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Covid-19 en Chine : les incertitudes de l’immunité collective

Vaccination de lycéens dans le district de Qianjiang à Chongqing. Photograph: Sipa Asia/Rex/Shutterstock (Source : Guardian)
Vaccination de lycéens dans le district de Qianjiang à Chongqing. Photograph: Sipa Asia/Rex/Shutterstock (Source : Guardian)
La Chine a désormais les capacités industrielles nécessaires pour vacciner l’ensemble de sa population. Avec 100 millions de doses par semaine, son programme massif de vaccination lui permettrait, en principe, d’atteindre le seuil d’immunité collective à l’automne. Mais les experts chinois multiplient les avertissements sur l’efficacité de leurs vaccins. Les débats se développent sur l’idée d’un mixage de vaccins et d’une troisième dose. De son côté, le gouvernement freine les initiatives de vaccination obligatoire menées par certaines provinces face aux réticences d’une minorité de la population chinoise. L’horizon de l’immunité collective s’éloigne.
La Chine s’est efficacement isolée contre les résurgences du Covid-19 sur son territoire et mène un programme de vaccination de très grande ampleur. Elle est en théorie capable de devenir un des premiers pays immunisés au monde. Et pourtant, les experts chinois se préparent à la poursuite d’une bataille de longue haleine.

Capacités industrielles et administratives pour immuniser la population à l’automne

Le 9 juillet dernier, le ministère chinois de l’Industrie annonçait que son pays disposait d’une capacité de production globale de cinq milliards de doses de vaccins contre le Covid-19 pour 2021. Ce qui est suffisant pour fournir à la fois la population chinoise et la quarantaine de pays avec lesquels la Chine a signé des accords de distribution.
Le rythme de diffusion des vaccins se situe par ailleurs depuis mai autour de 100 millions de doses par semaine. Le nombre de vaccins distribués a atteint 1,5 milliards de doses le 24 juillet, et l’objectif officiel consistant à vacciner complètement 70 % de la population chinoise peut être atteint avant fin octobre au rythme actuel du programme de vaccination.
Parallèlement, le système très strict de contrôle et d’élimination des nouveaux clusters maintient le nombre de cas à quelques dizaines par jour. Le pays n’a déclaré aucun mort du coronavirus depuis fin avril 2020, plaçant la Chine à l’écart des nouvelles vagues asiatiques. Autant d’éléments qui pourraient rendre le gouvernement chinois particulièrement optimiste sur sa capacité à éradiquer la pandémie de son territoire, ce qui n’est pas le cas.

Prudence et nouvelles recommandations des experts chinois

Gao Fu, le patron du centre chinois de contrôle des épidémies, avait indiqué le 12 avril dernier en conférence de presse que les vaccins chinois avaient une efficacité insuffisante. Cette déclaration a fait beaucoup de bruit dans la presse internationale, ce qui a conduit Gao par la suite à assuré que ses propos avaient été « mal interprétés ». Gao Fu évoquait par ailleurs l’utilité de mixer différents vaccins et de réfléchir aux délais entre les doses de vaccins.
Deux mois plus tard, le docteur Feng Zijian, ancien directeur adjoint du centre chinois de contrôle des épidémies, admettait que les anticorps créés par les vaccins chinois étaient moins efficaces contre le variant Delta.
Un autre expert reconnu, le professeur Guan Yi, responsable du centre d’étude des épidémies de l’Université de Hong Kong, expliquait dans un long interview à la chaîne de télévision Phoenix que l’efficacité des vaccins est un concept transitoire. Même si elle peut être démontrée initialement, elle peut diminuer de moitié dans les six mois et disparaître au bout d’un an. Le docteur Guan Yi estimait indispensable que la Chine se dote d’un dispositif plus structuré d’analyse des nouveaux variants et poursuive une recherche permanente pour l’adaptation des vaccins.
Gao Fu lui-même annonçait sur CCTV le 21 juillet qu’il avait pris une troisième dose de vaccin. Cette solution de la troisième dose fait l’objet d’études cliniques depuis le mois de mai dans la province du Jiangsu et pourrait devenir la norme dans les prochains mois.
Par ailleurs la Chine s’intéresse de plus en plus aux vaccins à base d’ARN messager. Fosun a signé avec l’aval du gouvernement chinois un accord de sous-traitance avec Pfizer-Biontech pour la diffusion de leur vaccin en Chine. La firme de Shanghai vient d’annoncer que la production de ce vaccin pourrait atteindre un milliard de doses sur le territoire chinois d’ici la fin de l’année, au rythme de 100, puis 200 millions de doses par mois. Selon le media chinois Caixin, ce vaccin servirait de troisième dose pour les citoyens chinois qui ont déjà reçu deux doses de vaccins chinois. L’Université de Hong Kong mène actuellement des études cliniques sur le mixage des vaccins chinois et de ceux à base d’ARN messager.
Par ailleurs, les essais cliniques de phase trois du premier vaccin chinois à base d’ARN messager ont commencé depuis le mois d’avril 2021. Il s’agit d’un vaccin développé conjointement par Abogenbio, Walwax Biotechnologies et l’Institut de médecine militaire de l’Académie chinoise des sciences. Si ces essais sont concluants, une mise sur le marché de ce vaccin est envisageable avant la fin de l’année.

Hésitation sur la vaccination obligatoire

La recherche de l’immunité collective a poussé ces dernières semaines un certain nombre de provinces et de villes chinoises à créer des sanctions pour les retardataires. Le Guangxi et le Henan ont par exemple annoncé qu’elles n’accepteraient lors de la prochaine rentrée scolaire de septembre que les enfants dont les familles sont vaccinées. D’autres régions ont commencé à imposer la vaccination pour l’accès aux lieux publics, aux restaurants et aux commerces. Le comté de Tanghe dans la province du Henan est allé jusqu’à menacer les fonctionnaires et les retraités de la fonction publique de ne plus leur verser de salaire ou de pension s’ils n’étaient pas vaccinés.
Ces différentes initiatives ont soulevé de nombreuses critiques sur les réseaux sociaux chinois. Elles ont été stoppées par le gouvernement, qui ne souhaite pas à ce stade créer de polémique inutile. Les autorités sanitaires chinoises ont déclaré que la vaccination devait être « informée, consentie et volontaire ». Il est vrai que les réticences à l’égard de la vaccination sont beaucoup moins fortes en Chine qu’en France si l’on en croit les sondages réguliers faits pour le compte du World Economic Forum par la société Ipsos. Dans cinq sondages comparatifs réalisés entre juillet 2020 et avril 2021, la proportion de citoyens chinois qui souhaitent se faire vacciner reste stable, autour de 80 %, alors que celle des Français est de l’ordre de 60 %.
Au total, le gouvernement chinois se prépare à une bataille prolongée contre le coronavirus, où l’efficacité décroissante des vaccins actuels doit être compensée par de nouvelles doses, des mixages, de nouveaux vaccins, et où la recherche de l’immunité collective ne doit pas être précipitée au détriment de la cohésion nationale.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.