Politique

Corée du Nord : la provocation de trop ?

La Corée du Nord a tiré un nouveau missile ce dimanche 14 mai 2017. (Crédits : AFP PHOTO / YONHAP / via AFP)
La Corée du Nord a tiré un nouveau missile ce dimanche 14 mai 2017. (Crédits : AFP PHOTO / YONHAP / via AFP)
Et la très défiante Corée du Nord se manifesta une nouvelle fois. De la pire manière qui soit s’entend et en soignant, selon une pratique coutumière bien établie, le timing de son (détestable) propos. Non pas que l’événement en soi – dans la péninsule coréenne et par-delà – ait pris grand monde au dépourvu : qu’il fut nucléaire ou balistique, l’essai « imaginé » par les observateurs du retors dossier nord-coréen était attendu si ce n’est annoncé. Ce dernier arriva donc ce dimanche 14 mai au matin, non pour « accompagner » l’investiture du 8e président de la Ve République française, mais davantage pour signaler à son homologue sud-coréen Moon Jae-in, entré en fonction cinq jours plus tôt, que la gestion depuis Séoul des rapports inter-coréens et des contentieux divers serait tout sauf une partie de plaisirs, toute libérale et plus ouverte au dialogue entre les deux Corées fut la nouvelle administration du « pays du matin calme ».

Célébration « Pyongyang style »

Les invitations à la retenue, les appels à la décrispation et à la raison (émis depuis Séoul, Pékin, Washington ou ailleurs) n’y auront donc rien fait. On ne saurait en l’occurrence parler de surprise. Moins d’une semaine après que le successeur de Park Geun-hye ait investi la Maison Bleue (Palais présidentiel sud-coréen), Pyongyang opta d’entrée de jeu, malgré un contexte bilatéral (enfin) moins obtus, pour l’épreuve de force et la défiance. Un terrain des plus connus, mais de plus en plus périlleux, quoi qu’elle puisse en penser, pour la direction de l’austère Corée du nord notamment.
Le nouveau chef de l’État sud-coréen, Moon Jae-in, jugea « profondément regrettable » le nouvel aventurisme de son énigmatique homologue du Nord, Kim Jong-un, ajoutant, entre colère froide et déception : « Notre porte reste ouverte à la Corée du nord pour un dialogue, mais nous devons réagir de manière décisive aux provocations nord-coréennes, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Nous devons montrer que le dialogue n’est possible que si le Nord modifie son attitude. »
Le chef du gouvernement nippon, Shinzo Abe, parla quant à lui de « grave menace contre le Japon », alors que la Maison-Blanche, sur un ton volontairement univoque, décrivait la Corée du nord comme une « menace flagrante depuis bien trop longtemps ». Un verbiage convenu qui n’aura pas ébranlé sur cette seule base rhétorique et policée le socle du pouvoir nord-coréen.

La République Populaire Démocratique de Corée, ou tout et son contraire

Dans les jours qui précédaient le scrutin présidentiel du 9 mai en Corée du Sud, les organes de presse de la République Populaire Démocratique de Corée affichaient clairement leur préférence pour une alternance politique à Séoul, vouant aux gémonies les deux dernières administrations conservatrices de Lee Myung-bak (2008-13) et Park Geun-hye (2013-2017). Les éditorialistes du Nord suggéraient ni plus ni moins aux électeurs du Sud de sanctionner les conservateurs en se prononçant en faveur des libéraux, donc de désigner à la fonction présidentielle Moon Jae-in. Cet avocat sexagénaire spécialisé dans la défense des droits de l’homme et malheureux lors du dernier scrutin (battu par Park en 2012, s’était montré partisan d’une approche différente des rapports inter-coréens, moins frontale et plus axée sur le dialogue et la coopération.
Or, comme geste de bienvenue au nouveau pouvoir et de bonne manière envers le nouvel homme fort du Sud, on a connu initiatives mieux inspirées. S’il s’agissait de provoquer de la crainte, de l’appréhension et de ruiner par avance toute tentative visant à (re)créer un semblant d’atmosphère de confiance entre les deux pièces antinomiques du puzzle coréen, le résultat est en revanche (déjà) bien au rendez-vous.

