Indonésie : le spectre d'un retour de l'armée en politique
Contexte
Sous Soeharto, le rôle politique de l’armée était institutionnel. Cent des cinq cents sièges du DPR, l’assemblée nationale indonésienne, étaient réservés à l’armée. Le rôle politique des militaires allait au-delà de l’assemblée. De nombreux ministres, et sous eux, des chefs de directions générales de ministères, étaient des généraux à la retraite. C’était également le cas des gouverneurs de province, tandis que les préfets (bupati) étaient souvent des colonels. Les ambassadeurs aussi étaient souvent des généraux à la retraite. Bref, l’administration de l’Indonésie était confiée à des officiers de l’armée.
Avec la démission de Soeharto, son vice-président, B. J. Habibie, devient président. Il entreprend de réduire le rôle de l’armée dans les affaires publiques. En particulier, il lève en 1998 le statut de « région d’opérations militaires » (daerah operasi militer), instauré sous Soeharto en 1990 dans la province d’Aceh à la pointe nord de Sumatra, où une rébellion séparatiste s’était déclarée en 1976. En 1999, il détache la police, qu’en 1960 Soekarno, le premier président de l’Indonésie, avait intégrée à l’armée, de ces dernières. Mais les violences commises par les militaires et la Brigade Mobil, l’unité militarisée de la police, ne cessent pas pour autant, en raison notamment d’une reprise des activités du mouvement indépendantiste Gerakan Aceh Merdeka (« mouvement pour un Aceh libre ») ou GAM, qui navigue sur un mouvement grandissant de soutien à la cause indépendantiste.
Le président Abdurrahman Wahid, élu en 1999, entame des pourparlers avec le GAM. Mais il est destitué en 2001 et remplacé par sa vice-présidente, Megawati. L’armée sabote un accord de cessation des hostilités signé en 2002 entre le gouvernement indonésien et le GAM. La loi martiale est décrétée dans la province l’année suivante. Elle est remplacée par un « état d’urgence civil » en 2004, ce qui ne change rien à la situation sur le terrain. Le président élu cette année-là, Susilo Bambang Yudhoyono, s’engage à apporter la paix en Aceh. Le tsunami de 2004 va accélérer les choses. Le dimanche 26 décembre, le monde entier voit une vidéo montrant le déferlement de la vague dans la capitale provinciale, Banda Aceh. Pourtant, ce n’est que deux jours plus tard que Yudhoyono peut se rendre dans la province. Puis, alors que de nombreux pays, les États-Unis en tête, proposent l’envoi de navires de guerre, d’avions militaires et de soldats pour acheminer l’aide humanitaire et effectuer les premiers travaux de réhabilitation d’urgence, sous la pression des militaires, le gouvernement indonésien commence par refuser cette aide. Finalement, l’armée acceptera l’entrée de troupes étrangères en Aceh. Des négociations de paix sont entamées en janvier 2005. L’état d’urgence est levé en mai. Le 15 août 2005 à Helsinki, un accord est signé entre le gouvernement indonésien et le GAM, qui met fin à près de trente ans de conflit.
Une autre manifestation du pouvoir qu’a encore l’armée dans la politique indonésienne est son comportement dans la province de Papua en Nouvelle-Guinée occidentale. Pour les chercheurs australiens Jim Elmslie et Camellia Webb-Gannon, « le gouvernement indonésien de la Papouasie occidentale peut être caractérisé comme une occupation militaire/policière en cours » (lire « Anatomy of an Occupation: The Indonesian Military in West Papua », avec Peter King, Centre for Peace and Conflict Studies, août 2011, p. 2). Selon ce rapport, « pour l’armée, et par implication pour le gouvernement de Jakarta, qui défend l’impunité de ses forces de sécurité en Papouasie incontestée depuis deux générations, il n’y a pas du tout de nouvelles politiques dignes de ce nom en place, sinon une continue surveillance, une persécution, des assassinats ciblés et la restriction de l’information s’écoulant vers la communauté internationale ». L’organisation non gouvernementale indonésienne Imparsial, qui surveille et enquête sur les violations des droits de l’homme en Indonésie, appelle de son côté à « mener bientôt la démilitarisation de Papua parce que l’approche militaire n’apporte que des violations des droits de l’homme ». Le cas de Papua amène à se poser la question de savoir qui, de l’armée ou du gouvernement, détermine l’autre.
Les débuts
L’armée garante de l’unité nationale
Le régime Soeharto
Quel avenir pour l’armée indonésienne ?
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don