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Les États-Unis renforcent leurs liens avec Taïwan, Pékin est furieux

Le ministre taïwanais des Affaires étrangères Joseph Wu en compagnie de Keith Krach, le sous-secrétaire d'État américain pour les Affaires économiques, le 18 septembre 2020 à Taipei. (Source : Deccan Herald)
Le ministre taïwanais des Affaires étrangères Joseph Wu en compagnie de Keith Krach, le sous-secrétaire d'État américain pour les Affaires économiques, le 18 septembre 2020 à Taipei. (Source : Deccan Herald)
La visite à Taïwan entamée ce jeudi 17 septembre par le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires économiques Keith Krach est la première de ce niveau d’un membre du Département d’État depuis 41 ans. Elle semble marquer la volonté de l’administration américaine de resserrer ses relations avec l’île, d’autant qu’elle intervient après celle il y a tout juste un mois du secrétaire à la Santé Alex Azar.
Jamais Washington n’avait osé de telles visites à Taïwan depuis l’établissement des relations diplomatiques avec la Chine populaire en 1979. Les États-Unis avait en même temps explicitement reconnu l’existence « d’une seule Chine » et rompu ses liens avec le régime du généralissime Chiang Kaï-shek.
Ces visites s’ajoutent à un déjeuner mercredi 16 septembre entre l’ambassadrice américaine à l’ONU Kelly Craft et James Lee Kuang-jang, le nouveau directeur du Bureau de représentation économique et culturel de Taïwan à New York et le chef du Bureau des affaires onusiennes de Taïwan dans la ville. Une rencontre, elle-aussi sans précédent, qui a fait dire à James Lee qu’elle était « historique ».
« Je m’attache à faire les choses comme il faut pour mon président et je suis d’avis qu’il cherche à renforcer et approfondir la relation bilatérale avec Taïwan. Je veux continuer à faire cela pour le compte de l’administration [américaine], a affirmé Kelly Craft, citée par Associated Press. À l’évidence, nous œuvrons pour qu’ils [Taïwan] retournent à l’ONU. »
À Taipei, Keith Krach assistera à une cérémonie à la mémoire de l’ancien président Lee Teng-hui, au pouvoir de 1988 à 2000, le « père de la démocratie » de « l’île rebelle », décédé le 30 juillet dernier. Il profitera aussi de son séjour pour rencontrer la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen lors d’un dîner officiel organisé dans sa résidence, de même que le Premier ministre Su Tseng-chang et le ministre des Affaires étrangères Joseph Wu. Le 10 août, le secrétaire à la Santé Alex Azar avait lui aussi été reçu par la présidente.

Deux avions chinois dans le ciel taïwanais

Les autorités de Pékin ont réagi avec colère à ces rencontres, parlant de « provocations » de la part des États-Unis, a souligné ce jeudi le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Wang Wenbin. « Cette initiative a non seulement encouragé les forces séparatistes mais a aussi endommagé les relations sino-américaines de même que la stabilité dans le détroit de Taïwan », a-t-il ajouté.
Signe de la profonde irritation de Pékin, vendredi, au premier jour de la visite de Keith Krach à Taipei, l’Armée populaire de Libération (APL) a entamé une série de manœuvres navales et aériennes à tirs réels dans le détroit de Taïwan, à proximité immédiate de la ligne de partage entre les eaux chinoises et taïwanaises, déclenchant dix-sept sorties de la chasse taiwanaise en quatre heures. Jeudi, deux avions chinois Y-8 de détection sous-marine étaient même brièvement entrés dans la Zone d’identification aérienne de Taïwan, au sud-ouest de l’île, avant d’être pris en chasse par l’aviation taïwanaise.
Le porte-parole du ministère chinois de la Défense, Ren Guoqiang, a affirmé que ces manœuvres visaient à « protéger la souveraineté nationale » au moment où les États-Unis et Taïwan se sont engagés « dans une collusion » dangereuse. « Ceux qui jouent avec le feu vont se brûler les ailes », a-t-il menacé.

Faible marge de manœuvre de Pékin

De fait, les relations entre les États-Unis et Taïwan n’ont pas cessé de se réchauffer ces derniers mois, au fur et à mesure de la détérioration profonde des liens entre Washington et Pékin, tombés au plus bas depuis 1979. Ces visites semblent marquer la volonté de l’administration américaine d’aller encore plus loin, sans pour autant rompre avec Pékin. Une volonté qui s’est nettement accentuée depuis la réélection de Tsai Ing-wen, candidate du Parti Démocratique Progressiste (PDP), à la tête de l’île en janvier 2020.
Ce réchauffement se traduit aussi par de nouvelles ventes d’armes américaines à Taïwan. L’administration Trump prévoit la vente de sept gros paquets d’armes à Taïwan, y compris des missiles à longue portée qui permettraient aux avions taïwanais de frapper des cibles chinoises éloignées en cas de conflit. S’ils étaient approuvés par le Congrès, les paquets, évalués en milliards de dollars, constitueraient l’un des plus gros transferts d’armes de ces dernières années à Taïwan.
Le régime chinois n’a en réalité que très peu de marge de manœuvre, pris de court par les initiatives américaines à Taïwan qui se multiplient. Pékin en est réduit à espérer un hypothétique changement de politique américaine à l’égard de la Chine si le candidat démocrate Joe Biden est élu le 3 novembre.
Rappelons que les États-Unis sont tenus par la loi d’assurer la défense de Taïwan contre toute invasion chinoise. Le « Taiwan Relations Act » avait été adopté en 1979, en même temps qu’était signée la reconnaissance de la Chine populaire par l’Amérique. C’est ainsi que Taipei avait perdu son siège à l’ONU en 1971 au profit de Pékin.
Le régime communiste chinois entend réunifier l’île au continent, si besoin par la force. Une politique réaffirmée en janvier 2019 par le président chinois Xi Jinping qui avait alors réitéré la proposition d’une réunification sous le régime « Un pays, deux systèmes », déjà censé s’appliquer à Hong Kong. Mais, dans son écrasante majorité, la population de Taïwan refuse ces offres.
Un sondage, publié le 26 mars par le ministère taiwanais des Affaires continentales, a ainsi fait apparaître que 90 % des citoyens de l’île rejettent la formule « Un pays, deux systèmes », tandis que 92 % d’entre eux sont d’accord pour dire que seuls les 23 millions de Taïwanais ont le droit de déterminer l’avenir du pays et la direction des relations entre les deux rives.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).