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La Chine creuserait de nouveaux silos pour ses missiles nucléaires, l'Amérique s'inquiète

Image satellite du Middlebury Institute of International Studies, montrant un site de construction de silos pour un nouveau missile balistique intercontinental près du désert de Gobi au nord-ouest de la Chine. (Source : NYT)
Image satellite du Middlebury Institute of International Studies, montrant un site de construction de silos pour un nouveau missile balistique intercontinental près du désert de Gobi au nord-ouest de la Chine. (Source : NYT)
La Chine creuse-t-elle discrètement de nouveaux silos pour y enfouir ses missiles nucléaires, dont certains à longue portée, capables d’atteindre tout lieu sur le sol des États-Unis ? Ce serait au risque de déclencher une nouvelle course aux armes nucléaires avec les Etats-Unis. Un phénomène qui rendrait urgent la relance encore incertaine d’un dialogue sino-américain.
Selon le Washington Post du 1er juillet, la Chine a procédé au creusement de 119 silos pouvant accueillir des missiles nucléaires intercontinentaux, dont une partie près de la ville de Yumen dans la province du Gansu.
L’article du quotidien américain donne pour source des images satellite traitées par le Centre de non-prolifération nucléaire James Martin basé en Californie. Ces images laissent à penser que la Chine a pour objectif de renforcer son potentiel nucléaire militaire.
À Washington, le porte-parole du département d’État Ned Price a jugé ces informations « inquiétantes ». Elles « soulèvent des questions sur l’objectif [de la Chine], a-t-il déclaré. Je pense qu’il est juste de dire est que ces informations et d’autres développements suggèrent que l’arsenal nucléaire de la République populaire de Chine va croître plus rapidement et à un niveau plus élevé que nous ne l’avions anticipé. »

Vrais et faux silos

Cependant, des experts militaires chinois ont repoussé ces accusations. Un réseau de silos à capacité nucléaire dans le désert au nord-ouest de la Chine serait en réalité très vulnérable à une attaque, selon eux. Ainsi, pour Song Zhongping, un ancien instructeur de l’Armée populaire de libération, cité le 2 juillet par le South China Morning Post, cette information n’est pas crédible puisque les technologies qui seraient utilisées sont depuis longtemps obsolètes.
« La Chine a déjà utilisé des lanceurs mobiles et à mis au rebut des silos fixes qui demandent beaucoup d’efforts, coûtent chers et seraient vulnérables et rapidement détruits » en cas de conflit nucléaire, explique-t-il. « Ayant dit cela, je soutiens fermement l’expansion de la puissance nucléaire de la Chine, mais cette croissance des capacités nucléaires doit être en priorité installée sur des sites en mer. Tandis que la capacité nucléaire dans l’espace doit elle aussi être renforcée. »
L’arsenal nucléaire chinois est composé de 250 à 350 têtes nucléaires. Soit bien moins que les États-Unis et la Russie, mais au même niveau que la France ou le Royaume-Uni, estiment les experts familiers de ce dossier.
Le Washington Post ajoute que la Chine a fait usage de faux silos comme des leurres pour dérouter l’ennemi potentiel. En leur temps, les États-Unis avaient mis en place des programmes permettant une grande mobilité pour les lanceurs afin de semer le doute dans les rangs des Soviétiques.