One Belt, One Road – One big Problem ?

*Dont une délégation nord-coréenne conduite par Kim Yong-jae, le ministre des Relations économiques extérieures. L’ambassade américaine à Pékin dénonça en des termes bien sentis la participation nord-coréenne à ce forum. **Ou nouvelles routes de la soie, lequel associe une soixantaine de pays, en s’appuyant sur une noria impressionnante de projets économiques, industriels, énergétiques et de transport (infrastructures), en relais des notions de connectivité, de coopération interétatique.
Le pouvoir chinois, que l’on sait de plus en plus échaudé par les inconséquences répétées du voisin nord-coréen ces dernières années, a dû relever d’un cran, en ce dimanche 14 mai, son irritation à l’endroit de Pyongyang. Effectuer un essai balistique d’un format particulier relèvent de l’intention délibérer de provoquer bien sûr. Car il intervient au moment-même où la capitale chinoise organise une grand-messe de deux jours, accueille une soixantaine de délégations diplomatiques* – dont une trentaine de chefs d’État et de gouvernement – à la gloire de l’ambitieux projet « One Belt One Road » (OBOR*) de Xi Jinping, tandis que la diplomatie chinoise, en écho à son homologue américaine, s’emploie depuis des semaines à réfréner les ardeurs balistiques et atomiques de Pyongyang, et à convaincre cette dernière de revenir à de meilleures intentions. Il s’agissait aussi pour la Corée du Nord de sanctionner Pékin probablement. Un comble à la mesure de la déraison et de l’appétence pour la bravade animant Kim Jong-un et son cercle rapproché.
Le président chinois Xi Jinping aura mal vécu – qui plus est devant ses prestigieux invités internationaux et la couverture mondiale de l’événement – cette énième preuve de l’irresponsabilité caractérisant le management du Maréchal Kim Jong-un. Preuve aussi du peu de cas qui est fait à Pyongyang des sensibilités de l’influente République Populaire de Chine – par ailleurs toujours 1ère partenaire commerciale, énergétique et militaire de la RPDC). Pour les Nord-Coréens, parier sur l’impunité, sur l’acceptation mécanique par les Chinois de leurs sombres projets, parait aujourd’hui, eu égard à l’agacement croissant des autorités de Pékin et à la mobilisation de l’opinion contre la poursuite du soutien à la Corée, un pari bien osé, voire risqué.

