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Hong Kong : Agnes Chow, du lycée aux pavés de la contestation

La militante hongkongaise pro-démocrate Agnes Chow lors de la campagne pour les élections législatives partielles de mars 2018. (Crédit : Facebook officiel Agnes Chow)
La militante hongkongaise pro-démocrate Agnes Chow lors de la campagne pour les élections législatives partielles de mars 2018. (Crédit : Facebook officiel Agnes Chow)
C’est l’une des porte-voix à l’international de l’actuelle mobilisation pro-démocratie à Hong Kong. Pourtant, Agnes Chow l’assure : la contestation n’a « pas de leader ». Asialyst s’est entretenu avec la militante hongkongaise de 22 ans lors de son récent passage en Allemagne. Elle revient sur les sources de son engagement.
« Elle a seulement 22 ans mais milite depuis sept ans. » À l’annonce du discours d’Agnès Chow, un vent d’admiration souffle dans l’auditoire. Rompue à l’exercice, la jeune militante hongkongaise prend la parole avec assurance : « Après l’annonce par Carrie Lam [chef de l’exécutif hongkongais] du retrait du projet de loi d’extradition, beaucoup de médias et d’organisations ont pu dire que les manifestants avaient obtenu ce qu’ils voulaient. Ce n’est pas le cas, nous n’avons remporté aucune sorte de victoire ! » Le message est clair, l’ovation unanime.
L’activiste participe à la conférence annuelle des Fédérations des associations taïwanaises, qui s’est tenue les 14 et 15 septembre derniers à Mayence, en Allemagne. Lorsqu’elle descend de l’estrade, son air timide et un léger cheveu sur la langue tranchent avec son discours révolté et sans concession sur Pékin. Il faut dire que la rhétorique de la jeune activiste a eu le temps de se roder au fil de ses années de militantisme. Un atout précieux alors qu’Agnes Chow se fait désormais, comme d’autres membres de son organisation politique Demosistō, l’un des porte-paroles officieux du mouvement de contestation qui secoue actuellement Hong Kong.

Un militantisme précoce

Agnès Chow fait partie de cette jeune génération qui a uniquement connu Hong Kong sous son statut de Région Administrative Spéciale (RAS), après sa rétrocession à la Chine par le Royaume-Uni en 1997. La militante est d’ailleurs née cette même année où entre en vigueur la Loi fondamentale (Basic Law). Cette mini-Constitution encadre la déclinaison du principe « un pays, deux systèmes », censé prévaloir jusqu’en 2047.
La jeune fille grandit au rythme des premières protestations contre les interférences du pouvoir central chinois dans l’ancienne colonie britannique. Parmi les mobilisations réussies qui l’inspirent, Agnes Chow évoque sans hésiter le mouvement de juillet 2003 : ces manifestations massives contre un projet de législation anti-sédition aboutissent à un rétropédalage du gouvernement hongkongais, et à une première déconvenue cinglante pour Pékin.
Fille unique de parents travaillant dans le commerce, qui « parlaient peu de politique », Agnes Chow affirme avoir débuté son activisme au travers des réseaux sociaux. C’est depuis son écran qu’elle assiste aux manifestations de 2012 contre un projet de réforme des programmes scolaires, avant de se décider à battre le pavé. Elle a alors quinze ans : « Sur les réseaux sociaux, je voyais des images de défilés auxquels prenaient part des jeunes de mon âge. Je me suis renseignée et j’ai découvert que ce projet de loi, c’était du lavage de cerveau pour améliorer l’image de la Chine et du Parti communiste chinois. Alors moi aussi, j’ai voulu défiler et me battre pour quelque chose que je trouvais juste. » Comme d’autres militants, elle évoque également sa foi catholique comme l’un des fondements de son engagement politique.
Rapidement, le charisme et l’anglais impeccable de la lycéenne la propulsent porte-parole du syndicat étudiant Scholarism, qui se forme en 2011 sous la houlette du désormais très médiatisé Joshua Wong. Le mouvement de 2012 représente une victoire partielle, mais le coût personnel est élevé pour Agnès Chow : « Mes parents étaient très choqués, parce que jusqu’alors je ne m’intéressais ni à la politique ni à l’actualité. » Face à la pression familiale, la jeune femme se met en retrait. « Ma famille craignait que je sois manipulée par des partis politiques », soupire-t-elle.

