Culture
Livre d'Asie du Nord-Est

Livre : Ida Daussy, "Corée à cœur" et à cri

La Française Ida Daussy, auteur de "Corée à coeur", paru aux éditions Atelier des Cahiers en février 2019. (Source : Readytogo)
La Française Ida Daussy, auteur de "Corée à coeur", paru aux éditions Atelier des Cahiers en février 2019. (Source : Readytogo)
Elle n’a pas voulu revoir sa Normandie – pas tout de suite, en tous cas. Originaire de Fécamp, voilà vingt-sept ans qu’Ida Daussy mène sa vie « pali pali » (빨리빨리), « vite, vite », en Corée du Sud. Animatrice à la radio, star du petit écran, entrepreneur, professeure à l’université, la voici qui revient avec un deuxième livre sur son pays d’adoption. Publié aux éditions des Ateliers des Cahiers, Corée à Cœur est le récit à la première personne de trois décennies qui ont filé à la vitesse de la 5G. C’est aussi et surtout le témoignage d’une histoire coréenne vécue au féminin pluriel. Moi aussi, toi aussi, nous aussi… Alors que l’interdiction d’avorter vient d’être jugée inconstitutionnelle par la plus haute juridiction sud-coréenne, Ida Daussy nous raconte la lente libération des filles en Corée. Le coup d’œil au rétroviseur permet de mesurer le chemin parcouru, il donne également une idée de la route qu’il reste à faire. On a évidemment tout intérêt à suivre ce qui se passe à Séoul, c’est souvent ce qui donne le ton dans le reste de l’Asie.

Contexte

Il est probablement des prénoms prédestinés. Voilà en tous cas ce que je me suis dit en rencontrant la première fois la Française la plus célèbre de Corée. C’était il y a vingt ans au micro de Radio Korea International. Cela n’a guère changé aujourd’hui. Même dans une Corée du Sud mondialisée, Ida sonne presque coréen et reste en tous cas plus facile à prononcer que Françoise, Isabelle, Jean-Michel ou Stéphane. Ida Daussy, c’est la France en Corée. C’est aussi la Corée du Sud en France, pour celles et ceux qui s’intéressent de près, ou même de très loin, à ce petit bout d’Asie. Dans Ida au pays du matin calme, paru chez JC Lattès en 2006, celle qui a été la première « oegugin ingi baeu », la première star étrangère du petit écran, nous racontait comment la petite Normande débarquée en Corée du Sud s’était vite adaptée à son pays de cœur.

Avec la Corée à Cœur, aux éditions Atelier des Cahiers, c’est une autre mutation qui fait l’objet du récit : celle de tout un pays non plus connu seulement pour ses téléviseurs, ses smartphones et son kimchi, mais aussi pour ses films et ses groupes de K-pop ou de K-rap qui remplissent les salles jusqu’à Paris. Ce qui n’a pas changé non plus, c’est l’énergie à revendre dont faisait preuve la plus Coréenne des Normandes à l’époque, et que l’on retrouve ici à chaque page de ce nouvel ouvrage. Quand on a partagé l’enthousiasme d’une toute jeune démocratie – Ida est arrivée en Corée du Sud, cinq ans après la fin de la dictature -, quand on a vu les Coréens se mettre au café et aux croissants, quand on a éprouvé au quotidien le poids d’une culture et de ses traditions, on est bien placé pour voir ce qui change, et ce qui ne change pas. Ida Daussy connaît la Corée comme son bogjori – pochette de soie liée à l’habit traditionnel. Ce qui fait de Corée à Cœur, un formidable témoignage sur la Corée d’aujourd’hui.

