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France-Indonésie : vers une commande de Rafale par Jakarta ?

La France va-t-elle signer avec l'Indonésie la vente de 36 avions de combat Rafale d'ici la fin 2020 ? (Source : Asia Times)
La France va-t-elle signer avec l'Indonésie la vente de 36 avions de combat Rafale d'ici la fin 2020 ? (Source : Asia Times)
Le France a-t-elle parlé trop vite ? Paris serait en train de négocier la vente prochaine de 36, voire même 48 Rafale à Jakarta, affirme le gouvernement français. Ce serait une première pour l’archipel qui n’a jamais acheté d’avions de combat français. Un contrat qui pourrait n’être qu’un leurre pour appâter les Américains.
Interviewée le 3 décembre dernier dans le « Grand Journal de l’Éco » de BFM TV, la ministre des Armées Florence Parly parle de la signature avec l’Indonésie d’une vente de 36 avions de chasse Rafale. La vente est « très bien avancée », affirme-t-elle. Dans son édition du même jour, le quotidien économique Les Echos écrit que Dassault, le constructeur de l’avion, ne confirme rien pour l’instant.
En 2015, le Rafale faisait partie des avions retenus pour le remplacement de la dizaine de chasseurs F-5 que l’armée de l’air indonésienne avait acquis au milieu des années 1970. Les autres candidats étaient le F-16 américain, le Gripen du constructeur suédois Saab, le Sukhoi Su-35 russe et le Typhoon du consortium européen Eurofighter. L’Indonésie avait finalement choisi le Su-35, le contrat devant être signé fin septembre 2015. Le ministère indonésien de la Défense avait annoncé son intention de remplacer les F-5 en 2014 et l’armée de l’air avait initialement mentionné parmi les fournisseurs possibles les États-Unis, la Russie et la Suède.
Le choix du Su-35 avait un sens. Cet appareil est un développement du Su-27 et du Su-30, dont l’Indonésie avait acquis 16 exemplaires au total dans le cadre d’un contrat signé en 2003. À l’époque, les appareils les plus modernes de l’armée de l’air indonésienne étaient la douzaine de F-16 américains achetés en 1988. Mais l’Indonésie était alors sous embargo américain en raison des violences commises par des milices pro-indonésiennes à la suite d’un référendum en 1999 par lequel la population de Timor Leste, occupée par l’Indonésie depuis 1975, avait signifié à près de 80 % son désir de se séparer du pays. Pour cette raison, Jakarta avait décidé d’acquérir des avions russes. En 2010, le ministre de la Défense était allé jusqu’à déclarer que son pays avait comme objectif l’achat de 180 Sukhoi sur les 15 à 20 ans à venir. Les États-Unis avaient levé leur embargo mais l’Indonésie souhaitait minimiser le risque d’une telle sanction.

Vente russe refusée par peur des sanctions américaines

Le nombre initialement prévu était de 16 avions. Un chiffre tombé à 10 en en 2016, mais aucun accord n’avait été encore conclu. En 2017, le ministre indonésien de la Défense annonçait un contrat pour l’achat de 11 appareils, qui serait signé en novembre. En contrepartie, la Russie achèterait des produits indonésiens. Entre-temps, l’Indonésie avait retiré ses F-5 du service. En mars 2018, interrogé par l’agence de presse russe étatique TASS, Vladimir Kozhin, l’assistant du président russe pour la coopération dans les technologies de défense, déclarait que le contrat avait été signé. Mais début 2019, selon TASS, le ministre indonésien de la Défense avait déclaré que le sort du Su-35 serait réglé à la fin de l’année. Du côté russe, un haut responsable de Rostec, la holding d’État de l’industrie de l’armement, expliquait que le retard était dû aux élections en Indonésie.
En fait, Jakarta semblait avoir renoncé au contrat vers fin 2018 ou début 2019. La raison non avouée était que l’Indonésie craignait d’être l’objet de sanctions au nom du CAATSA, le « Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act », qui s’appliquerait dans le cas de « transactions avec les secteurs du renseignement ou de défense de la Fédération russe » et ce, bien que le Congrès américain ait débattu de la possibilité d’une dispense pour des pays comme l’Inde, l’Indonésie et le Vietnam, pays historiquement acheteurs d’armes russes mais qui achetaient de plus en plus de matériel américain.
En janvier 2020, des bateaux chinois, dont le garde-côte Haijing 35111 pénètrent dans ce que l’Indonésie considère comme sa zone économique exclusive au nord des îles Natuna. Le gouvernement indonésien envoie une protestation officielle à Pékin et l’armée de l’air détache quatre avions dans la région.

Des F-16 à la place d’un Mirage

L’armée de l’air indonésienne ne possède qu’une centaine d’avions de combat, dont une trentaine de F-16 américains et 16 Sukhoi Su-27/30 russes. Pour comparaison, Singapour en possède également une centaine, essentiellement des F-15 et F-16 américains. C’est pour cette raison que le gouvernement a déclaré en 2014 vouloir augmenter ses dépenses militaires de 0,8 à 1,5 % du PIB pour les cinq ans à venir, à un niveau comparable à celui de ses voisins (1,5 % du PIB pour la Malaisie et 1,4 % pour la Thaïlande en 2015 d’après le CIA World Factbook). Néanmoins, le nombre de 36 Rafale cité par la ministre française de la Défense est un surprenant saut quantitatif. Le quotidien Sud Ouest parle même de 48 appareils, écrivant que « les Indonésiens voudraient finaliser avant fin 2020 ». En outre, selon CNN Indonesia, les États-Unis seraient désormais d’accord pour vendre de F-15 et des F-18.
L’Indonésie semble avoir renoncé aux Su-35. L’actuel ministre indonésien de la Défense, Prabowo Subianto, s’est rendu aux États-Unis en octobre 2020. Il y a entre autres discuté de la possibilité d’acquérir des F-35, le plus récent des appareils américains. Le Pentagone a opposé un refus, proposant en retour des F-16 modernisés. Prabowo est ensuite allé en Autriche le 20 pour proposer le rachat des 15 Eurofighter d’occasion de l’armée de l’air de ce pays.
Au-delà de la crainte d’un nouvel embargo américain, le désir de l’Indonésie de diversifier ses fournisseurs en armement n’a rien de surprenant. Dès le début de la Guerre froide en 1947 le pays, qui avait proclamé son indépendance deux ans plus tôt, a pris le parti de ne pas prendre parti. En effet, pour des raisons différentes, les États-Unis et l’Union soviétique soutenaient la cause indonésienne contre les Pays-Bas, qui avaient récupéré la plus grande partie de ce qu’ils considéraient toujours comme leur colonie.
Nous ne sommes pas dans le secret des dieux. Mais nous nous souvenons qu’en 1986, l’Indonésie avait organisé un salon aérien sur l’ancien aéroport de Kemayoran à Jakarta. Soeharto s’était fait photographier dans le cockpit d’un Mirage, photo publiée dans la presse. Peu de temps après, les États-Unis acceptaient de vendre une douzaine de F-16 à l’Indonésie. Nous verrons si cette histoire se répète, où si l’Indonésie achète vraiment des Rafale. Ce qui serait une première dans un pays qui jusqu’ici, n’a pas acheté d’avions de combat français.
Par Anda Djoehana Wiradikarta

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.