Economie
Expert - le poids de l'Asie

L'autre Corée : quelle trajectoire économique pour Pyongyang ?

Les nouvelles tours résidentielles à Pyongyang, qui a connu un boom récent de la construction. (Source : New York Times)
Les nouvelles tours résidentielles à Pyongyang, qui a connu un boom récent de la construction. (Source : New York Times)
Le contraste entre les trajectoires économiques des deux Corées est saisissant. Il donne matière à réflexion à ceux qui voient dans le confucianisme l’explication de l’essor de l’Asie de l’Est ! Du sud au nord du 38ème parallèle, on passe d’une « France moins la solidarité nationale » au « plus pauvre des pays industrialisés ». Comment évaluer aujourd’hui la physionomie de l’économie nord-coréenne et son commerce extérieur ?

Deux trajectoires

Unifiée depuis le VIème siècle, la Corée est passée sous le contrôle du Japon en 1905 et quarante ans plus tard elle était libérée par les troupes soviétiques au nord du 38ème parallèle et au Sud par l’armée américaine. La division était le prix de la déclaration de guerre de l’URSS au Japon. La guerre de Corée (1950-1953) opposant le Nord appuyé par les Chinois au Sud défendu par les Américains et leurs alliés s’est achevée sur un armistice. Depuis, la zone démilitarisée (DMZ) sépare deux Corées très éloignées sur l’échelle du développement. Massivement aidée par les États-Unis dans les années cinquante, la Corée du Sud opte dans les années soixante pour une stratégie alliant protection du marché et promotion des exportations. Capitalisant sur la mondialisation, elle se hisse au rang des pays industrialisés. Quatrième exportateur mondial, elle est un champion du libre-échange : le seul pays ayant signé un accord avec les États-Unis, l’Union européenne et la Chine, dont elle est le premier fournisseur.
Le revenu par habitant en Corée du Sud et du Nord. (Source : Chelem Cepii)
Le revenu par habitant en Corée du Sud et du Nord. (Source : Chelem Cepii)
En traversant la DMZ, on quitte un pays industrialisé – la Corée du Sud, une « France moins la solidarité nationale » – pour entrer dans le plus pauvre des pays industrialisés selon l’expression de Mistuhiro Mimura. En effet, avec un revenu moyen (en parité de pouvoir d’achat) à la hauteur du Sahel, si l’on en croit les statistiques internationales, la Corée du Nord construit des locomotives, des navires marchands, des turbines, des machines-outils à commande numérique, des armes et des fusées balistiques. Son armée met au point l’arme atomique et emploie des milliers de hackers. Son secteur manufacturier, qui assurerait près d’un tiers du PIB (selon la Banque de Corée), est consacrée aux biens d’équipement. En 1981, cherchant à définir une économie incapable de produire des chaussures convenables mais tout à fait capable d’envoyer des satellites, Cornelius Castoriadis avait proposé le terme de « stratocratie » qui convient plus à la Corée du Nord qu’à l’URSS.
La Corée du Nord a reçu une aide modeste du clan socialiste et suivi une stratégie d’auto-centrage – le Juche – en jouant habilement sur la rivalité sino-soviétique. Jusqu’à la décennie 1980, elle connaît une croissance proche de celle du Sud. L’effondrement du camp socialiste ajouté aux intempéries provoque une famine – la « Marche ardue » dans la novlangue nord-coréenne – qui aurait fait 2 millions de victimes (10 % de la population). L’État ayant maintenu sa priorité à l’armée, les Nord-Coréens ont dû apprendre à se débrouiller sans l’État. Tandis que les hommes pointent dans des usines qui tournent au ralenti, leurs femmes lancent des activités commerciales pour survivre. L’État ferme les yeux et considère ces activités comme un mal nécessaire avant l’édification du socialisme. Il prend parfois des initiatives malheureuses. En 2009, l’introduction du nouveau won – équivalent à 100 anciens – échangeable contre l’ancien jusqu’à 100 000 wons (40 dollars au marché noir), provoque une envolée des prix. Résultat : un vent de panique et la contraction de l’économie en 2010 et 2011.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, ces activités privées qui assureraient entre le tiers et la moitié du PIB sont tolérées car elles contribuent à réaliser l’un des objectifs du nouveau président : l’amélioration du bien-être, qu’illustre l’augmentation du nombre de voitures et de téléphones portables. L’autre objectif est le renforcement de la capacité nucléaire. Comme le montre l’enquête passionnante de Juliette Morillot et Dorian Malovic, ce changement modifie le quotidien des Coréens du Nord non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes. Ils se procurent des produits chinois et l’élargissement de la demande suscite l’émergence d’une production locale. La croissance s’est accéléré et aurait atteint 3 % en 2016. Un taux faible pour une économie où le potentiel de rattrapage est considérable.
Le Commerce extérieur de la Corée du Nord et ses échanges avec la Chine, la Corée du Sud et le monde en en milliards de dollars. (Source : Kotra et Intracen - données miroir)
Le Commerce extérieur de la Corée du Nord et ses échanges avec la Chine, la Corée du Sud et le monde en en milliards de dollars. (Source : Kotra et Intracen - données miroir)

Insertion internationale Japon Chine Corée entre 2000 et 2016

Cette croissance serait plus rapide si la Corée du Nord était insérée au marché mondial. Une option que lui interdit jusqu’à présent son programme nucléaire, lequel garantit la survie de son régime. Après avoir fait défaut sur sa dette externe à la fin des années 1970, la Corée du Nord redevient l’État ermite d’Asie. Au début de la décennie 1990, elle s’ouvre aux investisseurs chinois. Une centaine d’entre eux s’installent et construisent des zones franches à la frontière avec la Chine, et à Kaesong à quelques kilomètres de la DMZ. Avant sa fermeture par l’ex-présidente sud-coréenne Park Geun-hye en 2016, le complexe accueillait une centaine d’entreprises employant 44 000 Nord-Coréens.
En 2016, le commerce extérieur nord-coréen atteint un maximum de 7 milliards de dollars – soit trois jours de commerce extérieur de la Corée du Sud – pour diminuer en 2017 avec le durcissement des sanctions. L’effondrement des échanges avec le Japon a fait de la Chine le premier partenaire commercial de la Corée du Nord. Ces chiffres ignorent ceux qui transitent par la « Pyongyang connection » et les relations que la Corée du Nord entretient avec certains pays africains (Éthiopie et Zimbabwe) ou asiatiques – Birmanie, Laos ou Thaïlande. En outre, aux exportations officielles de biens (produits miniers, articles d’habillement, armes) et de divers services (création de dessins animés, transfert de savoir-faire), et à l’envoi de travailleurs, s’ajoutent de très nombreux trafics. Cela va de la drogue – dans les années quatre-vingt, les ambassades valorisaient leur « avantage comparatif », le secret de la valise diplomatique, pour transporter de la drogue – jusqu’aux fausses coupures de 100 dollars, qui permettent au pays de résister aux sanctions commerciales.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).