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L'Inde, la présidence du G20 et le défi énergétique

À l’été 2021, le Premier ministre indien Narendra Modi a lancé la mission "Green Hydrogen" dans le but de faire à terme de la patrie de Gandhi et Nehru une plaque tournante pour la production et l'exportation d'hydrogène vert. (Source : Millenium Post)
À l’été 2021, le Premier ministre indien Narendra Modi a lancé la mission "Green Hydrogen" dans le but de faire à terme de la patrie de Gandhi et Nehru une plaque tournante pour la production et l'exportation d'hydrogène vert. (Source : Millenium Post)
Le 1er décembre dernier, l’Inde, pour la première fois de son histoire, accédait à la présidence du G20. Le troisième producteur mondial d’énergies renouvelables, à travers ses initiatives vertes, entend bien ainsi nourrir son soft power et recueillir quelques dividendes extérieurs en retour.
*Lundi 19 décembre, l’Air Quality Index (AQI) bascula temporairement dans la catégorie « sévère ».
Phénomène observé à pareille période chaque année alors que les températures minimales se rapprochent au plus froid de la journée du 0° Celsius, ces derniers jours, la capitale indienne a connu un épisode de pollution de l’air marqué*, relayé par les médias nationaux et étrangers dans des clichés éloquents.
*Avant de gagner le 1er rang d’ici l’été 2023. **Selon The Lancet, la pollution fait a minima annuellement 9 millions de victimes prématurées dans le monde. 90 % des décès liés à la pollution surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. ***Le Figaro, 9 février 2021.
La « plus grande démocratie du monde », deuxième démographie mondiale*, cinquième économie de la planète et cinquième nation exportatrice d’Asie, se sait naturellement en situation fragile sur la question sensible du niveau de pollution (de l’air notamment) et de ses incidences sur la santé des individus. Fin 2022, en Asie comme ailleurs**, elle n’est bien entendu pas la seule dans ce cas. En France, la pollution de l’air provoquerait annuellement le décès prématuré d’environ 100 000 personnes***.
*Yonhap News Agency, 25 novembre 2022. ***The Hindu, 12 décembre 2022.
Si les médias internationaux se sont donc en début de semaine brièvement attardés sur le sujet – après en avoir fait tout autant pour la Chine et la Corée du Sud peu avant** -, la presse internationale s’est en revanche montrée moins attentive sinon franchement absente quand le Parlement indien, une semaine plus tôt à peine (le 12 décembre), adoptait l’Energy Conservation (amendment) bill 2022. Ce projet de loi vise à promouvoir les énergies renouvelables ces cinq prochaines années et à impulser un élan aux efforts déployés par l’Inde pour promouvoir des sources d’énergie plus vertes***. Pour New Delhi, d’ici 2030, la part des énergies renouvelables et des combustibles non fossiles dans la production nationale d’électricité devra atteindre le seuil symbolique des 50 %.
Le dessein est louable autant qu’ambitieux. Relevons à ce propos qu’en 2020, la moyenne européenne en la matière se situait en-deçà des 25 % (à 22,1 % pour être précis), la France (19,1 %) ou encore l’Allemagne (19,3 %) se situant ici bien loin des meilleurs élèves de l’UE, comme la Suède (60,1 %).
*Rapport de l’International Energy Agency (IEA) du 16 décembre 2022. **The Straits Times, 16 décembre 2022.
Cette noble ambition indienne de porter à court terme (2030) la part des énergies renouvelables et des combustibles non fossiles à 50 % ne sera guère facilitée par le contexte global contemporain, particulier et ténu, et ses contingences en grande partie le fait du chaos induit sur le marché mondial du gaz par l’aventurisme militaire russe en Ukraine et ses ondes de choc considérables sur les grands équilibres économiques internationaux. Ainsi, en 2022, la consommation mondiale de charbon devrait atteindre un niveau sans précédent*, alimentée notamment par l’augmentation de la demande de charbon en Inde (+ 7 %) et dans l’Union européenne (+ 6 %), que l’on doit principalement au prix élevés du gaz et à la réduction de l’offre par Moscou**.
Sauf à considérer bien sûr que les hostilités en cours en Ukraine impulseront – par la force des choses – un élan décisif en faveur des énergies renouvelables, comme solution partielle mais cruciale à la dépendance des combustibles fossiles et de certains de leurs fournisseurs.

Alliance mondiale des biocarburants

*Selon Forbes (29 novembre 2022), l’économie indienne importe annuellement – auprès de 37 sources distinctes – l’équivalent de 150 milliards de dollars de combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon). **Représentant en 2022 respectivement 12 et 13 % du total, la part des filières photovoltaïque et éolienne est en constante augmentation ces dernières années. ***The Economic Times (Inde), 15 août 2021.
À l’été 2021, le Premier ministre indien Narendra Modi avait lancé la mission « Green Hydrogen » dans le but de faire à terme de la patrie de Gandhi et Nehru une plaque tournante pour la production et l’exportation d’hydrogène vert. Rappelons que l’Inde est aujourd’hui troisième consommateur et importateur mondial de pétrole* dont 55 % de la production électrique** repose sur la filière charbon. Le chef du gouvernement de l’Union indienne a par ailleurs fixé au centenaire de l’indépendance de l’Inde – le 15 août 2047 – l’objectif d’obtenir l’indépendance énergétique nationale***. Pour ce faire, la nation la plus peuplée et développée du sous-continent indien entend opérer graduellement des ajustements dans son modèle de consommation d’énergie, en bonne intelligence avec les défis à venir du changement climatique, une problématique à laquelle l’Inde ne saurait se soustraire.
Dans le même ordre d’idée, en février 2022, le gouvernement indien annonçait la création d’une mission nationale sur l’énergie de l’hydrogène (NHM) censée établir une feuille de route pour l’utilisation à terme de l’hydrogène comme source d’énergie. Dans son édition du 19 décembre, le quotidien indien The Economic Times rapportait l’annonce du ministre indien des Chemins de fer selon laquelle l’Inde mettrait en service son premier train à hydrogène conçu et fabriqué dans le pays d’ici fin 2023.
Le 1er décembre dernier, l’Inde, pour la première fois de son histoire, accédait à la présidence du G20. Au second semestre 2023, il lui reviendra donc le privilège d’organiser sur son sol le sommet des dirigeants du Groupe des vingt, ce forum intergouvernemental créé en 1999 qui rassemble les 19 premières économies mondiales et l’Union européenne – soit 75 % du commerce mondial et 80 % du produit mondial brut.
*The Times of India, 30 novembre 2022.
La presse indienne nous apprenait le mois dernier que sous sa présidence du G20, la troisième économie d’Asie-Pacifique entendait former une « alliance mondiale pour les biocarburants ». Le ministre indien pour le pétrole et le gaz naturel déclara à ce propos que son gouvernement plaiderait pour une telle alliance, s’inspirant en cela du modèle abouti de l’Alliance solaire internationale (ASI)*, une initiative conjointement créée voilà sept ans par l’Inde et la France, sorte de club des nations disposant d’abondantes ressources solaires susceptibles de répondre à leurs besoins énergétiques.
Fort notamment de ses capacités éoliennes (quatrième parc mondial) et photovoltaïques (cinquième parc mondial) démontrées, le troisième producteur mondial d’énergies renouvelables entend bien – ainsi que le souligne son slogan « The Quest for a Sustainable Planet » – mettre à profit la présidence du G20 et ses diverses initiatives vertes pour nourrir son soft power et recueillir quelques justes dividendes extérieurs en retour.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.