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Entre Chine et Occident, l’inexorable montée des antagonismes

Le géant suédois du textile H&M fait face à une campagne de boycott sur les réseaux sociaux en Chine pour avoir cessé de s'approvisionner en coton au Xinjiang après les informations faisant été de travail forcé dans cette région du Nord-Ouest chinois. (Source : CNN)
Le géant suédois du textile H&M fait face à une campagne de boycott sur les réseaux sociaux en Chine pour avoir cessé de s'approvisionner en coton au Xinjiang après les informations faisant été de travail forcé dans cette région du Nord-Ouest chinois. (Source : CNN)
Que dire de cette fièvre qui a brusquement saisi les réseaux sociaux chinois depuis le 24 mars dernier autour de la « profonde inquiétude » manifestée par H&M à propos des informations sur le travail forcé dans les champs de coton au Xinjiang ? Le groupe de textile suédois avait plus tard indiqué qu’il ne se procurait plus en coton provenant de la région autonome du Nord-Ouest chinois. Ce vent de folie est devenu l’abcès de fixation qui oppose la Chine et l’Occident autour de la tragédie des Ouïghours.
Cette inquiétude avait pourtant été exprimée un an auparavant. Mais elle a créé une avalanche de commentaires vengeurs sur les réseaux sociaux. « Répandre des rumeurs pour boycotter le coton du Xinjiang tout en voulant faire de l’argent en Chine ? Voilà un vœu pieux », a déclaré la Ligue de la Jeunesse Communiste chinoise dans un message posté sur la plateforme de microblogs Weibo. Le coton du Xinjiang « ne va pas nous avaler », a rajouté la Ligue quelques instants plus tard.
H&M, de même que plusieurs autres marques dans le collimateur des internautes chinois, sont membres de la Better Cotton Initiative, un groupe qui promeut une production durable du coton. En octobre 2020, il avait annoncé avoir renoncé à s’approvisionner dans le Xinjiang.
En réponse, des célébrités chinoises, égéries de ces marques en Chine, ont publiquement choisi de rompre. Sur sa page Weibo, l’acteur Huang Xuan a ainsi déclaré avoir mis fin à son contrat le liant à H&M, soulignant qu’il était opposé « aux calomnies et à la rumeur ». Il a été plus tard suivi par les acteurs Wang Yibo et Victoria Song. Certains internautes sur Weibo ont appelé H&M à quitter le pays et les Chinois à un boycott de ses produits.
La Chine est aujourd’hui le quatrième marché au monde pour H&M. Certains hôtels du pays en sont arrivés à poster une affichette à l’entrée informant que celle-ci serait refusée à ceux portant des habits de la marque suédoise. Cette furie s’est dans les jours suivants étendue à Nike, de même qu’à ses filiales New Balance, Under Armour, Tommy Hilfiger et Converse. L’an dernier, le géant américain avec lui aussi exprimé son inquiétude à propos du traitement réservé aux Ouïghours au Xinjiang. Même prise de position chez Adidas : la firme allemande a également annoncé qu’elle n’utiliserait plus de coton en provenance du Xinjiang. Ont suivi la marque de luxe britannique Burberry, puis le spécialiste allemand des articles de sport Puma.

« Je soutiens le coton du Xinjiang »

L’une des stars du cinéma chinois, Zhou Dongyu, était l’ambassadrice de Burberry en Chine. Elle a brusquement annoncé mettre fin à son contrat avec la marque britannique jusqu’à ce qu’elle « déclare clairement et publiquement sa position sur le coton du Xinjiang ». L’actrice Liu Yifei, qui a incarné Mulan dans le film de Disney, a annoncé cesser tout partenariat avec Adidas, sous les applaudissements de ses fans. En l’espace de deux jours seulement, ce sont au moins vingt-sept acteurs, actrices, chanteurs et chanteuses chinois qui ont déclaré rompre leurs liens avec ces marques occidentales.
Même posture parmi les politiciens pro-Pékin à Hong Kong. La députée Regina Ip n’achètera plus de produits Burberry, a-t-elle promis. « Burberry était l’une de mes marques préférées. Mais je vais arrêter de l’acheter. Je me range du côté de mon pays en boycottant les firmes qui répandent des mensonges sur le Xinjiang. » La télévision d’État chinoise CCTV s’est elle aussi mise de la partie pour estimer que H&M « se trompait en voulant devenir un héros porte-drapeau du droit » et que la firme devait désormais « payer un lourd tribut pour ses actions erronées ». Le Quotidien du Peuple, organe du Parti communiste chinois, n’a pas été en reste, publiant dans ses pages un encadré intitulé « Je soutiens le coton du Xinjiang ».
Le 24 mars, au moins quatre plateformes chinoises de vente en ligne, Alibaba, Pinduoduo, JD.com et Tmall, avaient retiré les produits H&M de leurs ventes. À cette liste s’est encore ajouté depuis le groupe japonais Uniqlo, lui aussi pris dans la tourmente pour avoir déclaré renoncer à s’approvisionner en coton du Xinjiang, tandis que la star de la pop de Hong Kong Eason Chan a décidé de couper les ponts avec Adidas. Son post sur Weibo a instantanément reçu le soutien de presque 800 000 utilisateurs. « Je sais que vous n’allez pas nous laisser tomber. Je suis du Xinjiang », a commenté l’un d’entre eux.

Actes de haine et insultes officielles

Outre la furie nationaliste qu’elle a provoqué en Chine, cette controverse qui est encore loin d’être éteinte met en lumière une autre question : les entreprises commerciales ont-elles un devoir vis-à-vis des valeurs universelles que sont les droits de l’homme et les libertés individuelles ? En d’autres termes, le commerce a-t-il une morale ?
« S’agissant de nos relations commerciales, la Chine est un partenaire économique incontournable, à l’échelle mondiale, mais nos relations ne doivent pas se faire au détriment de nos principes, de nos valeurs et du modèle de société que nous défendons, ni être exemptes de réciprocité », a déclaré le 24 mars Franck Riester, ministre délégué du Commerce extérieur et de l’Attractivité, à une question d’actualité. D’autres éléments de réponse vont probablement surgir dans les mois qui viennent.
Les antagonismes s’expriment aussi violemment dans la société américaine. Huit personnes sont mortes, dont six femmes d’origine asiatique, le 16 mars dans une fusillade à Atlanta. Un drame qui a suscité une vague d’inquiétude dans la communauté asiatique dans le pays, cible de nombreux actes de haine, en particulier depuis que l’ancien président américain Donald Trump a usé du terme « virus chinois ».
Quant à la France, les insultes de l’ambassade de Chine à Paris à l’égard du chercheur français Antoine Bondaz, traité de « petite frappe », de « hyène folle » et de « troll idéologique » ont eu l’effet exactement inverse à celui recherché. Elles ont en effet suscité une surprenante vague de soutiens, venant même de dizaines de think tank européens spécialisés sur la Chine et conduisant le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a remettre en place l’ambassadeur chinois Lu Shaye. L’arroseur arrosé, en quelque sorte.
Le fossé qui sépare la Chine de l’Occident ne cesse de se creuser et bien malin sera celui qui peut prédire quand et où cela s’arrêtera.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).