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"Missile monstre" en Corée du Nord : l'odeur oubliée du printemps intercoréen

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un au milieu d'officiers de l'armée au lancement, selon Pyongyang, du missile balistique intercontinental "Hwasong-17", le 25 mars 2022. (Source : Infobae)
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un au milieu d'officiers de l'armée au lancement, selon Pyongyang, du missile balistique intercontinental "Hwasong-17", le 25 mars 2022. (Source : Infobae)
Pyongyang poursuit, imperturbable, ses essais de missiles. Le 25 mars, la Corée du Nord a ainsi affirmé avoir réussi le tir du plus puissant missile balistique intercontinental du pays, le Hwasong-17. Ce « missile monstre », capable de porter plusieurs ogives qui suivent une trajectoire indépendante lors de leur rentrée dans l’atmosphère, avait été exhibé pour la première fois en octobre 2020, lors d’un défilé militaire à Pyongyang. Mais ce mercredi 30 mars, le ministère sud-coréen de la Défense a indiqué que Séoul et Washington avaient pu établir que le missile tiré était en réalité un Hwasong-15, déjà testé en 2017. Ces deux types d’ICBM sont potentiellement capables d’atteindre le continent américain. Tout cela procède d’une tendance alarmante de nature à replonger une fois encore la péninsule coréenne dans la tension et les hostilités, souligne le chercheur Olivier Guillard, qui a choisi ici pour sa tribune la forme d’une « lettre ouverte à Kim Jong-un ».
Monsieur le Secrétaire général du Parti des travailleurs de Corée,
Monsieur le Président de la Commission des affaires d’État de la République Populaire de Corée (RPDC),
Il y a à peine quatre ans, se concluaient en Corée du Sud les XXIIIèmes Olympiades d’hiver de PyeongChang auxquelles participèrent les athlètes et officiels de la RPDC. Séoul et Pyongyang profitaient des dividendes d’une « détente » bienvenue, saluée alors par un concert des nations unanime, et d’un « printemps intercoréen » prometteur. Une dynamique positive se faisait jour dans la péninsule coréenne, pour le plus grand plaisir des 75 millions de Coréens et d’une Asie orientale aspirant à la paix, à la stabilité régionale, aux perspectives de coopération et de développement.
En ces premiers jours printaniers de 2022, cette atmosphère hier porteuse d’espérance de concorde et de rapprochement s’est hélas largement dissipée. Au point de redouter un court terme à nouveau crispé autant qu’inquiétant de part et d’autre du 38ème parallèle. Le premier trimestre de cette année a été marqué par la reprise d’une forte activité balistique en RPDC. Son paroxysme fut atteint le 24 mars avec le tir d’un missile balistique intercontinental (ICBM), lequel annula de facto le moratoire unilatéral sur les essais d’ICBM en vigueur depuis 2018. Tout cela procède d’une tendance alarmante de nature à replonger une fois encore la péninsule coréenne dans les affres redoutés de la tension et des hostilités.
Cette sombre perspective ne pourrait in fine qu’apporter appréhension, regrets et probables sanctions supplémentaires. Elle n’a pourtant rien d’inéluctable. Chez votre voisin méridional, le président sortant Moon Jae-in, artisan opiniâtre s’il en est ces cinq dernières années d’une détente intercoréenne et d’une reprise pérenne des interactions entre le Nord et le Sud, est désormais au terme de son unique mandat quinquennal. Il demeurera jusqu’au dernier jour de sa présence à la Maison Bleue en mai prochain convaincu et héraut des bénéfices multiples pour Séoul et Pyongyang d’une logique de dialogue sincère et de coopération. Il restera tout aussi certain des incidences mécaniques – graves et coûteuses – d’une nouvelle détérioration de l’environnement politique et sécuritaire régional, alors même que les événements en cours depuis un mois en Ukraine diffusent à l’échelle mondiale des ondes de choc impossibles à éluder.
De même, depuis l’Europe occidentale d’où sont rédigées ces quelques lignes à votre intention, l’inquiétude gagne du terrain à mesure que la crise et les hostilités produisent quotidiennement leur lot de victimes et de malheurs sur le territoire ukrainien et ses marges géographiques immédiates, où se pressent par centaines de milliers réfugiés et personnes fuyant la guerre et son cortège de douleurs. On ne peut que se montrer préoccupé par l’absence de toute tentative de discussion entre Pyongyang et Washington, de reprise d’un dialogue bilatéral. Tout imparfait était-il en 2018 lors du sommet de Singapour et au début 2019 au sommet de Hanoï, il avait au moins le mérite d’exister et de laisser croire en de possibles lendemains meilleurs et apaisés.
La communauté internationale reste aux prises depuis déjà deux longues années avec une éreintante et ruineuse pandémie. Elle prend parallèlement, chaque jour passant, la mesure de la gravité des événements en Ukraine et de leurs diverses conséquences extérieures. On ne peut raisonnablement penser, Monsieur le Président de la Commission des affaires d’État de la République Populaire de Corée, qu’il n’existe aucune manière mutuellement recevable et acceptable de replacer les rapports entre Pyongyang, Séoul et Washington, sur une trame moins heurtée, plus constructive et responsable. Monsieur le Secrétaire général du Parti des travailleurs de Corée, le monde n’a pas uniquement les yeux rivés sur les capitales ukrainienne et russe.
À Pyongyang se profilent les célébrations du 15 avril pour le 110ème anniversaire de la naissance de votre grand-père et fondateur de la RPDC, Kim Il-sung. Il paraît à la fois opportun et judicieux de privilégier à nouveau une trame moins défiante et plus conciliante, susceptible de renouer le fil, interrompu depuis trois longues années, des rapports entre la RPDC et la communauté internationale. Pour un bénéfice réciproque.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.