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Chine : le monde selon Qiu Zhijie exposé à Nantes

Ici, un dragon - Qiu Zhijie - Portrait. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)
Ici, un dragon - Qiu Zhijie - Portrait. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)
Artiste, professeur, commissaire et fumeur compulsif, Qiu Zhijie n’est pas seulement une figure majeure en Chine. Sa réputation rayonne aussi à l’international. Jusqu’au 6 avril, Qiu expose 19 de ses œuvres dans le passage Sainte Croix à Nantes. Ce petit édifice traversant qui appartient au diocèse de la ville, offre un espace bien plus exigu que les vastes salles où se déploient d’ordinaire les cartes du monde grand format qui font sa signature. Car le commanditaire de l’exposition n’est ni UCCA à Pékin ni la prestigieuse Fondation LVMH. En effet, Qiu répond ici à l’invitation de l’institut Confucius, un organisme dont le nom évoque plutôt la tradition que l’art contemporain. Mais le projet n’en semble pas moins compter pour lui.
« L’expo est de petite taille, mais elle contient un condensé de tout mon univers », précise Qiu Zhijie en souriant. Ses cartes réalisées à l’encre font émerger des territoires fictifs, des montagnes, des mers, des lacs et des cours d’eau. Chacun de ses points lient des noms, des concepts, des auteurs, des ouvrages mais aussi des chimères et autres créatures mythiques. Ils les imbriquent dans une représentation à la fois onirique et effective du monde. En effet, au-delà des traits de pinceaux, c’est une vision du monde empreinte d’analogies et d’associations d’idées que Qiu met en scène sur le papier. Il y a aussi des globes que l’on peut faire tourner pour voir défiler la géographie des goûts ou des idées. Qiu aime à donner aux idées une forme physique et plastique. Il en va ainsi des créatures de verre de Murano, hybrides nées de croisements entre les imaginaires du monde entier et qui avaient été montrées à la Biennale de Venise de 2017.
F - Ici, un dragon - de Qiu Zhijie - Le Public - INSTITUT CONFICIUS. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)
F - Ici, un dragon - de Qiu Zhijie - Le Public - INSTITUT CONFICIUS. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)

Cure de jouvence pour Confucius

L’exposition « Ici, un dragon » a été montée à l’initiative de Fanny Valembois, coordinatrice des projets culturels des Instituts Confucius en France. Avec ce poste, unique dans le réseau des Instituts qui traditionnellement travaillent à développer l’enseignement du chinois, elle entend bien dépoussiérer la barbe du vieux sage et montrer au public sinophile des artistes chinois innovants. « Je n’ai rien contre la calligraphie et le papier découpé, commente-t-elle, mais la création artistique chinoise ne peut pas se résumer à cela. »
Des initiatives avaient vu le jour à l’institut Confucius d’Angers les années précédentes grâce à la jeune et dynamique Charlotte Le Sourd. Elle avait notamment accueilli une exposition de photo contemporaine ou le bédéiste Li Kunwu. Ces actions, menées avec succès, ont permis aux Français (les Instituts sont codirigés par un directeur nommé par le siège chinois et un directeur local) de montrer qu’il y avait un intérêt pour ce type de manifestation. Aujourd’hui, ils sont une « petite bande », basée entre Bretagne et Pays de la Loire (Blaise Thierrée à Rennes et Gildas Lusteau à Angers) à faire bouger les choses et à élever le niveau de la programmation.
« Qiu Zhijie représentait le choix parfait pour l’Institut, ajoute Fanny. Il est à la fois très chinois puisqu’il se revendique de l’art traditionnel et de la calligraphie, et complètement global dans le monde de l’art. Il enseigne à l’Académie des Beaux-Arts de Pékin et a été le commissaire du Pavillon Chinois à Venise en 2017. Il représente aussi bien le top de l’institution chinoise que la liberté de création. » L’artiste est conscient de ce qu’il peut effectivement apporter à l’institut Confucius et de l’importance de présenter la Chine d’une manière à la fois moderne et exigeante. Peu importe le budget, anecdotique comparé à ses émoluments d’artiste global, c’est davantage la symbolique du geste qui lui importe avec cette exposition. « C’est une mission de montrer une Chine qui ne ressemble pas à un Fast-food », plaisante-t-il.