On vient d’assister à une nouvelle flambée de pouces levés sur les réseaux sociaux suite à la décision de la cour constitutionnelle de lever l’interdiction d’avorter. En même temps, la Corée revient de loin en matière d’égalité des droits. Votre livre s’ouvre sur une scène hallucinante : vous venez de divorcer et les paparazzis sont à vos trousses…
Nous sommes au début de l’hiver 2009. Je viens de demander le divorce et je suis immédiatement prise dans une tempête médiatique. A tel point que j’ai dû faire une conférence de presse pour me justifier. Ce fut aussi féroce car nous étions un couple très médiatisé, en raison de mon travail d’animatrice à la télé. Il y a tellement de séparation en Corée qu’on pourrait croire que c’est devenu banal de divorcer. En même temps, cela reste compliqué et même un peu honteux pour les femmes d’engager une séparation. Cela m’a d’autant plus surprise que jusque-là, je n’avais pas montré l’image de la femme occidentale féministe et engagée. Au contraire, j’avais plutôt dans l’esprit de m’adapter au mieux à la société coréenne et à ses traditions. J’étais l’unique belle-fille. J’ai joué le jeu à 100 %, au grand dam de mes copines coréennes d’ailleurs. Elle ne me voyait pas comme une Française en Corée, mais plutôt comme une belle-fille qui faisait tout pour s’adapter. Après, je restais quand même la petite Française sur les plateaux de télévision. Et oui, peut-être que finalement les Coréennes ont commencé à me regarder différemment quand j’ai voulu divorcer, quand j’ai demandé la garde des enfants. Et j’ai pris ensuite à bras le corps ma vie de femme divorcée. Beaucoup à cette époque ont pensé que j’allais m’écrouler. Dix ans plus tard, j’enseigne à l’université féminine de Sookmyung à Séoul, je suis toujours présente sur les plateaux de télévision, et je sors un livre. Il y a peut-être maintenant des femmes qui trouvent cela super cool. Mais il y a dix ans, elles étaient nombreuses à la fenêtre pour voir si j’allais tomber.
En quoi consiste le rôle de belle-fille en Corée ?
Eh bien par exemple, c’est le fait de célébrer « jesa », la prière aux ancêtres, à la maison cinq fois par an. Nous faisions « jesa » pour les fêtes de « Seollal » et de « Chuseok », mais aussi le jour de la date anniversaire du décès de mon beau-père que je n’ai jamais connu, et de la mort des grands-parents. Il s’agissait de cuisiner entièrement le repas servi aux ancêtres, avec des mets cuits correctement suivant des traditions bien précises, disposés de manière tout aussi précise. Au début, je cuisinais avec ma belle-mère ; après, j’ai continué toute seule, ce que la majorité des brus coréennes font rarement. Pour les femmes plus âgées en revanche, c’était perçu comme quelque chose de normal. Dans la famille de mon mari en tous cas, c’était comme ça. Et le pire, c’est que je faisais tout pour m’adapter. Cela me faisait plaisir de leur faire plaisir, cela me faisait plaisir de rentrer dans les codes. Mais je ne suis pas sûr que ma belle-mère ait perçu cet effort. Même chose pour mon ex-mari. Au fil du temps, il a dû se dire : « C’est une nana, c’est dans l’ordre des choses. » Certaines de mes copines me regardaient de manière hallucinée en se disant : « Mais qu’est-ce que c’est que cette nana qui vient de France pour se ranger au côté de telles traditions ? » Moi, je le faisais non pas avec l’ambition de devenir Coréenne, mais par amour, tout simplement.
Aujourd’hui, les choses évoluent en matière d’égalité. Pourriez-vous nous donner des exemples ?
Oui, il m’est arrivé récemment de voir deux jeunes filles s’embrasser à pleines bouches dans un restaurant. C’est une scène que l’on ne pouvait pas imaginer il y a vingt ou même dix ans. Evidemment, il y en a qui continuent de jaser, mais les filles n’en ont plus rien à faire. Il y a aussi, autre exemple, les nanas qui font la grève du make-up, qui refusent de se maquiller comme l’exigent les codes sociaux. Ce n’est pas encore la liberté totale, mais disons que les Coréennes s’affirment de plus en plus. Autre illustration : le fait qu’elles ne veulent plus se marier ni faire d’enfants, c’est bien là symptomatique d’un désir d’évolution, d’émancipation et de changement. C’est une génération qui s’en mordra peut-être les doigts dans quelques années, en se disant qu’elle est peut-être passée à côté de certaines choses. Mais bon, on était dans un extrême, on passe à un autre extrême, c’est un mouvement de balancier assez courant et qui devrait finir pas s’équilibrer dans quelques années.
Les choses changent, mais les vendeurs de soins de beauté et les chirurgiens esthétiques ne sont pas au chômage…
