Culture
Critique de film

Cinéma : "Le Soupir des vagues" de Koji Fukada, l'étranger est aussi japonais

Scène du film "le soupir des vagues" du réalisateur japonais Koji Fukada. (Crédit : DR)
Scène du film "le soupir des vagues" du réalisateur japonais Koji Fukada. (Crédit : DR)
Le 4 août prochain sort au cinéma Le soupir des vagues, un film inédit en France qui vient clore, pour cet été du moins, la rétrospective de l’œuvre du cinéaste japonais Koji Fukada, commencée en mai dernier avec le film Hospitalité. Après avoir longuement détaillé la thématique de l’étranger au sein de la société japonaise, le réalisateur de Harmonium (2016) et L’Infirmière (2020) nous emmène cette fois en Indonésie, suivre les traces de Sachiko, une jeune femme à la recherche de ses racines, et de Laut, un homme étrange qui a été déposé par la mer sur une plage de Sumatra.
Depuis le début de sa filmographie, le cinéaste Koji Fukada, 41 ans, n’a de cesse de questionner le rapport qu’entretient la société japonaise avec autrui. Dans son premier long métrage, Hospitalité (2010), visible en France seulement depuis mai dernier et toujours à l’affiche dans quelques salles, le jeune réalisateur confrontait un couple de la classe moyenne à l’arrivée dans leur quartier d’un groupe de migrants. Dans la joie et la bonne humeur, cette petite troupe venait déstabiliser la vie bien rodée de ces propriétaires d’une imprimerie de quartier. Le film était également l’occasion pour Fukada de dévoiler les travers et les non-dits de la société traditionnelle japonaise en mettant en parallèle les préjugés associés à ces non-japonais avec les difficultés d’intégration de la jeune épouse du couple. Remariée, elle devait de faire face à l’hostilité ambiante.
Un peu plus tard, avec Au revoir l’été (2013), Harmonium (2016) puis L’infirmière (2019), Fukada prolongeait son exploration de la place l’étranger comme autrui, celui du dehors qui vient bousculer les équilibres et attiser le trouble amoureux, questionnant au passage le rôle des femmes japonaises dans la société, puisque toujours définie comme l’autre. Qu’il soit marginal, mystérieux ou mis au banc de la société, l’autre chez Fukada est toujours la cible de préjugés mais agit systémiquement comme révélateur de non-dits préexistants qui viennent remettre en question l’image lisse et polie que la société japonaise souhaite bien se renvoyer à elle-même. Un cinéma critique et hautement symbolique donc, où l’histoire racontée a presque moins d’importance que le monde qui est dépeint.
Affiche du film "le soupir des vagues" du réalisateur japonais Koji Fukada. (Crédit : DR)
Affiche du film "le soupir des vagues" du réalisateur japonais Koji Fukada. (Crédit : DR)

Résumé du film

En quête de ses racines, Sachiko rend visite à sa famille japonaise installée à Sumatra. Tout le monde ici essaie de se reconstruire après le tsunami qui a ravagé l’île il y a dix ans. À son arrivée, Sachiko apprend qu’un homme mystérieux a été retrouvé sur la plage, vivant. Le village est à la fois inquiet et fasciné par le comportement de cet étranger rejeté par les vagues. Sachiko, elle, semble le comprendre…

Avec Le soupir des vagues, Fukada interroge cette fois la notion de « japonité » en confrontant le spectateur à ses semblables qui sont partis s’installer ailleurs. Un Japonais est-il toujours japonais quand il n’est plus chez lui ? Devient-il un étranger au pays d’accueil, un étranger à son propre pays, ou les deux à la fois ? Et comment traiter la question des enfants mixtes, ceux dont une partie du sang, si important aux yeux des Japonais, ne provient pas des terres d’Amaterasu ? Comment comprendre qu’un descendant de Japonais refuse la nationalité au profit de celle d’un pays considéré comme moins développé ?
Plus encore que les autres films du réalisateur, Le soupir des vagues n’est pas tant un film qui se comprend qu’un cinéma qui se ressent. Une histoire légère de vacances, d’amour et de recherche des origines qui permet, sans même peut-être que le réalisateur en ait conscience, de regarder le passé colonialiste du Japon dont les traces sont toujours vives sur le réel. Au détour d’une conversation, il expose le Japonais comme l’étranger qui a amené la guerre, enrôlé les jeunes garçons et emmené les filles dans les usines à prostitution lors de la Seconde Guerre mondiale, mais qui est aussi aujourd’hui celui qui travaille dans les ONG et dont la puissance économique aide au développement de l’ancienne colonie, l’Indonésie.
À voir : la bande-annonce du film Le Soupir des vagues, de Koji Fukada :
Si le cinéma de Fukada a pu questionner sur le propre rapport du réalisateur à l’étranger, montré tantôt comme une menace, tantôt comme un objet d’admiration, Le soupir des vagues vient ranger définitivement le réalisateur dans le camp des humanistes. S’il a choisi l’Indonésie comme cadre, c’est pour mieux montrer les similarités qui peuvent exister entre les cultures et les expériences similaires que d’autres peuvent vivre au loin. Ici, les langues japonaise et indonésienne se marient, au propre comme au figuré et se retrouvent dans l’expérience commune de la richesse et de la dévastation amenées par la nature. Comme le Japon, l’Indonésie a été durement frappée par des tsunamis et comme lui, les peuples savent reconstruire et se relever. Pour renforcer ce sentiment d’appartenance à une globalité, Koji Fukada n’hésite d’ailleurs pas à baigner son film d’animisme, entre shintoïsme et chamanisme indonésien.
Depuis le début du siècle, le Japon voit sa population s’amenuiser et vieillir. S’il a longtemps été un bastion impossible à pénétrer pour les étrangers, le pays n’a désormais plus le choix pour maintenir son activité économique et sa natalité que de s’ouvrir à l’immigration. Les politiques se sont assouplies et le grand défi du XIXème siècle sera certainement celui de bâtir une société plus cosmopolite. En ce sens, le cinéma de Fukada explore l’ambivalence et les tréfonds de l’âme japonaise que le pays se doit de regarder en face pour voir, non pas ce qui le différencie d’autrui, mais ce qui l’en rapproche. Espérons que l’avenir se montre aussi joyeux qu’Hospitalité et aussi doux et chaud que Le Soupir des vagues.
Par Gwenaël Germain

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.