Missiles DF-41

Selon Jeffrey Lewis, directeur du programme de non-prolifération nucléaire de l’Institut Middlebury d’études internationales, cité par le journal américain, les silos chinois pourraient abriter des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) du type DF-41. Ces missiles peuvent porter des têtes multiples jusqu’à 15 000 kilomètres et donc viser des cibles simultanées partout sur le sol américain. Ces missiles DF-41 ont été montrés lors du défilé militaire sur la place Tiananmen en 2019 lors des célébrations de la fête nationale chinoise. Ils peuvent être lancés indifféremment par des camions spécialement construits pour cet usage ou à partir de silos enterrés.
« Il est bien possible que [Jeffrey] Lewis s’est en fait contenté de disséminer dans les médias des informations qui n’ont pas de sens sans même connaître les informations les plus élémentaires du missile DF-41 », a dénoncé Hu Xijin, rédacteur en chef du très officiel Global Times, quotidien chinois anglophone à tendance nationaliste. Cet article [du Washington Post] et les commentaires de [Ned] Price étaient d’une grande utilité pour une campagne médiatique destinée à faire pression sur la Chine pour qu’elle publie une déclaration sur son programme nucléaire et ses objectifs en matière de dissuasion. Les silos authentiques sont souvent construits au même moment pour servir de leurres tandis que le déploiement réel de ces silos est un secret d’État pour toutes les puissances du monde. »
Les sites en construction identifiés sur ces images satellite séraient trop concentrés géographiquement pour être des silos abritant des missiles intercontinentaux qui deviendraient des cibles faciles à détruire, explique Zhou Chenming, un commentateur expert des questions militaires base à Pékin : « Ils seraient tous détruits par une seule frappe nucléaire », précise Zhou sans offrir d’explication alternative sur ce que ces images pourraient révéler, à l’instar de Song Zhongping.

Éviter le chantage nucléaire des Américains

La Chine a fait exploser sa première bombe nucléaire A d’une d’une puissance de 22 kilotonnes le 16 octobre 1964 à 15h heure de Pékin sur le site d’essais nucléaire de Lop Nor dans le désert au nord-ouest du pays. Elle devenait alors la cinquième puissance nucléaire du monde. En réalité, les Chinois avient commencé le développement d’armes nucléaires depuis 1950 sous la direction du physicien Deng Jiaxian avec l’aide soviétique.
La commande de l’arme nucléaire fut donnée par le président Mao Zedong sous le nom de code « 02 ». Le Grand Timonier pensait que le monde ne prendrait pas au sérieux une Chine sans force nucléaire. Une idée renforcée par les événements de la première crise du détroit de Taïwan de 1954-55 : Pékin voulait désormais éviter un chantage nucléaire de la part des Américains.
Le fait que la Chine ait réussi, en dépit de conditions économiques très difficiles et en l’absence de toute aide étrangère, à faire éclater un engin nucléaire fut alors interprété comme la preuve que l’on avait peut-être quelque peu sous-estimé ses capacités techniques.
Le 17 juin 1967, également à Lop Nor, la Chine testait sa première sa bombe à hydrogène H. Elle fut la dernière puissance à réaliser un tir atmosphérique le 16 octobre 1980. Un total de 44 essais a depuis eu lieu sur le sol chinois.
La Chine a signé, mais pas ratifié, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (Ticen). Elle ne conduit cependant plus d’essais « physiques », à tout le moins officiellement. Ce qui ne l’a pas empêchée de moderniser ses vecteurs et ses armes. Ses têtes nucléaires pèsent 160 kg.
Washington et peut-être Moscou ont connaissance des efforts chinois, mais leur ampleur reste floue. Le programme nucléaire chinois s’est fortement accéléré et l’arsenal pourrait au moins doubler en dix ans. Lors d’une audition du Congrès américain en avril dernier, l’amiral Charles Richard mettait déjà en garde contre « l’expansion époustouflante » du programme nucléaire chinois.
Pékin dispose depuis longtemps déjà de la fameuse « triade nucléaire » : celle des capacités de lancement terrestres, aériennes et maritimes. À l’image de la Russie, la Chine développerait aussi des armes hypersoniques ainsi que des armes nucléaires à faible rendement. Elle songerait à se doter à terme de systèmes nucléaires navals autonomes. Pour l’heure, de tels systèmes n’existent pas encore. Mais s’ils devaient voir le jour, a prévenu Robert Wood, le représentant américain à la Conférence du désarmement au Palais des Nations à Genève, « ils auraient un impact considérable sur la stabilité stratégique de la planète ».
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).