Culture
Entretien

Corée du Sud : "Park Hwa-young" de Lee Hwan, quand la jeunesse marginale se sacrifie

Extrait du film sud-coréen Park Hwa-young de Lee Hwan : "L’actrice Kim Ga-hee joue le rôle de Hwa-young, la mère qui se sacrifie pour la famille." (Copyright : Lee Hwan)
Extrait du film sud-coréen Park Hwa-young de Lee Hwan : "L’actrice Kim Ga-hee joue le rôle de Hwa-young, la mère qui se sacrifie pour la famille." (Copyright : Lee Hwan)
Trop de violence psychologique pour les uns, trop de complaisance pour les autres. Park Hwa-young de Lee Hwan est certainement le film du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) qui cette année a le plus divisé l’audience. Premier long métrage de son réalisateur, il nous plonge dans le quotidien d’un groupe de jeunes Sud-Coréens à la marge entre bravades, petites arnaques, prostitution, violences familiales et sentiment d’abandon. Au sein de ce groupe, Hwa-young est à la fois la souffre-douleur et l’ange gardien. Gwenaël Germain a rencontré le réalisateur Lee Hwan.

Entretien

Né en 1979 en Corée du Sud, Lee Hwan débute sa carrière en tant qu’acteur pour l’émission « New Generation Report: What Adults Don’t Know » de la télévision nationale KBS. Il joue ensuite au théâtre et dans des séries télévisées mais se fera surtout remarquer pour ses seconds rôles dans des films indépendants comme Breathless de Yang Ik-joon en 2008, puis Our Fantastic 21st Century de Ryu Hyung-ki. Lee Hwan se lance dans la réalisation à partir de 2011 signant un premier court métrage Bullshit puis en 2013 Home, un film de vingt-cinq minutes laissant déjà présager son goût pour mettre en lumière les faces sombres de la jeunesse coréenne. En 2018, il réalise enfin son premier long métrage Park Hwa-young, dont il écrit un scénario plus obsédé que jamais par la violence subie par une certaine jeunesse.

