinoises ont publié les chiffres du chômage des jeunes de 16 à 24 ans au mois de juin : 21,3 %. Le même jour, un peu plus tard, Zhang Dandan, professeure associée d’économie à l’université de Pékin, réfute ces données dans un article publié le magazine chinois Cai Xin. Zhang démontre qu’au mois de mars, le taux de chômage des jeunes s’élevait plutôt à 46,5 %, soit loin des chiffres officiels cantonnés à 19,7 %.
Un jeune chercheur en économie, originaire du Zhejiang, interviewé sous couvert d’anonymat par Radio Free Asia, pointe le manque absolu de fiabilité des chiffres publiés par les autorités dans un pays où les informations gouvernementales sont si opaques. « Ces statistiques relèvent d’une manipulation de la société par le gouvernement chinois. L’écart entre la propagande et la réalité n’est pas grand. Mais si les autorités chinoises parlaient sincèrement en diffusant les indicateurs réels, cela provoquerait à coup sûr un accès de panique auprès des investisseurs, ce qui aggraverait un peu plus la crise actuelle et risquerait même de menacer la stabilité politique. »
Que montre l’article de Zhang Dandan ? D’après les chiffres Bureau national des statistiques de Chine, le pays comptait en mars dernier 96 millions de jeunes urbains, entre 16 et 24 ans. Parmi eux, 32 millions font partie de la force de travail disponible, tandis que 64 millions sont hors du marché du travail. Parmi les 32 millions, se distinguent 25,7 millions d’actifs et 6,3 millions de chômeurs. Quant aux 64 millions qui ne travaillent pas, 16 millions ne sont pas scolarisés, la majorité ayant choisi de vivre aux crochets de leurs parents, ou de « tangping », littéralement de « rester allongé », c’est-à-dire s’extraire délibérément du marché du travail et de la société de consommation. Ou bien ils deviennent des « enfants à temps plein » : des enfants embauchés par leurs parents pour en prendre soin. Si l’on considère ces 16 millions de jeunes comme des personnes sans emploi, à ce moment-là, les chiffres du chômage des jeunes en mars, s’élevaient en réalité à 46,5 %.

Concours de la fonction publique

Radio Free Asia cite un jeune homme du nom de Li, originaire de Minan. Il se trouve aujourd’hui aux États-Unis pour ses études. À observer les amis de son âge restés en Chine, il constate qu’une part importante d’entre eux ont choisi de « rester allongés », « tangping ». « Les gens qui « s’allongent » sont très nombreux, ajoute-t-il. À leurs yeux, autant ne pas chercher de travail s’il on n’en trouve aucun de qualité. Certains estiment que de toute façon, avec des parents qui font partie du système communiste, ils n’ont plus qu’à s’allonger. Bien manger, pensent-ils, bien boire, bien se divertir, voilà l’objectif principal de la vie. »
Pour comprendre ce taux de chômage des jeunes très haut, indique Zhang Dandan, il faut remonter à 2020 et aux trois années suivantes, durant lesquelles l’épidémie de Covid-19 a entraîné une chute rapide de l’économie. De plus, à partir de 2021, la multiplication des politiques coercitives visant les secteurs de l’éducation, de l’immobilier et des plates-formes numériques a constitué une attaque en règle contre les principaux pourvoyeurs d’emplois qualifiés. Le développement rapide de l’intelligence artificielle constitue aussi potentiellement un accélérateur du phénomène.
L’article de Zhang Dandan cite encore les chiffres des diplômés chinois en lice pour les concours de la fonction publique. Ils ont connu une forte augmentation entre 2022 et 2023. Auparavant, pour la session de 2019-2021, le nombre d’inscrits au concours de la fonction publique centrale n’atteignait pas 1,5 millions de personnes. En 2022, ce chiffre monte à 2,2 millions et en 2023 à 2,5 millions. Cependant, le nombre de postes ouverts est limité à 37 000 places, ce qui est loin de pouvoir pallier le problème du chômage des jeunes. Parmi les amis de son âge, mentionne encore Li, nombreux sont ceux qui aspirent à un travail « stable ». Cependant les postes stables au sein du système ne sont pas à la portée de tous. C’est une des raisons pour lesquelles nombreux sont ceux qui choisissent de « s’allonger ». D’après lui, entre 20 et 30 % des amis de sa génération choisissent de « s’allonger » et renoncent à chercher du travail, selon une estimation raisonnable.
Un fort taux de chômage chez les jeunes urbains depuis le début de l’année, conclut Zhang Dandan, est « à la fois le résultat d’une demande insuffisante ainsi que de contradictions structurelles sur le long terme, et en même temps le fait qu’à court terme, les jeunes diplômés amplifient momentanément cette tendance. » En juillet et août, le taux de chômage des jeunes devrait continuer à augmenter.
Traduit du chinois par Lou Lee Po
L’article original est consultable sur le site de Radio Free Asia.

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A propos de l'auteur
Bonne connaisseuse de la Chine, Lou Lee Po parcourt ce pays depuis une quinzaine d'années. Ses thèmes de prédilection : les droits des femmes, le tourisme et la culture chinoise.