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Pakistan : la France toujours dans le viseur des islamistes

Manifestation organisée par la formation islamiste Tehreek-i-Labbaik Pakistan (TLP), demandant l'expulsion de l'ambassadeur de France au Pakisyan, à Lahore, le 17 novembre 2020. (Source : Eastern Eye)
Manifestation organisée par la formation islamiste Tehreek-i-Labbaik Pakistan (TLP), demandant l'expulsion de l'ambassadeur de France au Pakisyan, à Lahore, le 17 novembre 2020. (Source : Eastern Eye)
La contestation des islamistes contre la France va se poursuivre dans les semaines à venir au Pakistan. Leur fureur contre les caricatures du Prophète défendues par Emmanuel Macron a entraîné une situation délicate pour le Premier ministre Imran Khan.
Profiter du passage à l’année nouvelle pour repartir sur un tempo moins belliqueux et apaiser une situation confinant à la crise ? Pas question pour le Tehreek-i-Labbaik Pakistan (TLP). La formation islamiste, qui a le vent en poupe en République islamique pakistanaise, se montre toujours des plus critiques à l’égard de la France, de ses autorités et de sa conception de la liberté d’expression. Début janvier, le TLP s’est empressé de rappeler aux gouvernements d’Islamabad et de Paris les termes de son irrédentisme. Si d’ici le 17 février prochain, les autorités pakistanaises ne mettent pas en œuvre leur engagement conclu avec le TLP mi-novembre d’expulser l’ambassadeur de France en poste à Islamabad, alors la formation radicale relancera – dans la capitale pakistanaise notamment – un nouveau cycle de mobilisations contre les intérêts français dans ce pays. Avec le cortège de troubles à l’ordre public et de violences diverses et variées qui pourraient en découler.
*Lequel succéda à son père (décédé) le 19 novembre, deux jours à peine après que le TLP eut convenu d’un accord avec le gouvernement pour mettre fin à la mobilisation de ses sympathisants à Islamabad en réaction à la publication en France de caricatures du Prophète.
« Nous sommes tenus de respecter l’accord [avec le gouvernement pakistanais] jusqu’au 17 février. Une guerre pour [protéger] l’honneur du Prophète est engagée. S’il existe un malentendu, il doit être dissipé car nous nous engageons à ce qu’il n’y ait aucun retard dans l’exécution de notre décision après le 17 février. Si vous avez oublié votre promesse, voyez notre histoire. Maintenant, nous sommes plus encore prêts à mourir pour l’honneur du Prophète. Vous avez jusqu’au 17 février pour expulser l’ambassadeur de France… » tonnait le jeune et exalté Maulana Saad Rizvi*, tout récemment nommé leader du TLP, le 4 janvier lors d’un grand rassemblement organisé à Lahore, la seconde ville du pays.
Pour rappel, selon les termes du bien curieux accord en question, le gouvernement d’Imran Khan aurait pris plusieurs engagement à la mi-novembre : obtenir sous trois mois l’accord du Parlement pour procéder à l’expulsion de l’ambassadeur de France en poste au Pakistan ; repousser sine die la nomination en France du prochain ambassadeur du Pakistan ; enfin, remettre en liberté les sympathisants du TLP arrêtés lors de leurs diverses mobilisations non autorisées. Visiblement, la mise en application des deux dernières « conditions » imposées par le TLP rencontre moins de résistance que la première.