Le réalisateur sud-coréen Lee Hwan. (Copyright : Lee Hwan)
Pourquoi passer derrière la caméra après avoir été acteur ?
Lee Hwan : Je n’ai pas choisi de passer derrière la caméra par pur amour du cinéma mais plutôt pour des raisons très personnelles. Il y a quelques années, j’ai vécu une grande histoire d’amour de laquelle je suis sorti meurtri. J’étais très touché et je me suis mis à boire, j’ai perdu près de 9 kilos, ce qui a même affecté mes proches. Lorsque je m’en suis rendu compte, j’ai décidé d’exprimer mes émotions autrement et je me suis lancé dans la réalisation de courts métrages. De fil en aiguille, j’en suis arrivé à réaliser mon premier long métrage.
Pourquoi avoir choisi de traiter de la jeunesse en marge ?
J’aime beaucoup les films sociétaux où de jeunes personnages mûrissent sous nos yeux. D’ailleurs c’est un sujet que j’ai déjà abordé dans mon second court métrage. A l’origine, je souhaitais que mon premier long métrage soit un peu différent et se concentre plutôt sur l’évolution d’un jeune adulte dans la vingtaine. J’avais écrit un scénario et j’avais rejoint un incubateur de projet en lien avec le festival de Busan. Malheureusement les subventions n’étaient pas suffisantes pour aller au bout et je n’ai pas pu tourner le film. Néanmoins, je suis tombé par hasard sur une maison de production nommée Myung Film, dotée d’une une académie interne qui passe régulièrement des appels à projets. J’ai tenté ma chance et j’ai été sélectionné pour réaliser Park Hwa-young.
Je sais que le film est promu dans les différents festivals, y compris en Corée du Sud, comme un long métrage qui parle de la jeunesse parce que les personnages sont des adolescents. Mais le film parle en fait de quelque chose qui tient à la reproduction des comportements dans la société. C’est une forme d’histoire, de culture, de schéma familial en Corée où un des membres du groupe doivent se sacrifier pour les autres et ainsi trouver une forme d’équilibre. Dans le film, les adolescents se regroupent en une sorte de famille alternative dans laquelle Hwa-young prend le rôle de la « maman » qui se sacrifie. J’aimerais que Park Hwa-young puisse être une sorte d’introspection qui permette à chacun de se demander : « Qu’est-ce que l’être humain ? »
Comment travaille-t-on sur le sujet des fugueurs ? Avez-vous rencontré des « familles » de marginaux ?
Le point de départ de ce film est l’évolution de la Corée : elle est en train de changer de façon très violente. Les adolescents ont leurs propres langages, leurs propres cultures. C’est quelque chose qui se réitère et quand j’avais leur âge ce genre de problèmes existait déjà. La forme change, mais le fond des problèmes reste identique. J’ai rencontré des adolescents pour la préparation mais, comme les choses se perpétuent, je me suis beaucoup basé sur ce que j’avais pu observer et ce dont j’avais entendu parler quand j’étais moi-même adolescent.
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan. (Copyright : Lee Hwan)
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan. (Copyright : Lee Hwan)
Comment avez-vous choisi votre actrice principale, Kim Ga-hee ? L’an dernier, elle était au casting de Jane de Cho Hyun-hoon qui justement se concentrait aussi sur les « familles » de fugueurs. Est-ce un pur hasard ?
C’est drôle parce que Kim Ga-hee est une actrice avec laquelle j’avais déjà travaillé lors de mon deuxième court métrage, celui qui racontait la vie d’une adolescente et c’est ensuite qu’elle a été « castée » pour Jane. Comme j’avais déjà travaillé avec elle sur la même thématique, je l’avais complètement mise de côté pour ce film. Mais un jour, elle est venue me rendre visite à Paju dans les locaux de Myung Film et je lui ai proposé de faire un essai. Elle ne s’y était pas préparée et son audition était franchement mauvaise. Mais en y regardant mieux, j’ai vu de nouvelles expressions, de nouveaux regards qu’elle n’avait pas six ans auparavant et je l’ai intégrée au processus. Elle a passé cinq étapes et c’est devenu une évidence, il fallait que ce soit elle.
Pourquoi avoir choisi de centrer votre film sur des jeunes filles ?
C’est assez étrange mais que ce soit mes deux courts métrages ou bien mon long métrage, tous les trois parlent de jeunes filles, et le scénario que j’ai dû mettre de côté sur un personnage qui a la vingtaine avait lui aussi une héroïne. Je ne sais pas pourquoi je fais ce choix mais ce n’est pas du tout parce qu’en ce moment le cinéma sud-coréen propose essentiellement de personnages masculins et que je me sentirais le devoir d’imposer des femmes, pas du tout. Il y a des films qui proposent des héroïnes et qui sont réalisés par des femmes, et je trouve ça très bien parce que les personnages féminins peuvent être très bien décrits dans ces conditions. Cependant, à mes yeux, si on prend les personnages comme des individus indépendamment de leur genre, alors il devient intéressant de les traiter avec un point de vue masculin. Je pars du principe qu’une femme peut avoir ses propres côtés violents, qu’elle peut avoir des pulsions et que l’on peut donner une couche « masculine » à des personnages de femme. Je ne veux pas enfermer mes personnages dans des archétypes de genre, je veux juste les décrire en tant qu’être humain.
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan : "Je ne veux pas enfermer mes personnages dans des archétypes de genre." (Copyright : Lee Hwan)
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan : "Je ne veux pas enfermer mes personnages dans des archétypes de genre." (Copyright : Lee Hwan)
Depuis un peu moins d’un an, #MeToo a explosé en Corée du Sud. Quand on est un homme, que l’on tourne essentiellement avec des jeunes actrices et qu’on a des scènes de nu ou de sexualité, prend-on des précautions particulières ?
Oui, il faut travailler en amont, même avant la première réunion, car il faut demander à toutes les actrices si elles sont d’accord pour telle ou telle scène. Elles doivent le avoir avant même de signer. Par exemple, Kim Ga-Hee avait des scènes de nudité, des scènes violentes ou même plus simplement des scènes où elle devait fumer. Ce n’est que si elles acceptent ces conditions que l’on peut ensuite tourner ensemble.
Et en aval, sur le plateau ?
Je prends aussi beaucoup de précautions. Par exemple pour filmer les scènes de nudité, j’essaie autant que possible de ne laisser que le staff féminin sur le plateau afin que les actrices se sentent à l’aise. Même s’il y avait des scènes de violences physiques compliquées à jouer, il était très intéressant de voir que les jeunes acteurs s’inquiétaient d’abord de l’aspect psychologique et se soutenaient beaucoup. Nous avons passés trois mois ensemble sous forme d’atelier et je crois que cela nous a vraiment permis de tous mieux nous connaître et d’approfondir les personnages et les relations. C’est très drôle parce qu’après la projection du film, les spectateurs nous posent beaucoup de questions sur la bonne santé des actrices avec le public. Ils ont l’air toujours très étonnés de la bonne ambiance qui règne entre les actrices.
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan. (Copyright : Lee Hwan)
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan. (Copyright : Lee Hwan)
Quels sont vos projets ?
Je dois tourner dans le prochain film de Park Chang-bom qui sera probablement projeté l’an prochain à Busan car c’est le BIFF (Festival International du Film de Busan) qui l’a subventionné. Concernant mes propres projets, j’écris actuellement un scénario autour de l’histoire d’une mère adolescente. J’espère réaliser ce nouveau film l’été prochain mais je me demande si je dois encore écrire une histoire de femme. [Rires]
Propos recueillis par Gwenaël Germain, avec Kim Ah-ram pour la traduction
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan. (Copyright : Lee Hwan)
Extrait du film sud-coréen "Park Hwa-young" de Lee Hwan. (Copyright : Lee Hwan)

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.