Politique
Analyse

Chine : le massacre du 4 juin 1989, une réalité oubliée

Le 5 juin 1989, un homme, plus tard connu comme "Tank man", fait barrage aux blindés de l'Armée de libération populaire, au lendemain du massacre des manifestants la place Tiananmen. (Source : SCMP)
Le 5 juin 1989, un homme, plus tard connu comme "Tank man", fait barrage aux blindés de l'Armée de libération populaire, au lendemain du massacre des manifestants la place Tiananmen. (Source : SCMP)
Le 4 juin 1989, l’Armée populaire de libération ouvrait le feu sur des milliers d’étudiants qui demandaient sur la place Tiananmen, au cœur de Pékin, la démocratie et la liberté. Le bilan des morts diffère : 300 (tous des soldats) selon le gouvernement chinois, plusieurs milliers selon les organisations étudiantes. 32 ans plus tard, cette page sombre de l’histoire de la Chine est pratiquement oubliée dans ce pays. Le Parti communiste chinois s’efforce de cacher sous le tapis ces événements sanglants et tragiques.
Souvenons-nous : après plusieurs semaines de contestation sur la place Tiananmen de dizaines de milliers d’étudiants qui avaient entamé une grève de la faim, c’est le dirigeant suprême, Deng Xiaoping, qui avait ordonné l’intervention de l’APL. Une décision appliquée à la lettre par le Premier ministre de l’époque, Li Peng, surnommé depuis « le boucher de Tiananmen ». Coïncidence, ce massacre a eu lieu la même année où le Mur de Berlin est tombé.
Les Chinois qui ont connu ces événements s’en souviennent bien sûr. Mais par dégoût ou par peur, le plus grand nombre préfère ne pas en parler. Quant aux plus jeunes, le plus souvent ils ne savent rien de ce qui s’est passé. Toutes les discussions sur ce massacre sont systématiquement censurées sur les réseaux sociaux chinois tandis que la presse officielle n’en parle jamais.

À Hong Kong et Macao, le souvenir interdit

Il y a un mois environ, un ami occidental résident à Hong Kong m’a relaté les faits suivants : une étudiante chinoise de 24 ans, en visite dans l’ancienne colonie britannique et à qui il avait évoqué ce massacre, lui avait répondu : « Quel massacre ? Je n’en ai jamais entendu en parler. Tu peux me dire ce qui s’est passé ? » Voici donc une jeune femme éduquée tenue dans l’ignorance de la tragédie du 4 juin.
Rétrocédée à la Chine en 1997, Hong Kong devait, selon la promesse de Deng Xiaoping, pouvoir maintenir un haut degré de démocratie et de liberté, notamment à propos de ce que l’on nomme depuis pudiquement « l’incident du 4 juin ». Une partie des Hongkongais avait pris l’habitude d’assister chaque année depuis 1990 à une cérémonie du souvenir lors de laquelle des centaines de bougies étaient allumées.
Mais depuis deux ans maintenant, plus aucune bougie n’est allumée. Les autorités de Hong Kong interdisent désormais toute manifestation du souvenir. Le prétexte en est la crise du Covid-19, ce qui évidemment ne trompe personne. Pour la première fois cette année, la même veillée a été interdite à Macao, l’ancienne colonie portugaise revenue sous souveraineté chinoise en 1999.

« Vous voulez que votre pays devienne meilleur »

