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Inde-Pakistan : à l'ONU, Modi et Khan, deux visions de l'Afghanistan

Le Premier ministre indien narendra Modi et son homologue pakistanais Imran Khan à la tribune de l'Assemblée générale des Nations Unies, respectivement les 25 et le 24 septembre 2021. (Source : Scroll.in)
Le Premier ministre indien narendra Modi et son homologue pakistanais Imran Khan à la tribune de l'Assemblée générale des Nations Unies, respectivement les 25 et le 24 septembre 2021. (Source : Scroll.in)
Une tribune, deux messages, deux tons opposés. Le contraste ne pouvait être plus fort entre Imran Khan et Narendra Modi à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies les 24 et 25 septembre derniers. Tout en attaquant violemment le gouvernement de New Delhi, le Premier ministre pakistanais a de nouveau appelé la communauté internationale à reconnaître le nouveau pouvoir taliban à Kaboul. Plus mesuré et tout en allusions, le chef du gouvernement indien a, lui, accusé sans le nommer le Pakistan d’exploiter la situation chaotique en Afghanistan.
*Ni Paris, ni Washington ne prétendront dernièrement le contraire, tous deux s’employant à densifier leur partenariat avec New Delhi dans un contexte crispé et incertain vis-à-vis de Pékin. **À l’image de sa participation il y a deux semaines à la réunion du « Quad », dialogue quadrilatéral de sécurité sur l’Indo-Pacifique, et notamment l’agenda de la Chine, initié en 2007, aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie. ***Durant le seul mois d’août, le Pakistan a déploré une trentaine d’attentats terroristes attribués majoritairement aux talibans pakistanais (TTP), visiblement « inspirés » par le succès de leurs cousins afghans. ****En témoigne l’annulation par les Britanniques et les Néo-Zélandais de la tournée – à quelques jours avant l’événement – de leur équipe nationale de cricket au Pakistan, pour raison de sécurité.
Avant même les événements et autres interventions publiques – fort douteuses sinon outrancières et condamnables pour certaines d’entre elles – de ces derniers jours, le contraste pouvait déjà difficilement échapper à l’observateur familier des choses du sous-continent indien. D’un côté, toute rudoyée soit-elle depuis 18 mois par la pandémie de Covid-19 et ses multiples incidences sur la population et l’économie, la démocratie indienne, cinquième économie mondiale et partenaire international courtisé*, est décidée à occuper la place et l’espace dus à son rang, à remplir ses obligations de membre responsable et pondéré du concert des nations**. De l’autre, sa voisine occidentale immédiate, la République islamique du Pakistan, s’est certes dernièrement félicitée du retour des talibans à Kaboul le 15 août mais paie déjà mortellement le prix sur son propre territoire*** du renouveau obscurantiste en terre afghane. Un voisin pakistanais plus déserté**** et condamné par l’opinion publique internationale, entre autres, que recherchée, et dont les propos du Premier ministre en fin de semaine dernière à la tribune de l’ONU ne contribueront certainement pas à rétablir une image déjà passablement écornée.
« L’idéologie haineuse de l’Hindutva, propagée par le régime fasciste du RSS-BJP, a déclenché un règne de peur et de violence contre la communauté musulmane indienne, forte de 200 millions de personnes. La forme la plus grave et la plus répandue d’islamophobie règne désormais sur l’Inde. » C’est en ces termes inouïs devant l’Assemblée générale onusienne, dans une allocution en grande partie consacrée à justifier le soutien d’Islamabad au premier régime des talibans afghans, l’Émirat islamique, lors du quinquennat 1996-2001, que s’exprima Imran Khan, le 22ème chef de gouvernement pakistanais, au point de choquer, au sein de l’institution universelle qui pourtant en a vu d’autres depuis 1945, le parterre de diplomates présents.