La cartographie, une vision du monde

Carte science fiction - Ici, un dragon - de Qiu Zhijie - Oeuvres - INSTITUT CONFUCIUS. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)
Carte science fiction - Ici, un dragon - de Qiu Zhijie - Oeuvres - INSTITUT CONFUCIUS. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)
Pour l’occasion, Qiu Zhijie a réalisé une carte de la sinologie dans laquelle s’étalent de grands noms français, comme Louis XIV (le Roi-Soleil échangeait régulièrement avec l’empereur Kang Xi), Paul Pelliot, Jacques Gernet ou encore Stanislas Julien, ainsi que bien des noms de jésuites italiens ou de lettrés allemands qui ont compté dans l’étude de la langue et de la civilisation chinoises. La carte se présente comme un long rouleau déployé : elle évoque à la fois les paysages chinois traditionnels mais aussi les cartes de la Renaissance, époque où l’on commençait à explorer le monde et où la géographie était jalonnée de terres et de monstres mystérieux. Au-delà de la beauté des traits et l’aspect quasi-magique de ces parchemins contemporains, Qiu fait montre d’une culture extrêmement vaste et une compréhension fine de l’engrenage des phénomènes du monde. Ses amis aiment à dire qu’il est un « artiste encyclopédique ». Ce qui lui va plutôt bien tant il fait penser à un intellectuel de la Renaissance combiné avec un lettré chinois, toujours en quête de connaissances et attentif à la généalogie du monde.
« Pour moi, les cartes sont une source de connaissances, souligne Qiu Zhijie. Une connaissance qui ne provient pas du sol mais de la surface, vous donnant le point de vue d’un oiseau. Vous pouvez ainsi déplacer ces connaissances sur une surface plane afin de comprendre les corrélations entre elles. Les choses ne sont pas prises pour ce qu’elles sont mais pour leur relation entre elles. La cartographie est un modus operandi par lequel l’intégrité du monde peut être reconstruite à mesure que les corrélations entre toutes les parties sont élucidées. »

Nouvelles Routes de la soie

Qiu Zhijie ne croit pas si bien dire ! Le monde ne cesse-t-il pas de se redessiner en fonction de nouveaux enjeux économiques et politiques ? La Chine en est l’exemple le plus probant. Longtemps coupée du monde, isolée derrière des « montagnes » aussi bien physiques que métaphoriques et culturelles, elle est aujourd’hui une puissance globale. A l’heure où l’Europe et les États-Unis glissent dans des ravins dangereux et des grottes obscures (comprenez : crise économique et sociale, montée des populismes), elle trace de « Nouvelles Routes de la soie » qui courent de Pékin jusqu’à Lima, Djibouti et Nantes. Mais ces routes n’ont plus grand-chose à voir avec les anciennes voies empruntées par les caravansérails d’antan. Concrètement, elles ressemblent plutôt à des ponts, des autoroutes et des conteneurs remplis de produits « Made in China ». Moins poétique que les paysages fantastiques de notre artiste, admettons-le. Qiu est pragmatique :
« En comparaison de la politique colonialiste occidentale des siècles précédents, de l’interventionnisme et de l’implantation de bases militaires pratiqués par les Américains, je pense que la Chine est plus altruiste. Elle utilise le commerce pour échanger avec les autres et montre un peu plus de considération pour leurs intérêts. »
Globe - Ici, un dragon - de Qiu Zhijie - Oeuvres - INSTITUT CONFICIUS. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)
Globe - Ici, un dragon - de Qiu Zhijie - Oeuvres - INSTITUT CONFICIUS. (Crédits : Antoine Violleau / Instituts Confucius)
Quant aux « Nouvelles Routes de la soie », c’est le cadre invoqué de son invitation à Nantes. En matière de « soft power » institutionnel, c’est une avancée qualitative dont l’équipe française ne peut que se féliciter. « Quand nous avons soumis l’idée d’inviter Qiu Zhijie à Nantes au siège chinois de l’institut Confucius (hanban), certains décideurs n’avaient aucune idée de qui il était, confie Fanny Valembois. Mais ils n’ont montré aucune réticence. Au contraire, ils ont été attentifs à notre proposition. Nous bénéficions ici d’une bonne marge de manœuvre pour programmer des choses qui parlent au public français, qui n’aime vraiment pas qu’on lui vende de la propagande pour de l’art. »

Artiste, surhomme ou humaniste ?