Les étudiants sur la place Tiananmen en 1989. (Source : SCMP)
Les étudiants sur la place Tiananmen en 1989. (Source : SCMP)
Cette contestation sur la place Tiananmen avait été en grand partie causée par la mort du secrétaire général du Parti Hu Yaobang qui s’était montré favorable à l’introduction d’une certaine dose de démocratie dans la vie politique du pays. Hu est mort le 15 avril 1989. Son décès précipita les événements de Tiananmen.
Le secrétaire général du Parti communiste chinois Hu Yaobang et le nouvel homme fort du régime, Deng Xiaoping, lors de l'Assemblée nationale populaire en 1978. (Source : SCMP)
Le secrétaire général du Parti communiste chinois Hu Yaobang et le nouvel homme fort du régime, Deng Xiaoping, lors de l'Assemblée nationale populaire en 1978. (Source : SCMP)
Aux premières heures du jour le 19 mai 1989, le nouveau secrétaire du Parti Zhao Ziyang s’était rendu sur la place Tiananmen et avait supplié les manifestants de mettre fin à leur mouvement. « Nous sommes venus trop tard, s’était exclamé Zhao Ziyang, des larmes coulant sur ses joues. Vous avez de bonnes intentions. Vous voulez que votre pays devienne meilleur. Les problèmes que vous soulevez trouveront un jour une réponse. Mais les choses sont compliquées et il nous faut trouver un chemin pour résoudre ces problèmes. »
« Tout Pékin discute de votre grève de la faim, vous devez y mettre fin », avait-il encore supplié. Mais les étudiants décidèrent de continuer leur mouvement, sous les yeux de Mikhail Gorbatchev. Le dirigeant soviétique achevait une visite officielle en Chine dont l’objectif était de de renforcer les contacts entre les deux pays au niveau du parti et du gouvernement.
L'ancien Premier ministre chinois Zhao Ziyang écoute parler Hu Yaobang, ancien secrétaire général du Parti. (Source : SCMP)
L'ancien Premier ministre chinois Zhao Ziyang écoute parler Hu Yaobang, ancien secrétaire général du Parti. (Source : SCMP)
Non seulement Zhao Ziyang n’eut pas gain de cause auprès des étudiants, mais il devait être très rapidement limogé par Deng Xiaoping puis assigné à résidence à Zhongnanhai, lieu de résidence des dirigeants chinois en bordure de la Cité interdite, empêché de tout contact avec le monde extérieur.

Le tombeau de Zhao Ziyang

Mort le 17 janvier 2005, Zhao Ziyang a été enterré le 18 octobre 2019, près de quinze ans après son décès, avait alors annoncé sa famille à l’Agence France-Presse, au cimetière de Babaoshan, dans la banlieue de Pékin. Sa tombe est depuis cette date interdite d’accès et surveillée jour et nuit par des hommes en armes.
Sa famille a mis tout ce temps pour trouver une place dans ce cimetière pour inhumer les cendres de Zhao Ziyang. « Aujourd’hui, nous sommes soulagés, avait alors déclaré son gendre, Wang Zhihua. Après tant d’années et d’obstination, nous avons vraiment trouvé le soulagement. » La cérémonie d’inhumation de Zhao et de son épouse Liang Boqi avait eut lieu dans l’après-midi. Des photographies du couple ont été exposées près d’une simple pierre tombale grise. Quelques lignes y ont été gravés et surlignés à l’encre rouge, selon des photographies diffusées par le South China Morning Post et la BBC. Seule une vingtaine de personnes avaient été autorisées à assister à ce moment d’émotion et de chagrin, raconte une dépêche de l’AFP diffusée le 18 octobre 2019.
Zhao Ziyang, figure respectée dans le milieu des défenseurs des droits de l’homme en Chine, est toujours un sujet sensible dans ce pays. Les commémorations à l’occasion des anniversaires de sa mort, à l’âge de 85 ans, se déroulent sous une étroite surveillance ou sont carrément empêchées.
Les médias officiels n’ont jamais fait aucune mention de son inhumation. La recherche de son nom sur les réseaux sociaux ne fournit aucun résultat. Un peu comme si Zhao Ziyang n’avait jamais existé.

Yellow Bird

Le 22 avril 1989, manifestants étudiants assis face à face avec la police devant le Grand Hall du Peuple à Pékin après la mort de Hu Yaobang. (Source : SCMP)
Le 22 avril 1989, manifestants étudiants assis face à face avec la police devant le Grand Hall du Peuple à Pékin après la mort de Hu Yaobang. (Source : SCMP)
À Hong Kong, qui était alors une colonie britannique, plus d’un million d’habitants étaient descendus dans la rue au lendemain de cette tragédie à la fois pour exprimer leur solidarité avec les manifestants et pour protester contre ce massacre.
Quelques jours plus tard, le président François Mitterrand devait déclarer : « Un régime qui massacre sa jeunesse n’a pas d’avenir. »
Dans les semaines qui suivirent, une opération d’exfiltration de jeunes protestataires, baptisée Yellow Bird, fut mise sur pied en même temps à Hong Kong et en France qui permit à des centaines de dissidents de trouver refuge à l’étranger. À Paris, le diplomate français Paul Jean-Ortiz en fut l’architecte. Il devint plus tard le conseiller diplomatique du président François Hollande jusqu’à sa mort prématurée le 31 juillet 2013.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).