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États-Unis - Corée du Nord : l'improbable "Game of Drôles"

Le président américain Donald Trump lors d'une conférence de presse à la Trump Tower Trump à New York, le 15 août 2017. (Crédits : Drew Angerer/Getty Images/AFP)
Le président américain Donald Trump lors d'une conférence de presse à la Trump Tower Trump à New York, le 15 août 2017. (Crédits : Drew Angerer/Getty Images/AFP)
Saisissant contraste offert cette année dans le monde par les diverses « célébrations » du 15 août. A la quiétude du séjour estival battant son plein dans l’Hexagone, délestant sa capitale de son effervescence coutumière et de ses occupants en mal de congés, à la ferveur populaire des cérémonies de commémoration du 70ème anniversaire de l’indépendance en Inde et au Pakistan, se greffe une pesante atmosphère de chaos imminent plus loin encore vers l’Orient, dans la très volatile péninsule coréenne. Un espace de tension qui, 64 ans après la fin du conflit intercoréen (1950-53), reste rythmé plus souvent que ne le souhaiteraient ses 75 millions de résidents (50 millions de Sud-Coréens et 25 millions de Nord-Coréens) par les éruptions de colère, les provocations et les aventurismes militaires à répétition de la dernière dictature d’Asie et de son jeune dirigeant suprême, l’insondable Kim Jong-un.
Depuis que ce dernier a accédé au pouvoir – dans la foulée du décès de son père, Kim Jong-il, en décembre 2011 -, on ne compte plus les diatribes fleuries pareillement adressées à la Corée du sud voisine ou à la plus lointaine Amérique. Deux alliés qui, selon la savante propagande de la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC), s’emploient avec constance depuis le milieu des années cinquante à préparer l’invasion du territoire nord-coréen, pour mieux renverser son régime et ainsi réunifier la péninsule. Une péninsule remembrée qui, selon l’austère Pyongyang, répondrait alors d’une entière allégeance aux États-Unis. Une hypothèse qui par ailleurs ne suscite pas précisément l’enthousiasme inconditionnel de la République Populaire… de Chine.
*Un missile balistique d’une portée supérieure à 5 500 km.
Courant juillet, le régime nord-coréen a ordonné le tir – techniquement réussi – de deux missiles intercontinentaux*. Une première préoccupante témoignant de l’inexorable avancée des scientifiques nord-coréens dans le domaine balistique nonobstant les (dérisoires) efforts de la communauté internationale (cf. la série de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies) pour prévenir l’acquisition de pareilles compétences militaires.
* »It won’t happen, Donald Trump says of North Korean Missile Test », in New York Times, 2 janvier 2017.
Une réussite comme un camouflet pour Washington. Outre le fait que le premier lancer évoqué ait eu lieu le jour de la fête nationale américaine, selon les propos assurés de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, pareille provocation ne devait se produire : « It won’t happen », avait martialement déclaré Donald Trump*. Malheureusement, Pyongyang s’est employée à lui donner tort. It just happened un semestre plus tard, et qui plus est à deux reprises, les 4 et 28 juillet derniers. Mais le plus grave était encore à venir. Mais pas depuis la ténébreuse capitale nord-coréenne.
*Auquel prirent part en août 2016 50 000 soldats sud-coréens et 25 000 soldats américains.
En Corée du nord, le 15 août est également célébré avec faste et force mobilisation populaire « spontanée » : on y commémore la fin de la longue et délicate présence coloniale nippone dans la péninsule (1910-1945). En ce huitième mois de l’année, se profilent à compter du 21 août et pour deux semaines les traditionnelles manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes (exercice Ulchi-Freedom Guardian – UFG*) – un événement ayant à chaque reprise le don d’attiser l’ire et les propos peu amènes de Pyongyang à l’endroit de Séoul et de Washington. La tension, elle, s’est élevée d’un cran, bien aidée en cela par la Maison-Blanche et son très atypique résident du moment.
* »North Korea condemns new U.N. sanctions, vows retaliation against US », Yonhap News Agency, 7 août 2017.
Une dizaine de jours plus tôt (le 5 août), à l’unanimité de ses quinze membres permanents (y compris la Chine et la Russie), le Conseil de sécurité approuvait la Résolution 2371 sanctionnant le régime nord-coréen pour les deux essais intercontinentaux réalisés le mois précédent. Une décision dénoncée en des termes très durs par Pyongyang, laquelle menaça de représailles non pas les Nations Unies mais les États-Unis, promettant à ces derniers de « payer le prix de leur crime violent contre la Corée du Nord et sa population* ». Cette énième menace formulée à l’endroit de l’Amérique honnie ne passa guère inaperçue, du côté de la présidence plus particulièrement dont la réaction frappa autant par la forme que par le fond.
*A ce jour, seuls quatre essais de ce missile ont été réalisés « en live », trois d’entre eux (en avril dernier) n’ont guère été concluants ; le dernier, réalisé en mai 2017, aurait été plus abouti. **Ce « porte-avions permanent » héberge divers atouts stratégiques militaires, notamment 7000 soldats américains, une base aérienne (Anderson Air Force Base) où seraient pré-positionnés des bombardiers à long rayon d’action (B-52 et B-1B), ou encore une base navale accueillant entre autres des sous-marins d’attaque nucléaires.