C’est sûr. La chirurgie esthétique, ce n’est d’ailleurs pas seulement pour les filles, les garçons aussi s’y sont mis et c’est plutôt une bonne chose d’un point de vue féminin. Et même quand j’évoque les Sud-Coréennes qui jettent leur trousse à maquillage à la poubelle, cela reste un micro phénomène. Il y a des filles qui en ont assez d’apparaître poncées, lissées, maquillées à chaque sortie, c’est vrai. Mais globalement, la beauté reste un marqueur. Il y a toujours cette tendance en Corée qui veut que la minceur soit préférable aux rondeurs, que l’apparence soit l’une des clés dans les relations professionnelles. Ce sont hélas toujours des vérités et, moi-même en tant que Française au pays du matin clair, j’ai appris à m’habiller, à me maquiller. Là par exemple, je suis chez moi à Fécamp en Normandie : j’avais quelques emails à faire et un rendez-vous au téléphone avec vous, et bien là, tout de suite, je suis sur ma banquette habillée et maquillée. C’est devenu mon life style. Si tu veux trouver du travail, surtout à la télévision, il faut bien présenter. C’est plus aussi sophistiqué que par le passé heureusement, mais ça reste extrêmement codé. Et cette exigence est dans la tête de chacun.
Avez-vous fait de la chirurgie esthétique ?
Oui bien sûr, et j’assume totalement. Je l’avais déjà dit dans mon premier ouvrage, j’ai refait mon nez qui était trop proéminent. J’avais le nez de mon père, un nez un peu fort plutôt masculin. Après mon petit dernier qui est né en 2003, pendant mon congé maternité, j’ai demandé à refaire mon nez. J’avais amené une photo de ma mère qui a un nez plus féminin, plus affiné. Je travaille pour la télévision coréenne depuis l’âge de 25 ans. Aujourd’hui, j’en ai 49. Alors oui, évidemment que je dois prendre soin de mon apparence. Chaque année, je vais voir mon dermato coréen. Je fais une à deux micros injections de botox par an. Je me fais soigner la peau, je fuis le soleil sur mon visage. J’ai une routine cosmétique coréenne et j’assume totalement encore une fois, car il y a du résultat.
L’un des chapitres de votre livre porte sur « les nouveaux défis de la misogynie ». Quels sont-ils ?
Il y a encore des batailles à mener et comme souvent lorsqu’il s’agit d’évolutions récentes, nous devons rester très vigilantes. La libération de la parole a eu aussi ici un effet soufflet au fromage. Il faut éviter les retombées négatives. Or on s’est aperçu que dans certains secteurs, les filles avaient des difficultés à accéder à certains postes. Certains craignent visiblement que cela pose des problèmes dans les relations de travail. On a vu aussi, dans d’autres cas, que les filles étaient exclues des voyages d’affaire. Il y en a qui partent du principe que s’il y a des nanas dans l’équipe, il peut y avoir des problèmes. Ce qui est quand même le monde à l’envers ! Comme si quelque part les femmes étaient fautives, comme si les femmes étaient tentatrices. C’est insensé ! Mais bon, je veux rester positive. On sait très bien que quand il y a tremblement de terre, on ne peut plus revenir en arrière. Plus rien ne sera comme avant, mais après, ce n’est pas la révolution. On est encore en train de se positionner, rien n’est gagné et ce n’est toujours pas facile d’être une femme en Corée.
Qu’est ce qui finalement a vraiment changé ces dernières années en Corée ?
Ce qui change, c’est que ce pays commence enfin, timidement, tout doucement, à s’envisager à l’ère internationale. L’ancienne génération peut-être un peu moins, mais on commence à réfléchir à l’ouverture au monde de manière concrète. L’armée sud-coréenne sait ainsi très bien que sa seule porte de sortie, c’est de la jouer multiculturel. Il y a de plus en plus d’étrangers dans la société. On le voit notamment à la télévision. Ils restent moins longtemps. Il y a un vrai défilé, mais le fait de voir de plus en plus de visages internationaux, cela montre que la société change. Dans les années 1990, on parlait de « segyehwa » (mondialisation), mais c’était un fantasme. Maintenant, on y est. La mondialisation, on y va doucement. Le pays s’internationalise comme en témoigne les progrès en matière de droits des femmes aujourd’hui. C’est une grosse différence par rapport au passé. Avant, les Coréennes n’avaient rien à voir avec moi, c’était vraiment deux mondes différents. Nous avons maintenant plein de choses en commun. Et cela, je le vérifie tous les jours avec mes étudiantes qui piaffent d’impatience à l’idée d’exister dans la société.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.