L’aventure électorale

Reculer pour mieux sauter. En 2014, Agnes Chow joue à nouveau un rôle de premier plan lors de la « révolution des parapluies », impulsée par plusieurs organisations dont Scholarism. Deux ans plus tard, ses membres participent à la création de Demosistō. Le parti politique ambitionne d’entrer dans l’arène des élections législatives de septembre 2016 : la tentative est fructueuse et aboutit à l’obtention d’un siège au LegCo (Legislative Council) en la personne de Nathan Law Kwun-chung.
Mais le gouvernement hongkongais, cornaqué par Pékin, ne l’entend pas de cette oreille. Un an plus tard, Nathan Law est expulsé du LegCo pour avoir prononcé un serment considéré comme contraire à la Loi fondamentale. Entre-temps, une interprétation plus sévère du texte avait été adoptée par le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire à Pékin, permettant d’exclure les élus qui dénaturaient la cérémonie. Un moyen pourtant utilisé par certains parlementaires pour exprimer leur désaccord à l’égard du système électoral et politique hongkongais, qu’ils jugent non démocratique.
Début 2018, Agnes Chow se présente aux élections partielles dans la circonscription de Hongkong Island, en vue de remplacer Nathan Law. Elle a alors 21 ans et serait la plus jeune députée du Conseil législatif en cas d’élection. Son jeune âge lui a d’ailleurs valu quelques mois plus tôt d’être taxée de « petite fille » par l’actuelle chef de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam. « Lam dit que je suis une radicale et a refusé de promettre de ne pas disqualifier les législateurs. Cela montre qu’elle n’a aucune idée de ce qu’est la démocratie », avait répliqué Agnes Chow sur les réseaux sociaux.
La jeune politicienne n’a pas le temps de se lancer dans la course : sa candidature est invalidée en raison de ses positions autonomistes, jugées incompatibles avec le règlement du Conseil législatif. Pour Agnes Chow, le caractère politique de ces disqualifications en cascade ne fait alors plus de doute. Un argument réfuté par l’exécutif hongkongais.
Maigre victoire. Il y a quelques semaines, une cour de justice locale a nullifié la décision de bannir Agnes Chow du LegCo, en raison d’une procédure jugée inéquitable. La militante a déclaré en retour qu’il s’agissait d’une « victoire à la Pyrrhus » et affirmé qu’elle ne souhaitait pas briguer le siège contesté en cas de nouvelles élections.

Demosistō, une organisation pro-démocratie parmi d’autres ?