Ancrage du TLP dans la société

*De la gestion de la pandémie de Covid-19 aux relations avec le gouvernement indien, en passant par l’état sinistré de l’économie, la politique afghane d’Islamabad, le format des relations avec Washington ou encore la crise énergétique.
Déjà mise sous pression par divers pans de la société sur une litanie de thématiques sensibles*, la fragile administration Khan se serait bien passé de ce nouveau mauvais pas à la gestion délicate. Délicate en ce que les exigences inacceptables posées par cette formation radicale au gouvernement semblent soutenues par une masse toujours plus importante et enfiévrée de Pakistanais. Il se dit également du Tehreek-i-Labbaik Pakistan que le soutien dont bénéficierait ce mouvement islamiste de la part de l’omnipotent establishment militaire serait aujourd’hui à l’aune de cet engouement populaire croissant. Tout sauf une véritable surprise, en vérité.
Loin d’être anodines, ces tendances emportent mécaniquement leur lot de conséquences sur le fragile édifice gouvernemental d’Imran Khan. D’autant que l’ancienne gloire nationale de cricket est aujourd’hui confronté, après une trentaine de mois à la tête du pays, à l’usure aussi inévitable qu’éreintante du pouvoir.
Ce nouveau défi domestique met par ailleurs en évidence un autre fait lui aussi inquiétant, pas uniquement pour les autorités d’Islamabad ou de Paris, mais pour la société pakistanaise au sens large. Le TLP avec son agenda islamiste semble déterminé à s’ancrer plus structurellement dans le volatile paysage politique national, bien aidé en cela par deux événements distincts. Lors du dernier scrutin politique national à l’été 2018, remporté par la formation de l’actuel Premier ministre Imran Khan, le Pakistan Tehreek-i-Insaf (PTI), le TLP n’a pas certes pas réussi à gagner le moindre siège à l’Assemblée nationale. Mais il est parvenu malgré tout à attirer un nombre non négligeable de votants derrière sa bannière radicale – plus de deux millions d’électeurs, soit 2 % du total des suffrages exprimés -, faisant de lui – arithmétiquement parlant – le cinquième parti politique du pays.
*Le TLP se revendique de la doctrine barelvi, un courant de l’islam sunnite dérivé de l’hanafisme.
Tout récemment, lors des funérailles de Khadim Rizvi organisées à Lahore en novembre dernier, c’est une foule considérable – a priori de plusieurs centaines de milliers de personnes – s’est pressée pour rendre un dernier hommage au défunt fondateur du TLP. Une mobilisation impressionnante, comme la ville n’en avait pas beaucoup connu ces dernières décennies, et qui interpella sinon ébranla les observateurs locaux : « Il s’agit d’une évolution très sérieuse et dangereuse » juge ainsi Amir Rana, directeur du Pakistan Institute of Peace Studies d’Islamabad. D’autant plus que cette formation aurait dernièrement élargi sa base – traditionnellement rurale et aux valeurs religieuses conservatrices* – vers des strates de la société urbaine plus éduquées.
Ce sont des représentants enfiévrés de cette mouvance islamiste qui, mi-novembre, convergeaient donc par milliers vers le centre de la capitale, Islamabad. Pas uniquement pour faire vaciller un peu plus le gouvernement d’Imran Khan et ses certitudes mais également dans le dessein d’atteindre l’ambassade de France pour exprimer de vive voix aux représentants de Paris leur courroux – quitte pour cela à en découdre avec les forces de sécurité locale. Une colère née de la publication par Charlie Hebdo de caricatures du prophète et de la défense de la liberté d’expression rappelée consécutivement en des termes eux aussi très clairs par le président français Emmanuel Macron.
Répondant aux appels zélés de leur nouveau dirigeant, ces mêmes manifestants seraient donc déterminés à reprendre avec plus d’intensité leur mobilisation contre la France dès la mi-février, si d’ici-là, le gouvernement Khan n’était pas en mesure de renvoyer à Paris l’’ambassadeur de France en poste dans la capitale pakistanaise.
Avant cette fameuse date butoir du 17 février, il reste a priori fort heureusement suffisamment de temps pour envisager quelques pistes de sortie de crise. Une issue heureuse autant que non violente à cette situation sensible doit être trouvée et approuvée par l’ensemble des parties. L’actuel Premier ministre pakistanais aura fort à faire pour résoudre cette équation recélant, à l’évidence, son mauvais lot de coups de bâton à prendre.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.