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Analyse

Pourquoi Joe Biden maintiendra une politique dure face à la Chine

Le candidat démocrate à la présidentielle américaine, Joe Biden, lors d'une conférence de presse à Wilmington, Delaware, le 14 juillet 2020. (Source : NBC)
Le candidat démocrate à la présidentielle américaine, Joe Biden, lors d'une conférence de presse à Wilmington, Delaware, le 14 juillet 2020. (Source : NBC)
Cinq longues journées après le scrutin, Joe Biden est devenu ce samedi 7 novembre le 46e président des États-Unis. Une fois installé dans le bureau ovale, l’un de ses premiers dossiers de politique étrangère sera bien sûr la Chine. Pas de virage à 180 degrés à attendre, Joe Biden a l’intention de maintenir une politique dure face à Pékin. Comme les républicains, les démocrates estiment impératif de « contenir » l’ascension foudroyante sur la scène mondiale de ce pays qui représente, à leurs yeux, une menace pour la sécurité nationale américaine.
Tout juste peut-on compter sur un changement dans la rhétorique. Joe Biden s’abstiendra de parler du « virus chinois » et s’emploiera à restaurer un langage plus policé à l’égard de la Chine et des ses dirigeants. Son futur secrétaire d’État, quel qu’il soit, ne va probablement pas prendre pour cible le Parti communiste chinois comme avait coutume de le faire Mike Pompeo pour qui le PCC représentait « une menace pour le monde libre ».
D’autre part, Joe Biden a promis qu’il prendrait soin de consulter ses alliés européens sur la conduite à tenir s’agissant de la poursuite ou non des sanctions commerciales et technologiques prises par Donald Trump à l’égard de Pékin.
« Les démocrates apparaissent moins militants. Aussi devraient-ils prendre davantage soin d’éviter tout conflit militaire même limité et faire davantage attention à la gestion de crise et à la communication avec la Chine », estime Shi Yinhong, chercheur à l’Université du Peuple de Pékin, l’un des universitaires les plus en vue en Chine dans le domaine des relations internationales, cité par l’agence Associated Press.
Une plus grande prudence à attendre donc de Joe Biden sur des dossiers chauds tels que la présence chinoise en mer de Chine du sud et surtout Taïwan, de loin le principal sujet de contention entre Pékin et Washington. « Pour le moins, la politique de Biden ne sera pas aussi émotionnelle et ridicule que celle de Trump », affirme Yu Wanli, professeur de relations internationales à l’Université des Langues et de la Culture de Pékin.

Rencontre annoncée avec le Dalaï-lama

Cependant, sur le fond, la rivalité entre Chine et États-Unis demeurera intacte et ceci pour de nombreuses années à venir. Car les Américains ne peuvent pas imaginer un instant perdre leur statut d’hégémon mondial au profit des Chinois. Il n’est donc pas question de laisser à l’élève la possibilité de dépasser le maître.
Dans cette entreprise, un président démocrate aura probablement plus de chance de parvenir à convaincre ses partenaires européens d’adopter une ligne commune face au rival chinois. Il y aura là une opportunité à saisir par l’Union européenne. Les Européens observaient une grande prudence face aux gesticulations de Mike Pompeo, même si ces derniers mois, l’UE a clairement adopté une posture plus ferme face à Pékin.
D’autre part, si Donald Trump ne pensait ses relations avec Pékin qu’en termes de marchandages économiques, Joe Biden sera nettement plus intransigeant sur les questions liées aux droits de l’homme en Chine telles que les Ouïghours du Xinjiang, le Tibet et Hong Kong ainsi qu’aux valeurs universelles défendues par le monde occidental. C’est ainsi qu’il a déclaré publiquement que s’il était élu, il rencontrerait le Dalaï-lama, chef spirituel des Tibétains et bête noire de Pékin qui le considère comme un « dangereux séparatiste ».

Horreur de l’imprévisible

Même s’il ne l’a jamais fait connaître publiquement, le choix du régime chinois penchait clairement pour Joe Biden. Si la Chine a clairement tiré profit du repli sur elle de l’Amérique sous Donald Trump qui lui a laissé le champ libre pour mener une politique d’entrisme dans les grandes institutions internationales, Pékin a horreur de l’imprévisible et lui préfère de loin une relation apaisée. « À l’inverse du vieux cliché, ils préfèrent un démon qu’ils ne connaissent pas à un démon qu’ils connaissent », souligne June Teufel Dreyer, un expert de la politique chinoise de l’Université de Miami.
Pékin ne s’y est pas trompé. Dans le compte-rendu de son cinquième plénum, le PCC a souligné, sans le dire explicitement, que la Chine ne se faisait pas d’illusion sur une amélioration prochaine de ses relations avec les États-Unis. « L’environnement international devient de plus en plus complexe, tandis que l’instabilité et l’insécurité croissent de façon significative », soulignait le 29 octobre le communiqué officiel sans mentionner les élections américaines. Fait inhabituel, ce document de 6 000 caractères cite 22 fois le terme de « sécurité ».
En attendant, les élections américaines ont mis en lumière un exercice démocratique exemplaire, à comparer avec l’environnement politique figé de la Chine sous l’emprise de son président autocrate Xi Jinping. « Hier [mardi 3 novembre], nous avons une fois de plus prouvé que la démocratie est le cœur de notre nation tout comme cela a été le cas depuis plus de deux siècles, s’est félicité Joe Biden ce mercredi 4 novembre. Même face à une pandémie, plus d’Américains ont voté à cette élection que jamais auparavant. Plus de 150 millions de votes ont été exprimés, c’est tout simplement extraordinaire. Le gouvernement du peuple, par et pour le peuple, est bien vivant aux États-Unis d’Amérique. Ici, c’est le peuple qui décide. » Une belle leçon de démocratie et un beau pied-de-nez à la Chine de Xi Jinping.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).