À la question de savoir où placer Demosistō sur un échiquier politique commun, la réponse d’Agnès Chow est plus laconique : « Globalement, nous sommes proches des idées de la social-démocratie », lâche-t-elle après un moment d’hésitation. La jeune femme se défend aussitôt de ne pas pouvoir étayer sa réponse et retrouve son panache habituel : « À Hongkong, nous n’avons pas vraiment de distinction droite-gauche puisque nous n’avons pas de démocratie ! La seule différence est pro-Pékin ou pro-démocratie. » Le nom du collectif est d’ailleurs une contraction du mot grec demos (le peuple) et du latin sisto (« être debout »), reflétant ainsi ses velléités démocratiques.
En réalité, la nouvelle organisation politique ne remporte pas l’unanimité au sein des sphères défendant l’auto-détermination. Elle s’est notamment fait doubler sur son flanc identitaire par les groupes dits « nativistes » ou « localistes ». Ces derniers, à l’image du mouvement Youngspiration ou de Civic Passion, affichent une opposition anti-communiste plus franche et n’hésitent pas à se positionner sur des thématiques comme l’identité et la protection des frontières. Ils reprochent à Demosistō ses positions trop timides sur ces sujets.
« En 2019, je ne pense pas que cela fasse beaucoup de sens de définir différents groupes qui se battent pour l’auto-détermination. Tous les groupes pan-démocrates sont très unis », balaie toutefois Agnes Chow. D’autant que la mobilisation actuelle, à la différence de celle des « parapluies », se revendique comme n’ayant aucun leader. Aux dires des protestataires, cette absence de chef de file est compensée par le rôle important des réseaux sociaux pour coordonner les actions. Une horizontalité revendiquée qui n’empêche pas certaines mouvances d’exprimer leurs doutes face à l’importance prise par les porte-paroles dits « scholaristes » dans les médias.
Malgré ces dissensions latentes, la jeune femme fait bloc pour soutenir les méthodes employées par certains manifestants. « Cette année, les méthodes non-violentes semblent ne mettre aucune pression sur le gouvernement, note-t-elle. Alors, je défends bien sûr la non-violence, mais tout dépend de comment on la définit : les manifestants ne font pas de mal aux citoyens ordinaires et ne visent pas non plus les magasins privés. Leurs cibles sont les autorités, la police et le gouvernement de Hong Kong. » À la mi-août, la rétention musclée par les manifestants d’un homme soupçonné d’être un indicateur chinois avait conduit une partie des protestataires à s’excuser – à nouveau sans porte-parole officiel. « J’espère que les gens de Hongkong et du monde entier comprendront que cette violence est une réponse à celle de la police mais surtout à celle du gouvernement qui ne cesse d’ignorer les problèmes politiques de la population. »

« J’ai peur de me faire tuer dans une manifestation »

Exposée médiatiquement, Agnès Chow affirme subir des pressions grandissantes. Comme lorsque la police l’arrête à son domicile, le 30 août dernier. Le motif invoqué par les agents qui l’interpellent est la participation de la jeune femme à une manifestation le 21 juin devant le quartier général de la police contre les violences policières. « Ils parlaient en cantonais mais ne m’ont presque pas posé de question : ils cherchent seulement à créer une « terreur blanche » pour effrayer les jeunes et les décourager de manifester », estime-t-elle. Et de dénoncer les interférences de la Chine communiste dans la réponse policière : « Durant certaines manifestations, on a pu entendre la police parler dans un chinois avec un mandarin du continent, c’était étrange. » Une présence régulièrement évoquée par les protestataires et que semble confirmer certains spécialistes, à l’image du sinologue Jean-Pierre Cabestan, qui estimait début août que 2 000 policiers chinois avaient été envoyés en renfort par Pékin.
Si Agnes Chow se dit peu impressionnée par ces intimidations, elle confie aujourd’hui craindre davantage la complicité de la Chine avec certains groupes mafieux ou la violence de militants pro-Pékin. « Il y a un vrai sentiment de peur dans la société hongkongaise : je n’ai pas peur d’être arrêtée, je n’ai pas peur d’être envoyée en prison. Mais j’ai peur de me faire tuer dans une manifestation par des hommes pro-Pékin ou par la mafia ! », lâche-t-elle en haussant nettement la voix.
Tout comme 80% des manifestants interrogés dans le cadre d’une étude de l’université chinoise de Hongkong publiée en août, Agnes Chow entend pourtant poursuivre le combat tant que le gouvernement ne concèdera pas d’autres avancées que le seul retrait du projet de loi d’extradition. La colère est palpable dans ces mots, qui sonnent comme une conclusion.
Forte de sa visibilité dans les médias occidentaux, Agnès Chow entend désormais multiplier les appels à la communauté internationale. « Certains pays européens comme le Royaume-Uni pourraient arrêter de vendre des équipements à la police de Hong Kong, ou alors mettre en œuvre des sanctions économiques. Ce seraient des moyens très efficaces pour mettre la pression sur notre gouvernement », espère-t-elle. Ces demandes, répétées par les différents membres de Demosistō en visite en Europe et aux États-Unis, n’ont pour l’heure pas abouti.

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A propos de l'auteur
Adrien Simorre est diplômé en sociologie urbaine de Sciences Po Paris et titulaire d'un M1 en Sciences de l'environnement. Devenu journaliste sur le tas, il est installé depuis 2019 à Taipei où il collabore notamment avec Radio France Internationale et Libération.