Politique

Face à la Chine, les États-Unis entendent reprendre l’avantage militaire en Asie-Pacifique

Le navire américain d'assaut amphibie USS America (LHA 6), à gauche, et le croiseur lance-missiles de classe Ticonderoga USS Bunker Hill (CG 52) traversent la mer de Chine du Sud. (Source : USNI)
Le navire américain d'assaut amphibie USS America (LHA 6), à gauche, et le croiseur lance-missiles de classe Ticonderoga USS Bunker Hill (CG 52) traversent la mer de Chine du Sud. (Source : USNI)
Certains experts pointaient du doigt la faiblesse des forces armées américaines dans le Pacifique. Depuis le début de l’année, l’administration américaine effectue un virage sur l’aile avec un effort conséquent de réarmement pour reprendre l’avantage dans la zone face à la Chine. C’est que le potentiel militaire chinois s’est considérablement développé ces dernières années.
Dernier épisode en date de la confrontation militaire entre les États-Unis et la Chine, Washington a dépêché deux porte-avions, le Ronald Reagan et le Nimitz, et l’armada qui les accompagne en mer de Chine du Sud. Un déploiement sans précédent depuis 2014 dans cette zone revendiquée par Pékin. Cette démonstration de force américaine répond aux manœuvres inédites de l’armée chinoise du 1er au 5 juillet derniers autour des îles Paracels, manœuvres qui ont suscité un regain de tension dans la région et provoqué la colère du Vietnam et des Philippines.
Washington a accusé Pékin de tirer parti de la pandémie du coronavirus pour renforcer ses positions militaires en mer de Chine du Sud, une zone de presque 4 millions de km2, pour partie également revendiquée par Taïwan, les Philippines, le Vietnam, la Malaisie et Brunei.

Unités mobiles équipées de missiles antinavires

Le changement radical de stratégie des États-Unis date de la discussion au Congrès du budget militaire américaine pour 2021, après les 738 milliards de dollars de 2020. Dans ce budget prévisionnel, figure le déploiement sur le théâtre Asie-Pacifique d’un arsenal de nouveaux missiles Tomahawk sol-mer et sol-sol ainsi que d’autres armes nouvelles. L’armée américaine prévoit notamment d’accélérer la livraison de missiles antinavires nouvelle génération dans les prochaines années.
L’un des axes prioritaires de cette nouvelle stratégie est l’intervention du corps des Marines aux côtés de la marine américaine, avec la mise en œuvre de petites unités mobiles équipées de missiles antinavires stationnées dans différents endroits du Pacifique Ouest au large du Japon, de Taïwan, des Philippines et de Bornéo. Le 5 mars dernier, le commandant des Marines, le général David Berger, a souligné devant la Commission militaire du Sénat que ces petites unités, armées de missiles de précision, pourront aider la marine américaine à reprendre le contrôle des mers au large de la Chine. « Le missile Tomahawk est l’un des outils qui va nous permettre de réaliser cela », a-t-il assuré. Ce missile, dont la version mer-sol avait été largement utilisé pendant la guerre du Golfe en 1991, connaîtra donc une nouvelle version mer-mer et sol-mer d’une portée de 1 600 km qui sera testée tout au long de l’année 2022 pour qu’il soit opérationnel en 2023, selon des hauts responsables militaires américains cités par l’agence Reuters.
« Les Américains reviennent en force, a souligné Ross Babbage, un ancien responsable de la défense australienne. D’ici 2024 ou 2025, il existe un sérieux risque pour les forces de l’Armée populaire de libération de devenir obsolètes. »

Avantage à la Chine dans le Pacifique Ouest

Inquiète face à ces développements, la Chine a réagi avec virulence. Un porte-parole de l’APL, le colonel Wu Qian, a expliqué en octobre dernier que la Chine « ne restera pas les bras croisés » si les États-Unis déploient des missiles longue portée sur le théâtre Asie-Pacifique. « Récemment, les États-Unis ont renforcé la poursuite de ce qu’ils appellent « La stratégie Indo-Pacifique » qui cherche à déployer de nouvelles armes, y compris des missiles de portée intermédiaire tirés du sol dans la région Asie-Pacifique », a souligné le ministère chinois de la Défense à la même agence.
N’étant pas signataire du Traité sur les Forces Nucléaires de Portée Intermédiaire (INF) qui interdisaient à la Russie et aux États-Unis de déployer tout missile d »une portée de 500 à 5 500 kilomètres, la Chine a amassé un arsenal considérable de ces missiles stationnés le long de ses côtes orientales. Une partie d’entre eux ciblent l’île rebelle de Taïwan que Pékin entend rattacher à la Chine continentale, par la force si besoin est.
L’armée chinoise a également équipé ses navires et ses avions de missiles de longue portée ultra-performants, en particulier des missiles antinavires qui pourraient infliger des dommages considérables aux bâtiments de la 7ème flotte en cas de conflit. Ce processus, en cours depuis une dizaine d’année, a donné à la Chine un avantage tangible dans le Pacifique Ouest sur les forces américaines, estiment des responsables militaires à Washington, cités par l’agence Reuters.

Déploiement de missiles longue portée

Le retrait américain de ce traité le 2 août 2019 a redonné les coudées franches aux États-Unis. Le lendemain même de cette annonce, le secrétaire américain à la Défense Mark Esper exprimait devant la presse son intention de déployer des missiles basés à terre en Asie dans les mois qui allaient suivre.
Le budget militaire américain prévoit l’acquisition de 48 nouveaux Tomahawk pour une somme de 125 millions de dollars. Le département de la Défense a surtout prévu un budget de 3,2 milliards de dollars pour le développement de nouveaux missiles hypersoniques de longue-portée dont le déploiement concerne essentiellement le théâtre Asie-Pacifique. Les cibles visées sont tout particulièrement les navires chinois croisant en mer de Chine du Sud, en mer de Chine orientale et en mer Jaune. Pékin dispose de quelque 400 navires dans la zone.
Par ailleurs, l’armée américaine a l’intention de renforcer son aviation militaire dans la région, avec le déploiement de bombardiers furtifs B-21 armés de missiles longue portée au milieu de la décennie 2020-2030. L’armée de l’air américaine dispose déjà dans la région de bombardiers B-1 , armés à brève échéance d’un nouveau missile antinavires d’une portée de 800 km qui, souligne le commandement militaire américain pour le Pacifique, répondra à « un besoin opérationnel urgent ». L’armée de l’air et la marine américaines devraient compter plus de 400 de ces nouveaux missiles d’ici 2025, selon le Pentagone.
« L’objectif des États-Unis et de leurs alliés de se concentrer sur le déploiement de missiles longue portée antinavires et sol-sol est la façon la plus rapide de reconstruire une puissance de feu conventionnelle dans la région du Pacifique Ouest », estime Robert Haddick, un ancien responsable du Corps des Marines. Le même Haddick est l’auteur d’un livre prémonitoire, Fire on the Water, qui, en 2014, avait sonné l’alarme sur la puissance militaire chinoise dans la région et ses positions désormais dominantes face aux États-Unis.
Une ombre au tableau cependant : les Américains ont demandé à leurs alliés dans la région, à commencer par le Japon, mais aussi la Corée du Sud et les Philippines, la possibilité de stationner les nouveaux missiles à portée intermédiaire sur leur sol, mais ces trois pays traînent des pieds. Ils craignent une course aux armements qui pourraient leur porter tort et une détérioration de leurs liens déjà compliqués avec la Chine voisine.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).