Histoire
Reportage

Contre la loi d’extradition vers la Chine, les Hongkongais de France se mobilisent

Rassemblement de Hongkongais contre le projet de loi d'extradition vers la Chine, place du Trocadéro à Paris, en juin 2019. (Crédit : Quang Pham)
Rassemblement de Hongkongais contre le projet de loi d'extradition vers la Chine, place du Trocadéro à Paris, en juin 2019. (Crédit : Quang Pham)
Depuis le 9 juin dernier, Hong Kong connaît une succession de manifestations sans précédent contre un projet de loi d’extradition vers la Chine populaire jugé liberticide et menaçant contre l’indépendance judiciaire de l’ex-colonie britannique. Cette contestation a dans le même temps mobilisé les diasporas hongkongaises du monde entier, y compris en France. Reportage au sein des Hongkongais de Paris qui organisent leurs propres rassemblements.
*Les noms ont été changés.
« J’ai eu la chance de pouvoir émigrer, confie Andrew*, ce que beaucoup de jeunes Hongkongais désirent. Mais avec ce qui se passe en ce moment, je me devais de faire quelque chose ici. » Comme chaque semaine, Andrew et d’autres expatriés hongkongais essaient d’intéresser la foule des passants à leur cause en brandissant des affiches « contre le projet de loi d’extradition vers la Chine ».
Depuis maintenant près de deux mois, la communauté hongkongaise de France enchaîne les actions de sensibilisation à destination de l’opinion française : flash mob place Saint-Michel, rassemblement au Trocadéro, les expatriés de Hongkong veulent inscrire leur mobilisation dans la durée.

Démocratie aux caractéristiques hongkongaises

A l’image des autres groupes de lutte, les Hongkongais de France ont constitué leur groupe de manière indépendante. La contestation contre la loi d’extradition présente une organisation inédite pour un mouvement social en Asie, une « démocratie aux caractéristiques hongkongaises » qui privilégie la participation citoyenne à la mise en avant des égos personnels : « Il n’existe pas de leaders qui retireraient de la renommée de leur engagement, et cela marche très bien », affirme Jennifer. Le mouvement fonctionne en effet sans représentants et sans faire appel aux partis politiques traditionnels. « Bien sûr, certains partis font des choses, mais leur poids est très réduit et ils ont compris que s »ils voulaient s’afficher comme leaders, cela ne marcherait pas », ajoute-t-elle.
A Hong Kong, l’absence de chef s’est imposée comme une nécessité face à la répression des autorités de Pékin. « Si vous vous présentez comme un leader, vous allez vous faire arrêter », déplore Betty. Chaque groupe de militants est géré selon un principe de démocratie participative. Le recueil des propositions se fait par l’intermédiaire des réseaux sociaux comme le site LIHKG. « On sait qu’on est tous là pour une même cause politique, explique Jennifer. Dès lors, chacun participe à sa façon. Pour chaque projet, il faut écrire au groupe, demander aux gens puis négocier. Comme le mouvement brasse des personnes de milieux sociaux et d’expertises différents, nous devenons de plus en plus efficaces. »
Pour Jennifer, ce mécanisme de proposition d’idées puis d’approbation collective rend le mouvement imperméable aux tentatives d’influences externes : « Il n’y a pas d’influenceurs prééminents dans le mouvement. Des écrivains ou des acteurs se sont exprimés en sa faveur, mais comme n’importe qui, ils sont soumis au vote des forums. »
Bien que totalement décentralisé, le mouvement de contestation parvient à coordonner des actions à un niveau mondial. Comme à l’occasion de la tenue du G20, par la publication d’une lettre d’appel aux dirigeants présents au sommet. Publiée dans de nombreux quotidiens internationaux, la lettre est parue en France dans Le Monde et Le Parisien. L’opération a été financée par une opération de crowdfunding qui a récolté plus de 5 millions de dollars de Hong Kong en quelques heures.
Capture d'écran de la page de crowdfunding ayant permis de récolter plus 5 millions de dollars honkgongais (environ 570 000 euros) afin de diffuser un appel contre le projet de loi d'extradition vers la Chine de l'exécutif de Hong Kong aux chefs d'États et de gouvernements présent au G20 d'Osaka le 28 juin 2019.
Capture d'écran de la page de crowdfunding ayant permis de récolter plus 5 millions de dollars honkgongais (environ 570 000 euros) afin de diffuser un appel contre le projet de loi d'extradition vers la Chine de l'exécutif de Hong Kong aux chefs d'États et de gouvernements présent au G20 d'Osaka le 28 juin 2019.
« Pour la traduction française de la lettre, il a fallu plusieurs versions pour obtenir un résultat satisfaisant en partant de la lettre d’origine en anglais, précise Robert. Plusieurs milliers de personnes ont été impliquées dans cette action, notamment des journalistes et des designers à Hong Kong et à l’étranger », ajoute-t-il.