Le 8 août, Donald Trump menaçait à son tour le régime nord-coréen de libérer « le feu et la colère » (« fire and fury »), si Pyongyang venait à envisager quelque nouveau sombre dessein visant le territoire ou le peuple américain. Prompt à s’enflammer sans peine, l’énigmatique Maréchal Kim lui répondait le lendemain (le 9 août) envisager alors de « ceinturer de feu » le territoire insulaire de Guam (540 km² ; 160 000 habitants), possession américaine du Pacifique située 2500 km à l’est de Manille (capitale des Philippines) et 3500 km au sud-est de Pyongyang. Le plan consistait à tirer quatre missiles balistiques Hwasong-12 de portée intermédiaire (IRBM) destiné à s’écraser en mer à trente kilomètres du centre de Guam, aux quatre points cardinaux. Techniquement, ces missiles pourraient a priori* atteindre en moins de 20 minutes cette destination éminemment précieuse pour Washington et ses desseins stratégiques régionaux** – s’ils n’étaient pas préalablement interceptés en vol par des systèmes anti-missiles américains ou japonais.
*Yonhap News Agency, 15 août 2017.
Une semaine plus tard, après quelques émotions compréhensibles dans la péninsule et au-delà, on semble (temporairement ?) en revenir à de moins mauvaises intentions à Washington comme à Pyongyang. Le 15 août, la presse (très) officielle nord-coréenne (Korea Central News Agency – KCNA) laissait entendre que le « Dirigeant Suprême » était disposé à « attendre un peu », à « évaluer l’attitude insensée et stupide des États-Unis » ces prochains jours, avant de valider le (très dangereux) principe de possibles tirs de missiles balistiques dans la périphérie maritime de Guam. Le 15 août, le Secrétaire d’État Rex Tillerson confirmait un début timide de décrispation bienvenue, soutenant encore que l’administration américaine « continue d’être intéressée par l’idée d’un dialogue [avec la Corée du nord], mais cela dépend de lui [Kim Jong-un]* ». Des propos croisés presque rassurants en l’état de l’extrême crispation du moment, à mesure qu’approchent à grandes enjambées des sensibles manœuvres militaires conjointes annuelles abhorrées par Pyongyang, on devrait très vite être fixé sur la durée de ce répit tout relatif…
*New York Times, 15 août 2017.
A Séoul, à la Maison Bleue (la résidence du chef de l’État sud-coréen), le président Moon Jae-in célèbre pour sa part ce 17 août son 100ème jour à la tête du « pays du matin calme ». Une étape symbolique probablement souhaitée dans des conditions moins critiques… Le 15 août, à l’occasion de sa première allocution annuelle en cette journée célébrant la libération de la présence coloniale nippone, cet ancien avocat épris du respect des droits de l’homme fit connaître à ses 50 millions d’administrés, aux 25 millions de voisins du Nord tout autant qu’à l’allié stratégique américain combien les propos (dangereux, déplacés sinon irresponsables) tenus dernièrement par son homologue de la Maison Blanche ne pouvaient être tolérés au sud du 38e parallèle. « Seule la Corée du Sud peut décider d’une action militaire dans la péninsule coréenne. Personne ne devrait être en mesure de concevoir une action militaire dans la péninsule sans l’accord de la Corée du Sud. »* On ne saurait se montrer plus clair du côté de Séoul. On ne saurait garantir d’être pour autant entendu sur le sujet du côté du chef de l’exécutif américain, qui dans cette regrettable et terrifiante passe d’armes rhétorique à glacer le sang ne semble recueillir quelque écho « favorable » qu’auprès (et encore) de son allié nippon. Les autorités chinoises et russes, historiquement parties prenantes aux tentatives de désamorçage du dossier nucléaire nord-coréen (mécanisme collégial des Pourparlers à six) se montrèrent quant à elles très opposées à pareils écarts sémantiques inconsidérés formulés depuis Washington D.C.
La péninsule coréenne, la communauté internationale sont hélas tristement rompues de longue date aux menaces atomiques régulièrement renouvelées, aux promesses de chaos nucléaire à venir, à la destruction imminente de Séoul par le feu émanant du régime le plus défiant du concert des nations contemporain, aux mains de l’insaisissable Kim Jong-un. Dans ce XXIe siècle malmené par un faisceau de crises et de conflits de tous ordres et balisé par les incertitudes, jusqu’au 8 août dernier, le monde pensait également pouvoir se reposer sur la mesure et le bon sens des autorités de la plus puissante et influente nation de son époque. Il prenait pour acquis sa capacité à gérer – en général – le plus rationnellement possible les écueils se présentant, peu important leur nature et leurs enjeux. Depuis une dizaine de jours et les inédites saillies – inouïes de violence et de conséquences – de l’actuel locataire de la Maison-Blanche (lesquelles ne dépareraient en rien dans la traditionnelle logorrhée belliqueuse et délirante du « Maréchal » nord-coréen Kim Jong-un), on ne peut plus jurer de rien. Et c’est bien ce qui déçoit autant qui inquiète.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.