Culture
Critique de film

Documentaire : "Les sorcières de l'Orient", la véritable histoire derrière "Jeanne et Serge"

Extrait du documentaire japonais "Les sorcières de l'Orient". La concentration se lit sur les visages. (Crédit : UFO Distribution)
Extrait du documentaire japonais "Les sorcières de l'Orient". La concentration se lit sur les visages. (Crédit : UFO Distribution)
Mardi 21 juillet au soir, Les sorcières de l’Orient n’est pas encore terminé que déjà les applaudissements retentissent dans une salle transie d’émotions. La salle 1 du Mk2 Beaubourg est tellement pleine qu’on aurait pu se croire à l’avant-première du premier volet de Kaamelott. Pourtant ici, point de Roi Arthur ou de preux chevaliers mais plutôt un « typhon » devenu « sorcières », les deux surnoms portés par l’équipe féminine japonaise de volleyball des années 1960, invaincue durant 258 matchs. Une histoire méconnue en France, mais une véritable légende au Japon dont les exploits ont fait naître tout un pan de la culture pop locale : les animés et mangas sur le volley-ball, caisse de résonance mondiale pour le sport féminin. À en juger des regards émerveillés et du souffle court des spectateurs, le dernier documentaire de Julien Faraut a marqué en plein coeur.
À l’origine du projet, un hasard. Un entraîneur de volley-ball dépose un jour des bobines d’archives à l’Institut national du Sport (INSEP). Sur ces bobines, rien d’autre que de vieilles images de l’équipe féminine de volley-ball du Japon des années 1960. Le genre d’archives qui s’en vont d’habitude dormir dans les réserves des médiathèques pour ne jamais en sortir. Pourtant, le film de ces entraînements vieux de soixante-dix ans trouble l’un des archivistes de l’institut, le documentariste Julien Faraut, pour qui ces images ressemblent à s’y méprendre à celles d’un dessin animé bien connu en France : Jeanne et Serge. Cadrages au ras du sol, entraîneur taiseux et viril, plongeons en roulades et jeunes sportives au bord de l’apoplexie, tout y est. Renseignements pris, il découvre que le dessin animé, comme son prédécesseur Les attaquantes, est tirée d’une histoire vraie, celle des « Sorcières de l’Orient ».
Le dessin animé "Les attaquantes" est directement inspiré de l'épopée des "Sorcières de l'Orient". (Crédit : UFO Distribution)
Le dessin animé "Les attaquantes" est directement inspiré de l'épopée des "Sorcières de l'Orient". (Crédit : UFO Distribution)
« Les sorcières », c’est le surnom qu’un journaliste moscovite a utilisé pour décrire les exploits de ces « petites femmes » qui venaient de renverser toutes les équipes lors d’une tournée européenne. Et, si les joueuses nippones ne sont pas ravies d’être comparées à de vieilles marâtres au nez crochu, leurs exploits sportifs, quasi magiques, entérinent le surnom légendaire. Quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’épopée des « sorcières » tombe à point nommé pour renforcer la fierté nationale dans un Japon tourné vers l’avenir. L’économie est en plein boom, la guerre de Corée a rempli les carnets de commandes de l’industrie nippone et la population fait un bon spectaculaire, passant de 72 millions en 1945 à 93 millions en 1960. Désormais, les entreprises livrent leurs guerres économiques sur le terrain sportif et chaque consortium sponsorise son équipe au sein de championnats nationaux. Avant de devenir des « sorcières de l’orient » et de briller à l’étranger, c’est d’abord en représentant une usine de coton que l’équipe s’est taillée un palmarès local hors du commun.
Affiche du documentaire "Les sorcières de l'Orient" de Julien Faraut. (Crédit : UFO Distribution)
Affiche du documentaire "Les sorcières de l'Orient" de Julien Faraut. (Crédit : UFO Distribution)
Comment des ouvrières textiles ont-elles atteint le toit du monde ? Quel était leur secret pour écraser la concurrence à ce point ? Que reste-t-il de leurs exploits aujourd’hui ? Pour le savoir, Julient Faraut est parti à la rencontre de celles, qui à l’époque, ne jouaient pas pour des cachets mirobolants, mais pour la gloire. En alternant films d’archives, entretiens récents avec les joueuses et séquences de dessins animés, le réalisateur de quarante-trois ans nous offre un film haletant qui scotche le spectateur à son siège tant par l’image – il s’agit d’un film de cinéma prévu pour le grand écran – que par le son – qui jouit d’un effort tout particulier grâce à une bande originale composée par Jason Lytle, le leader du groupe californien Grandaddy.
Par Gwenaël Germain
À voir : la bande-annonce du documentaire Les sorcières de l’Orient, de Julien Faraut, sorti le mercredi 28 juillet

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.