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Donald Trump en Asie : de la Maison Blanche à la Maison Bleue

Le Président américain Donald Trump à la tribune de l'Assemblée nationale sud-coréenne le 8 novembre 2017.
Le Président américain Donald Trump à la tribune de l'Assemblée nationale sud-coréenne le 8 novembre 2017. (Crédit : AFP PHOTO / Lee Jin-man)
Un quart de siècle après Bill Clinton en juillet 1993, un autre Président américain a eu ce mercredi 8 novembre l’honneur de prononcer un discours (d’une durée inédite de 22 minutes !) dans le cadre solennel de l’Assemblée nationale sud-coréenne. C’est une intervention aussi symbolique qu’attendue, tant les représentants du « Pays du matin calme » ont (grandement) besoin d’être rassurés sur la solidité du partenariat stratégique avec la souveraine Amérique, à l’aune notamment des dernières provocations – et notamment du 6ème essai nucléaire du 3 septembre 2017 – ourdies depuis le nord de la péninsule et de l’irrésistible montée en puissance du voisin chinois.
Embarqué dans un impressionnant périple asiatique étiré sur près de deux semaines et cinq escales successives (Japon, Corée du sud, Chine, Vietnam et Philippines), Donald Trump est arrivé mardi 7 novembre dans la péninsule coréenne, en proie en ce crépuscule 2017 à un énième chapitre de tension imputable à l’agenda nucléaire et balistique de Pyongyang, et aux menaces diverses en découlant.
*Ainsi qu’il le fit lors de son escale à Tokyo les 5 et 6 novembre, en compagnie d’un Premier ministre nippon Shinzo Abe très en phase avec l’agenda sécuritaire et « diplomatique » de son atypique visiteur new-yorkais.
Ce n’est pas à la République Populaire Démocrate de Corée (Corée du nord) que le 45ème locataire de la Maison Blanche réservait son bref séjour coréen mais à la plus paisible République de Corée (Corée du Sud), où le tempétueux septuagénaire au (trop) franc-parler permanent développa son énergique propos – lors d’une réunion avec son homologue Moon Jae-in le 7 novembre et devant l’Assemblée nationale aujourd’hui – autour de trois thématiques* chères à ses convictions.
Economique tout d’abord, en insistant sur la nature déséquilibrée des échanges bilatéraux (très avantageux d’un point de vue strictement comptable pour la 4ème économie d’Asie) et la nécessité de juguler le déficit commercial.
Politique ensuite, en assurant le partenaire sud-coréen du soutien inchangé de Washington dans cette Asie orientale en reconfiguration stratégique engagée.
Sécuritaire enfin, en insistant (sans éructer ni franchir les limites de la rhétorique…) sur la réponse à apporter au défiant voisin nord-coréen.
A Séoul, la mégalopole aux dix millions d’habitants (intramuros) située une cinquantaine de kilomètres au sud de la frontière avec la Corée du Nord de l’inquiétant Kim Jong-un, le mélange des genres et l’alchimie entre les deux Présidents entrés en fonction à quelques mois d’intervalle, sont observées de près, comme de coutume lorsque l’on redoute quelque possible rejet de greffe…
*Symbole de la Présidence sud-coréenne. **Façonné autour de convictions conservatrices communes et d’une approche moins diplomatique des contentieux.
Entre le volcanique américain et son plus mesuré homologue de la Maison Bleue* Moon Jae-in, bien plus au fait des usages et avantages de la diplomatie, l’association contre-nature imposée tranche avec la proximité du binôme Trump – Abe**. Toutefois, à Séoul, face à un auditoire soulagé plus que sous le charme, le Président des Etats-Unis est parvenu à trouver les mots (bien à lui…) susceptibles de ramener les appréhensions locales à un niveau « raisonnable ». Il a ainsi assuré que les deux partenaires liés par le Traité de Défense mutuelle de 1953 partageaient une vision commune et des objectifs compatibles, vis-à-vis notamment de la menace nord-coréenne et de la nécessité de maintenir la stabilité en Asie orientale : « La Corée du sud est très importante pour moi et il n’est pas question de la laisser de côté. Je peux d’ores et déjà vous le dire (…). Par ailleurs, j’ai développé une grande amitié avec le Président Moon Jae-in et beaucoup d’autres ; nous n’allons pas les laisser tomber ni eux nous laisser tomber, car nous faisons beaucoup pour eux, pour être honnête. »
*Yonhap News Agency, 7 novembre.
A la ténébreuse Pyongyang et ses austères dirigeants, le visiteur et son aversion pour les propos ouatés réserva la saillie limpide suivante, préservée (pour une fois ces derniers mois, au grand soulagement des hôtes sud-coréens) de toute menace ou insulte personnel à l’encontre de son énigmatique alter ego nord-coréen : « Nous faisons étalage de la force (militaire) et je pense que la Corée du nord comprend que nous possédons une puissance sans égale. Ceci étant dit, je pense sincèrement qu’il est raisonnable pour la Corée du nord de venir à la table (des négociations) et conclure un « deal » satisfaisant pour le peuple nord-coréen et la population mondiale. »*
Le lendemain, devant plusieurs centaines de parlementaires et de diplomates étrangers, l’impétueux locataire de la Maison Blanche, sans replonger dans ses dérapages récents sur le sujet (point de référence cette fois aux métaphores osées du type Little rocket man ou de Fire and fury), évoqua tout de même la « cruelle dictature » prévalant au nord et dénonça son « aventurisme nucléaire ». On ne saurait faire plus « sobre » ; alors même qu’étaient parallèlement renouvelés le concept de « la Paix par la Force » (peace through strength) et l’appel à la Chine et à la Russie pour mieux « isoler ce régime brutal ».
*Rodong Sinmun du 7 novembre. **Rodong Sinmun, 8 novembre.
Ces propos d’où ne ressort rien de nouveau ni de véritablement transcendant n’ont – il n’était pas difficile de le deviner… – guère convaincu les autorités nord-coréennes, par ailleurs fort marries de noter l’arrivée imminente dans la péninsule de rien de moins que trois groupes aéronavals américains et un sous-marin nucléaire – une impressionnante armada à la puissance de feu considérable. On pouvait ainsi lire dans la presse officielle nord-coréenne du 7 novembre* les quelques traits familiers suivants : « Aussi longtemps que les Etats-Unis et leurs « suiveurs » (Corée du sud et Japon) continuent leurs action hostiles contre nous, nous persisterons à renforcer notre programme nucléaire, notre précieuse épée de justice. » De même aujourd’hui : « Trump s’est déplacé en Corée du sud car il cherche à renforcer les menaces militaires à notre endroit et entend allumer la mèche d’une guerre nucléaire. »** Ici encore, rien qui ne soit déjà vu et revu.
*Lequel fut en août et septembre derniers survolé à deux reprises par des missiles balistiques nord-coréens (IRBM ; d’une portée de 3 700 km) amenant par précaution la population japonaise à gagner des abris et les autorités à déclarer temporairement l’état d’alerte.
A noter néanmoins que lors de son déplacement dans l’archipel nippon*, le successeur de Barack Obama à la Maison Blanche s’était montré plus incisif vis-à-vis de l’Etat le plus défiant et isolé du concert des nations, en déclarant notamment que les ambitions nucléaires de Pyongyang constituaient « une menace pour le monde civilisé, la paix et la stabilité internationale ».
Si le doute demeurait encore à ce sujet, l’homme d’affaires new-yorkais confirma bien que « l’ère de la patience stratégique avec la Corée du nord était terminée. » Soit la fin de la politique menée par son prédécesseur à Washington à l’endroit du « royaume ermite » mêlant fermeté, sanctions et aptitude à réengager le dialogue avec Pyongyang en cas de signes tangibles de « bonne volonté » – comme un moratoire des essais nucléaire et balistiques, ou la fin des menaces contre Séoul et Washington.
*A ce jour, les Etats-Unis déploient sur un mode permanent 28 500 soldats en Corée du sud (depuis le terme en 1953 du conflit intercoréen) et 51 000 autres militaires au Japon (depuis la fin de la 2ème Guerre Mondiale) : une présence couteuse faisant l’objet de débat sur son opportunité pour une partie de l’opinion.
En Corée du sud, le chef de l’exécutif américain s’est également rendu auprès de ses troupes* stationnées une soixantaine de kilomètres au sud de Séoul, sur la base de Camp Humphreys – où il fit (encore) presque montre de retenue, à la surprise de la cohorte de journalistes balisant son périple asiatique. Il a ainsi déclaré au sujet d’une éventuelle confrontation armée avec la Corée du Nord : « Finalement, tout se passera bien. Cela se passe toujours bien ; il faut que cela se passe bien ». Faut-il y voir une marque d’apaisement de la part de ce septuagénaire à la rhétorique musclée et aux tweets rugueux ? Rien n’est hélas moins sûr.
*Courant d’ouest en est sur près de 250 km de long, et sur une profondeur de quatre kilomètres.
Nonobstant les réserves d’une Maison Bleue fébrile, peu avant de s’envoler le 8 novembre à bord d’Air Force One pour la Chine, le Président-milliardaire américain n’a pu résister (comme le firent peu avant lui ses Secrétaires d’Etat R. Tillerson et à la Défense J. Mattis) à la tentation d’une brève « incursion » à proximité du 38ème parallèle et la fameuse zone démilitarisée (DMZ*) séparant les deux Corées – la frontière terrestre la plus militarisée de la planète -, visitée par le passé par une kyrielle de Présidents américains lors de leur séjour en République de Corée.