« On n’est pas des agents de la CIA »

Si les expatriés hongkongais souhaitent sensibiliser les opinions internationales à leur cause, ils ne bénéficient pas pour autant d’aide directe de la part de gouvernements étrangers. Carl raconte avec une certaine amertume la tentative d’une remise de lettre de protestation à l’ambassade britannique à Paris : « Alors qu’on désirait remettre en main propre une lettre, une fonctionnaire de l’administration de l’ambassade nous opposa une fin de non-recevoir. Cette personne prétexta qu’elle avait déjà reçu notre lettre alors qu’on ne lui avait pas encore remise ! »
Le mouvement contre la loi d’extradition est pourtant régulièrement accusé par Pékin de collusion avec des forces étrangères hostiles. Des accusations qui font vivement réagir Jennifer. « On est des êtres humains comme vous, on n’est pas des agents de la CIA, se défend-elle, très émue. On a tous participé à ce mouvement parce qu’on a vu des injustices, on a vu des violences policières, on a vu un régime qui est très violent. »

« Peu à peu, les jeunes générations ont perdu confiance en la Chine »

La mobilisation des Hongkongais apparaît comme un phénomène réactif à la répression gouvernementale. Alors que Hong Kong sous les Britanniques était totalement dépolitisée, expliquait le sinologue Jean-Pierre Cabestan lors d’une commission d’étude à l’Assemblée nationale, les autorités chinoises sont parvenues, en bloquant le jeu politique, à politiser l’ensemble de la population. « Les Hongkongais se sont longtemps comportés comme des « animaux » économiques. Individualistes, nous ne nous préoccupions que de gagner de l’argent et de consommer », confirme Jennifer. D’ailleurs, « jusqu’aux années 2000, les jeunes en général se considéraient comme Chinois hongkongais », remarque Carl. « Plus jeune, j’étais pro-Pékin comme l’était ma famille. Je ne croyais pas en la démocratie et je pensais que le pouvoir devait être réservé à une élite à l’image du système actuel », révèle Jennifer.
« Mais peu à peu les jeunes générations ont perdu confiance en la Chine », affirme Carl. Dissimulation d’informations pendant la pandémie du SARS, imposition forcée de l’Article 23 soumettant le contrôle de l’ordre public aux exigences de la sécurité nationale, et aujourd’hui loi d’extradition soupçonnée de viser les opposants, les autorités de Pékin ont provoqué elles-mêmes une série de crises politiques à Hong Kong, faisant douter de leur engagement à respecter le principe « un pays deux systèmes ».
Pour Jennifer, ce sont les attaques contre la presse qui ont provoqué le réveil d’une conscience politique. « Nous nous n’avons jamais été une société démocratique, mais nous avons la liberté de la presse. Avec le contrôle plus important de la Chine populaire sur Hong Kong, cette liberté diminue de plus en plus. » Tentative d’assassinat contre le rédacteur en chef du journal Ming Pao, enlèvements de libraires à Causeway Bay, prise de contrôle des médias hongkongais par des investisseurs chinois, la liberté d’expression est désormais en danger, d’après Carl.
Critiques du gouvernement actuel, Carl et Jennifer n’en idéalisent pas pour autant la période de la colonisation britannique. Si l’administration anglaise de Hong kong laisse le souvenir d’une époque où la liberté d’expression, l’État de droit et l’indépendance de la justice furent garantis, le parlement non démocratique est aussi un héritage britannique, rappelle Carl.

La participation des Chinois du continent

Ils sont une poignée de manifestants portant des masques pour conserver leur anonymat. Des Chinois du continent se sont joints au rassemblement des Hongkongais de France.
Jérôme est un franco-chinois d’origine Wenzhou. Il a voulu lui aussi manifester contre l’autoritarisme. Il reconnaît cependant que sa position est minoritaire, son entourage se sentant peu concerné par la politique. Selon lui, la guerre commerciale de Trump contre la Chine a renforcé la popularité du président Xi Jinping par l’élan patriotique qu’elle a suscité en retour.
Wang, lui, vient du nord de la Chine populaire. « Le 9 juin, la manifestation des Hongkongais rassemblant près d’un million de personnes a dû être magnifique », confie-t-il admiratif de la mobilisation. La raison de son engagement politique : le souvenir du massacre de Tian’anmen transmis par ses parents. « Ma génération sera la dernière à vraiment comprendre ce qu’il s’est passé », déplore-t-il. Wang admet qu’il fait partie d’une minorité qui en Chine préfère se cacher.
La convergence politique entre Chinois du continent et Hongkongais reste cependant limitée, tant la polarisation des opinions paraît forte. Un antagonisme parfois marqué par de la xénophobie d’un côté comme de l’autre. Alors que certains Hongkongais traitent les continentaux de sauterelles, pour une partie des Chinois du continent, les Hongkongais ne sont que des chiens arrogants. L’instrumentalisation par le gouvernement chinois du nationalisme a par ailleurs dernièrement provoqué une série d’actes de violences de continentaux à l’encontre d’étudiants hongkongais à l’étranger.
Aujourd’hui, l’attitude des Hongkongais envers les Chinois continentaux a évolué. « On aime désormais toutes les nationalités qui soutiennent la liberté, assure Ken. Des migrants et des jeunes Chinois ont publiquement soutenu Hong Kong contre la loi d’extradition. »

« Il faut agir maintenant, c’est la dernière chance »

« Nous nous sentons impuissants, je suis très pessimiste, lâche Jennifer quand on l’interroge sur l’avenir du mouvement. Mais cette lutte est une question de vie ou de mort, […] contre une injustice globale et nous ne pourrons pas gagner si nous n’avons pas le soutien des citoyens du monde. »
« Les gens réalisent qu’il faut agir maintenant, que c’est la dernière chance, insiste Ken. Nous sommes les seuls à pouvoir sauver notre Hong Kong et lutter pour une véritable autonomie. […] Même si les chances sont minces ».

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A propos de l'auteur
Quang Pham est rédacteur pour le journal en ligne Asiepacifique.fr. Il collabore à différentes revues culturelles et géopolitiques consacrées à l’Asie et ses diasporas.