« La paix et la sécurité »

Forcément, en usant d’un langage d’une telle violence – qui plus est dans le temple de la bienséance diplomatique mondiale devant la totalité des représentants du monde contemporain -, le reste de l’intervention d’Imran Khan à la tribune de New York peina à être entendu, plus encore à convaincre l’auditoire. En particulier quand le Premier ministre pakistanais assène encore, très en verve, que le concert des nations doit reconnaître le gouvernement taliban « pour garantir la paix et la sécurité » : « Si la communauté internationale incite [les talibans afghans] et les encourage à joindre le geste à la parole, tout le monde y gagnera. »
Visiblement sous pression de satisfaire son opinion publique intérieure et la très influente caste des généraux – tous deux garants du maintien du Premier ministre dans ses fonctions jusqu’au terme de son mandat à l’été 2023 -, Imran Khan se fendit lundi 27 septembre d’une longue tribune publiée dans le Washington Times. Sans employer ici une logorrhée aussi grossière que trois jours plus tôt à New York, il donna encore libre cours à son irritabilité du moment, cette fois-ci à l’encontre du gouvernement américain. Notamment à propos des récentes auditions au Congrès de Washington sur l’Afghanistan au sujet desquelles il s’avoua surpris : « Aucune mention n’a été faite des sacrifices du Pakistan en tant qu’allié des États-Unis dans la guerre contre le terrorisme depuis plus de deux décennies. Au lieu de cela, nous avons été blâmés pour la perte de l’Amérique », considérant que le Pakistan faisait ici figure de « bouc émissaire idéal ».
Relevons également ici que la « voix » d’Islamabad et ses appels divers à la communauté internationale étaient également relayés ces derniers jours par son ministre des Affaires étrangères, particulièrement inspiré lui aussi par la situation. en Afghanistan. Le 20 septembre, Shah Mehmood Qureshi suggérait que les fonds afghans détenus à l’étranger soient libérés au profit du gouvernement taliban actuel – quand bien même ce dernier ne serait pas reconnu. Quatre jours plus tard, le 24 septembre, il déclarait que le représentant actuel de l’Afghanistan à l’ONU, nommé par le gouvernement précédent, devait céder sa place à un nouvel émissaire désigné par les talibans. Si ces suggestions appuyées ne relèvent pas de l’ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain, cela y ressemble pourtant fort.

Fléau terroriste

Inutile de préciser que l’actualité diplomatique et politique de l’Inde de ces derniers jours a, fort heureusement, été d’une toute autre eau. Présent trois jours dans la capitale américaine avant de rejoindre New York et d’intervenir à la tribune de l’AG des Nations Unies le samedi 25 septembre, le Premier ministre indien Narendra Modi a quant à lui profiter d’un calendrier dense et d’échanges au plus haut niveau avec les autorités américaines : réunion à la Maison Blanche avec le Président Joe Biden le 24 septembre – jour où son homologue pakistanais se répandait en politesses à l’ONU -, participation à la réunion du Quad, longs échanges la veille avec la vice-présidente Kamala Harris (d’ascendance indienne), pour le plus grand plaisir des 4 millions de membres de l’importante diaspora indienne aux États-Unis.
Lors de son intervention à la tribune onusienne, le Premier ministre indien adressa notamment un message limpide aux autorités pakistanaises sans les nommer : aucun État ne doit exploiter la situation chaotique du moment en Afghanistan à son avantage. Une façon de suggérer en même temps à la communauté internationale d’agir avec discernement dans ce pays au destin éternellement contrarié. Narendra Modi a par ailleurs insisté sur le fléau terroriste et la nécessité de ne pas relâcher la vigilance à son sujet : « Il est absolument essentiel de s’assurer que le territoire afghan n’est pas utilisé pour diffuser le terrorisme ou pour perpétrer des attaques terroristes. »
La semaine prochaine, Wendy Sherman, secrétaire d’État adjointe de l’administration Biden, sera en déplacement en Asie du Sud. D’abord en Inde les 6 et 7 octobre pour une escale à New Delhi et Mumbai, lors de laquelle elle s’entretiendra notamment avec les autorités puis ira à la rencontre de la société civile et prendra la parole au « Sommet annuel des idées » du US-India Business Council. Dans un second temps, elle se rendra au Pakistan les 7 et 8 octobre. La dernière étape de ce court séjour dans le sous-continent indien offre une opportunité pour les autorités pakistanaises de se montrer sous un jour moins vindicatif, plus responsable. Mais seront-elles seulement désireuses de saisir cette occasion ?
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.