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Inde–Pakistan : de la décrispation à la détente ?

Le premier ministre pakistanais Imran Khan et son homologue indien Narendra Modi. (Source : Indian Express)
Le premier ministre pakistanais Imran Khan et son homologue indien Narendra Modi. (Source : Indian Express)
En ce printemps 2021, les bonnes nouvelles sont rares en Asie. En particulier dans le sous-continent indien où pourtant, une étonnante éclaircie est apparue au grand étonnement des observateurs extérieurs comme des experts du cru. Après une trentaine de mois d’une crispation de tous les instants entretenue par une série d’initiatives douteuses, d’événements dramatiques et d’échanges rhétoriques agressifs sinon provocateurs à destination de son voisin indien, le Pakistan, sa caste des généraux et son imprévisible Premier ministre Imran Khan semblent a priori désireux d’orienter le curseur bilatéral vers un horizon moins sombre, d’éloigner le binôme Delhi-Islamabad des dangers de la crise et de ses possibles déclinaisons militaires.
*On pense ici, entre autres éléments, à l’Accord de Simla de juillet 1972 conclu dans la foulée de la 3e guerre indo-pakistanaise, lequel balisait entre autres ‘’missions’’ la normalisation à venir des relations entre New Delhi et Islamabad.
Voilà une inflexion aussi soudaine que surprenante. Elle intervient sans préavis ni signe avant-coureur. Il s’agira naturellement de l’accueillir avec bienveillance tout en se gardant d’un optimisme précipité. L’Asie du Sud a par le passé à de nombreuses reprises éveillé les lueurs de l’espoir en une normalisation indo-pakistanaise prochaine*. Mais ce fut souvent pour mieux replonger peu après dans les affres de la défiance et de la tension.
Le coup est parti d’une personne que nul n’attendait. Le 2 février 2021, à l’occasion d’une cérémonie de remise de diplôme aux officiers de la Pakistan Air Force (PAF), le chef des armées, l’énigmatique général Qamar Javed Bajwa, déclarait tout de go à son auditoire la chose suivante : « Nous sommes fermement attachés à l’idée de respect mutuel et de coexistence pacifique. Il est temps de tendre la main de la paix dans toutes les directions. Le Pakistan et l’Inde doivent également résoudre la question de longue date du Jammu-et-Cachemire d’une manière digne et pacifique. » Une tirade assez rare ces dernières années, qui a dû prendre de court plus d’un membre de l’auditoire et ravir les journalistes présents.

« Il est temps d’enterrer le passé »