Un artiste, Qiu Zhijie en est un, pour sûr. Très travailleur de surcroît. Quand il lâche son stylo ou son pinceau, c’est pour se saisir de son smartphone, autre outil mis à contribution dans tout son travail. De passage en Europe, il en profite pour poster de nombreuses photos sur Facebook, photos de l’exposition mais aussi croquis de nouvelles cartes griffonnées sur des nappes de restaurant. Ce qui l’occupe le plus, c’est la communication quasi continue avec ses étudiants de la CAFA, l’Académie Centrale des Beaux-Arts à Pékin. Même à distance, il suit les projets individuels, les thèses, les expositions collectives. Il y enseigne depuis 2003 et dirige le nouveau département d’art expérimental depuis 2016, un poste dans lequel il est très investi.
« Dans mon département, nous expérimentons beaucoup, souligne Qiu. Les élèves des différents curriculum (création, commissariat) se côtoient continuellement. Tous les jours, nous recevons les plus grands noms étrangers pour des interventions et les professeurs chinois sont des artistes de réputation internationale. Il y a aussi un programme hérité de l’époque de Mao et Zhou Enlai, où les étudiants sont envoyés fréquemment à l’usine ou à la campagne, ce qui offre une excellente manière d’allier la sociologie à l’art sur le terrain. Franchement, nous n’avons rien à envier à l’Occident. Je dirais même que nous avons un meilleur niveau car nous gardons une haute exigence technique alors que les Beaux-Arts européens sont amoindris par trop de théorie, de rhétorique et de conceptualisation. »
Après cette remarque quelque peu cinglante, Qiu reprend son smartphone et montre un de ses contacts Wechat, une jeune femme qui répond au nom de Xiaobing. « Xiao Bing, c’est un logiciel, un produit de l’intelligence artificielle sur lequel je travaille, explique-t-il. En ce moment, j’apprends à Xiao Bing à écrire des poèmes et des critiques musicales. » Et en effet, Xiao Bing produit plusieurs strophes en quelques minutes, que Qiu lit à haute voix. L’an passé, Qiu, qui collabore avec le laboratoire de recherche Hyundai dans le domaine de l’IA, a même animé un dialogue avec Xiao Bing devant un public captivé.
Décidément, l’artiste surprend par la variété de ses champs d’exploration. A la fois adepte de calligraphie, de philosophie ancienne et d’innovation technologique, Qiu Zhijie évoque un humaniste des temps modernes doublé d’un surhomme insomniaque. Sans surprise, il se revendique de Zhao Tingyang, philosophe chinois de l’utopie inclusive (Tianxia) qui voit le monde comme un tout supprimant toute idée d’étranger ou d’ennemi. Cette philosophie nourrie des grands courants de la pensée chinoise depuis l’antiquité (Confucius compris bien sûr), est perçue avec suspicion par l’Occident qui y voit une arme ontologique dirigée contre lui. Quoi qu’il en soit, Tian Xia est sans doute le concept qui sous-tend la fantastique cartographie de Qiu Zhijie et sa capacité à imaginer le monde.
Par Léo de Boisgisson

A voir

« Ici, un dragon » jusqu’au 6 avril 2019, Passage Sainte-Croix, 9 rue de la Bâclerie, 44000 NANTES. Tel : 02 51 83 23 75. Consultez le site ici.

Pour aller plus loin sur « Nantes sur les routes de la soie », lire ici.

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A propos de l'auteur
Basée en Chine pendant 16 ans où elle a passé sa post adolescence au contact de la scène musicale pékinoise émergente, Léo de Boisgisson en a tout d’abord été l’observatrice depuis l’époque où l’on achetait des cds piratés le long des rues de Wudaokou, où le rock était encore mal vu et où les premières Rave s’organisaient sur la grande muraille. Puis elle est devenue une actrice importante de la promotion des musiques actuelles chinoises et étrangères en Chine. Maintenant basée entre Paris et Beijing, elle nous fait partager l’irrésistible ascension de la création chinoise et asiatique en matière de musiques et autres expérimentations sonores.