Sanctions vs prolifération : avantage Corée du Nord

Il est un fait confortant la RPDC et sa belliqueuse politique du moment : les sanctions (onusiennes ou unilatérales) ont beau être votées et se succéder, les coups de semonce (grandiloquents) se multiplier au Conseil de sécurité de l’ONU ou à la Maison-Blanche, rien n’y fait. Pyongyang poursuit ses entreprises balistiques et militaires à marche forcée, entre revers, comme le tir du 29 avril 2017, et succès, à l’image de ce tir de missile réussi aux caractéristiques techniques attestant du savoir-faire renforcé des scientifiques nord-coréens. Fût-il de portée intermédiaire (IRBM) ou intercontinental, le missile (d’un type nouveau, selon Pyongyang, le Hwasong-12), tiré depuis Kusong (100 km au nord de Pyongyang), a atteint une altitude record pour un engin nord-coréen (supérieure à 2000 km), pour un vol d’environ 800 km qui termina sa course en mer du Japon/mer de l’Est, quelques centaines de km au large des côtes russes. Des caractéristiques techniques faisant dire ce lundi matin à divers experts internationaux des questions balistiques que la Corée du Nord pourrait désormais disposer dans son arsenal de vecteurs – missiles IRBM – capables d’atteindre certaines installations militaires américaines du Pacifique, celles de Guam notamment.
* »North Korea seen closer to ICBM, boosted by new missile engine », Yonhap news agency, 15 mai 2017.
De son côté, la presse sud-coréenne du 15 mai* décrit cette avancée technologique majeure comme le prologue de l’acquisition imminente par le voisin du Nord de capacités balistiques intercontinentales (ICBM). Quant à l’organe de presse officiel de Pyongyang, la Korea Central News Agency (KCNA), elle évoque en des termes laissant transparaître fierté et défiance mêlées le succès – réalisé comme il se doit en présence de Kim Jong-un – d’un nouveau « mid and long-range » missile balistique (Intermediate Range Balistic Missile ; IRBM) pouvant emporter une importante charge nucléaire capable d’atteindre le territoire continental américain (Alaska).
*Les dernières adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU sanctionnant les divers errements de Pyongyang sont les Résolutions 2276 du 24 mars 2016, 2321 du 30 novembre 2016 et 2345 du 23 mars 2017.
Sans tarder, l’administration américaine, les autorités chinoises et russes, ont fait connaître leur désapprobation. Inévitablement, pour éviter de s’avouer totalement impuissante à prévenir la prolifération de l’arsenal nord-coréen, la communauté internationale va s’employer des semaines, des mois durant à renforcer/consolider son arsenal (limité)… de sanctions, onusiennes notamment en ajoutant une énième résolution*. Il ne s’agira jamais que de la quinzième du genre depuis la Résolution 1695 du 15 juillet 2006… Cet impressionnant dispositif administratif international n’a à ce jour pas précisément accouché des résultats attendus, pour dire le moins ; ni ôté le sommeil du « Dirigeant Suprême »…

L’Amérique de Trump et le « smart cookie » nord-coréen : défiance, insolence et impuissance

* »Un gars intelligent ».
Si le président américain annonçait à qui voulait l’entendre ces derniers jours sa disposition à rencontrer (le moment venu et sous conditions) son homologue de Pyongyang – « a smart cookie* », selon les mots de l’actuel locataire de la Maison-Blanche -, on peut imaginer que le trentenaire présidant depuis six ans aux destinées du pays le plus isolé du concert des nations a suscité des commentaires moins amènes du côté de Washington en ce dimanche de mai.
Avoir l’audace de pouvoir, en un seul et même événement, volontairement mécontenter les deux dirigeants les plus puissants de la terre – soutenus pour l’occasion par une communauté internationale unanime – et a priori, ne pas redouter de leur part quelques représailles immédiates que ce soit, voilà qui relève ou du plus haut niveau qui soit de la confiance en sa politique et en son jeu, ou de l’aliénation pure et simple. Plus encore lorsqu’il se trouve du côté de Washington D.C. un chef de l’État plus entrepreneur que diplomate, dont la patience et la mesure ne semblent pas être les points forts, à l’inverse de sa propension à solder les contentieux par des approches directes et ad hoc, unilatéralement si de besoin et sans se perdre dans les méandres des négociations sans fin.
Certes, il reste assurément plus facile et moins lourd de conséquences de définir un projet d’attaque ou de représailles, de valider une cible et de mettre en branle une opération tactique dans la Syrie à feu et à sang de Bachar-el-Assad que dans la Corée du Nord nucléaire de Kim Jong-un. C’est un fait.
Pourtant, on peut difficilement aujourd’hui imaginer que les bravades, provocations, insultes et aventurismes de l’imprévisible et défiante Corée du Nord perdurent encore longtemps, demeurent impunis et ne donnent pas lieu à un moment ou un autre à la réaction (au format et au dessein restant à préciser) très concrète, probablement spectaculaire, d’une Amérique comptant à la fois rassurer ses alliés, restaurer son autorité, et adresser au-delà de cette péninsule de toutes les tensions, aux régimes et acteurs non-étatiques déviants, un message – crédible, limpide – de la plus grande fermeté. Quitte pour cela à bousculer les principes et la jurisprudence en la matière, à prendre quelques libertés avec les bons usages et à mettre partiellement en péril la proximité recherchée avec d’autres partenaires internationaux influents.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.