*Étirée d’Ouest en Est sur 740 km de long, cette frontière de facto depuis 1949 sépare les parties de l’ancienne principauté du Cachemire sous souveraineté indienne et pakistanaise. **Premier du genre, ce symposium de deux jours ouvert par un discours d’Imran Khan ambitionne, selon ses promoteurs, de « débattre des questions cruciales de sécurité nationale au Pakistan, et générer des idées façonnant la société mondiale et l’avenir de la civilisation humaine ». ***En comparant notamment le gouvernement de son homologue indien au régime nazi.
Il n’empêche, trois semaines plus tard, le 25 février, Islamabad et New Delhi communiquaient sur leur intention d’appliquer à nouveau avec plus de rigueur le cessez-le-feu bilatéral sur l’ultrasensible « ligne de contrôle » cachemirie*, négocié dix-huit ans plus tôt. Le patron des armées pakistanaises n’en avait pas encore terminé avec son inhabituelle logorrhée apaisante. Le mois suivant, le même général Bajwa poursuivait dans sa veine constructive, gratifiant l’assemblée de l’Islamabad Security Dialogue (ISD)** d’un « Nous pensons qu’il est temps d’enterrer le passé et d’aller de l’avant (avec l’Inde) ». Lors de ce symposium organisé dans la capitale administrative pakistanaise, le Premier ministre Imran Khan s’était montré lui aussi relativement entreprenant, loin des diatribes récurrentes habituelles*** à contre l’administration Modi, évoquant pour sa part l’existence d’un prérequis conditionnant la dynamique de normalisation : « L’Inde doit faire le premier pas et si elle ne le fait pas, nous ne pourrons pas aller de l’avant. »
Un mois plus tôt, le très changeant chef du gouvernement pakistanais, toujours au sujet de l’avernir proche de la tortueuse relation indo-pakistanaise, déclarait déjà, entre ouverture – timide sinon peu adroite – et bravade – plus assurée : « Nous sommes prêts à vous parler à nouveau […]. Je continue à demander à Modi de résoudre la question du Cachemire par des pourparlers, mais ne confondez pas notre main amicale avec de la faiblesse. » En guise de diplomatie et d’incitation à la décrispation, il doit certainement être possible de mieux faire du côté d’Islamabad. Les observateurs optimistes relèveront à ce sujet que ces propos sont toutefois plus encourageants que ceux dispensés un trimestre plus tôt en décembre dernier par les autorités pakistanaises qui, dans une missive alarmiste adressée à l’ONU, « avertissaient » de l’imminence d’une attaque des forces indiennes sur le territoire pakistanais. De même des propos du ministre pakistanais de l’Intérieur Sheikh Rasheed Ahmed qui, tout en nuances, tonnait devant un parterre de journalistes : « Si [l’Inde] ose menacer nos frontières, cela deviendra la bataille finale dont l’Histoire se souviendra. Les cloches des temples cesseront de sonner, l’herbe cessera de pousser et les oiseaux cesseront de gazouiller. » La métaphore subliminale du possible recours à l’arsenal nucléaire pakistanais en cas de conflit avait été comme on l’imagine très passablement reçue dans la capitale indienne, et automatiquement portée au passif – déjà bien fourni – de l’administration Khan.

Rhétorique à traduire en actions

*Le 14 février 2019, une cinquantaine de policier indiens tués, une crise majeure vingt ans après la « crise de Kargil » d’avril-juillet 1999. **L’isolement international notamment due à son positionnement sur le terrorisme, la perspective de figurer sur la liste noire du Groupe d’Action Financière (GAFI) ; la précarité économique accrue par le Covid-19 ; l’indophilie apparente de l’administration Biden.
Alors, comment interpréter pareil retournement de posture de la part des dirigeants pakistanais, deux ans après le terrible attentat de Pulwana au Jammu-et-Cachemire indien, perpétré par l’organisation terroriste pakistanaise Jaish-e-Mohammed contre un convoi militaire indien* ? Simple manœuvre tactique destinée à replacer Islamabad plus favorablement sur la scène internationale en ces temps difficiles** à maints égards en République islamique ? Ou volonté sincère des autorités pakistanaises d’ouvrir une ère nouvelle dans les rapports avec le voisin oriental ?
*On pense notamment ici aux diverses tentatives de décrispation bilatérale initiées entre 1998 et 2007, lesquelles accouchèrent un temps de quelques dividendes prometteurs comme la Déclaration de Lahore en février 1999 ou le Sommet d’Agra en juillet 2001, avant de dissiper leurs effets et que renaisse la tension entre les deux voisins.
La faute à un historique de déceptions répétées* ne plaidant pas en faveur d’une franche période de détente, fort peu d’observateurs et d’acteurs en Asie comme en Occident à s’émeuvent outre mesure du discours plus apaisant et moins provocant d’Islamabad à l’endroit de l’Inde. Ces esquisses verbales faciles devront se transformer en actes plus tangibles, visibles, pérennes. « La rhétorique du Pakistan doit se traduire par des actions sur le terrain », résumait parfaitement ces derniers jours un éditorialiste indien au fait de la curieuse autant qu’instable matrice indo-pakistanaise, avant de conclure son propos sur une note légèrement plus positive : « Nous devons donner une chance [à cette initiative] après avoir pris les précautions nécessaires en nous rappelant nos leçons [en référence aux entreprises de paix passées avortées]. Pour les deux nations, une « paix relative » vaut toujours mieux qu’un environnement ni belliqueux ni pacifique. » Une analyse prudente, fondée, à laquelle on adhère ici volontiers. À défaut de perspectives plus sûres et de conviction plus marquée dans les propos d’Islamabad.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.