Culture
Critique de film

Cinéma chinois : "The Crossing" de Bai Xue, contrebande lycéenne entre Hong Kong et Shenzhen

Scène du film chinois "The Crossing" réalisé par Bai Xue. (Source : Cinemaleclub)
Scène du film chinois "The Crossing" réalisé par Bai Xue. (Source : Cinemaleclub)
Le 12 août prochain sortira sur les écrans français le tout premier long métrage de la réalisatrice chinoise Bai Xue : The Crossing. Remarqué d’abord au festival international du film de Toronto, puis à la Berlinale 2019, le film nous propose de suivre le parcours de Peipei, une adolescente de 16 ans qui pimente sa vie monotone en faisant passer illégalement des smartphones à la frontière entre Hong Kong et Shenzen.
Comme de nombreuses adolescentes, la jeune Peipei rêve de voyages et de liberté. Un bubble tea à la main, elle en parle pendant des heures avec sa meilleure amie du lycée. Même qu’elles doivent partir au Japon ensemble pour Noël ! Yukata colorés, hôtel cosy au milieu des sources chaudes et flocons sont prévus au planning ! Ah, que ce doit être agréable de sentir le froid de la neige sur son nez ! Seulement voilà, la seule frontière que Peipei n’ait jamais passée est celle qui sépare le domicile de sa mère à Shenzhen à son lycée de Hong Kong. Et il n’y a aucune chance pour que ses parents séparés acceptent de financer ses rêves d’exotisme. Sa mère passe ses économies à jouer au mah-jong et son père se débat pour survivre dans l’ancienne colonie britannique. C’est sûr, malgré la revente de coques de téléphones à ses camarades et son petit boulot d’étudiante, Peipei n’est pas prête d’y aller au Japon. Heureusement, le destin s’en mêle ! Un jeune homme croisé en soirée la charge de passer en douce deux iPhones interdits en Chine continentale. C’est risqué, mais qui soupçonnerait une lycéenne de contrebande ? Et puis ce n’est pas bien compliqué. Il lui suffit de traverser la douane avec son sac de cours sur les épaules et de livrer les appareils. Bientôt le Japon ?

Un film de genre préparé comme un documentaire

À l’origine, la réalisatrice voulait écrire un film au sujet d’écoliers qui traversent la frontière, passant du village qu’était encore Shenzhen dans les années 1990 à la cité bouillonnante qu’était déjà Hong Kong. Toutefois, son projet bascule lorsqu’elle apprend que des adolescentes font passer des produits illégaux à la frontière malgré le risque de se faire emprisonner et Bai Xue de se passionner pour ces jeunes filles dans lesquelles elle se reconnaît un peu. Dès lors, elle quitte Pékin où elle poursuit ses études de cinéma et retourne à Shenzhen où elle a grandi. Là, elle veut tout savoir sur le sujet et multiplie les rencontres avec des jeunes passeuses avec lesquelles elle se lie d’amitié mais aussi avec des revendeurs, des douaniers. Vivant entre deux villes, entre deux systèmes, ces adolescentes ont une identité double et complexe, ni totalement hongkongaises, ni seulement chinoises du continent, de quoi nourrir son personnage principal : Peipei était née.
Avec une telle préparation et un ancrage très fort à la région servant de décors, on aurait pu s’attendre à ce que Bai Xue signe un drame sociologique frôlant le reportage. Cependant, la jeune réalisatrice préfère lorgner vers le cinéma de genre et s’inspirer des films de mafieux et du thriller dont elle reprend certains codes qui viennent colorer un roman d’apprentissage entièrement focalisé sur son héroïne. À l’instar du jeune Holden Caufield de Sallinger dans L’Attrape-Coeur, la jeune Peipei n’est pas une victime naïve au destin prédéterminée par la naissance mais une jeune fille sans histoires qui, en pleine conscience et en toute indépendance, embrasse le frisson du délit et de la liberté.

Malin plaisir à torturer le spectateur

Pour ce qui est du frisson, le spectateur aussi en reçoit son lot puisque la réalisatrice Bai Xue prend un malin plaisir à le torturer. Combien de fois arrêtons-nous de respirer à l’idée que le pire puisse arriver au visage poupin de Peipei qu’une caméra intime portée à l’épaule rend tellement palpable ? C’est que Bai Xue connaît son art et maîtrise parfaitement les codes du cinéma à suspense qu’elle utilise pour créer des situations très classiques pour le spectateur dont elle aime bousculer les attentes. D’ailleurs son héroïne n’est jamais telle qu’on se l’imagine. Qu’elle se montre audacieuse ou raisonnable, elle reste toujours insaisissable à nos préjugés, incarnant une époque qui trace sa propre route sans demander de permissions.
Par Gwenaël Germain
Voir la Bande-Annonce de The Crossing de Bai Xue :

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.