Peu après le décollage, une météo capricieuse, due à la présence d’un épais brouillard réduisant la visibilité, empêcha toutefois l’hélicoptère Marine One, son volubile passager et sa suite de journalistes, d’atteindre leur destination (gardée secrète jusqu’au dernier moment, pour des raisons évidentes). Et cela au grand désarroi que l’on imagine du visiteur motivé (« Il est assez frustré », commenta sobrement l’attaché de presse de la Maison Blanche au New York Times), mais pour le plus grand bonheur des autorités sud-coréennes, soulagées de s’épargner pareille conclusion à une visite jusqu’alors préservée de toutes fausses notes ou dérapages rédhibitoires.

*Du 10 au 11 novembre à Danang, pour l’Asia-Pacific Economic Cooperation Economic Leaders meeting – où il pourrait s’entretenir avec son homologue russe Vladimir Poutine – avant de rejoindre Hanoi. **Pour la célébration à Manille des 50 ans de l’ASEAN.
On ne saurait que souhaiter que la « bonne attitude » des derniers jours observée chez l’atypique chef de l’exécutif américain se prolonge lors de ses escales chinoise, vietnamienne* et philippine** – chacune riche en rendez-vous et enjeux divers.

Courir un marathon requiert une préparation physique adaptée et une grande force mentale, mais également une aptitude de tous les instants à rester concentré, à ne pas se disperser inutilement. Et il est grand temps pour le chef de l’exécutif américain, dont le crédit dans cette région du monde est déjà malmené (après moins d’un an d’exercice), d’en faire la démonstration ces prochains jours.
Serait-ce une attente déraisonnable ?

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.