Société
Témoin – Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

Taïwan : le suicide d’une jeune auteure jette le trouble

Dans les rues de Taipei. (Crédits : AFP PHOTO / Philippe Lopez)
Dans les rues de Taipei. (Crédits : AFP PHOTO / Philippe Lopez)
Pour le titre de son premier roman, Lin Yi-han (林奕含), 26 ans, a choisi l’ironie grinçante. Inspiré de « faits réels », Le premier amour paradisiaque de Fang Ssu-chi (房思琪的初戀樂園) raconte le destin tragique d’une adolescente séduite puis violée par l’un des enseignants qui lui donnaient des cours du soir. Dès sa parution en février dernier à Taïwan, l’ouvrage connaît un succès retentissant. Il en est à sa cinquième réimpression quand la jeune femme se donne la mort, le 27 avril.
Mariée depuis peu, elle avait confié à la presse, à l’occasion de la sortie du livre, souffrir de dépression et avoir fait déjà plusieurs tentatives de suicide. Elle n’avait toutefois jamais admis le caractère autobiographique de son récit. Alors que la rumeur du suicide de Lin Yi-han commençait à se répandre, sa maison d’édition, Guerrilla Publishing (游擊文化), a partagé sur Facebook un communiqué des parents de l’écrivain, indiquant que si la jeune femme avait mis fin à ses jours, ce n’était pas en raison de son état dépressif « mais à cause du viol dont elle avait été victime il y a 8 ou 9 ans ». Ainsi, les « faits réels » dont s’était inspiré l’auteur avaient sans doute été puisés dans sa propre vie.
Depuis la fin du mois d’avril, l’affaire a occupé le devant de la scène médiatique, mobilisant journalistes, écrivains, animateurs de talk-shows, responsables éducatifs, spécialistes de santé mentale, avocats, magistrats, politiciens… Les médias et le public taïwanais ont proposé le meilleur – posant des questions essentielles sur la prévention des agressions sexuelles et des viols en milieu scolaire, sur la répression des délinquants et criminels sexuels, sur la prévention du suicide, sur la nature d’un récit littéraire – ; mais aussi le pire : une chasse à l’homme a rapidement visé l’auteur présumé des faits, internautes et reporters se relayant pour l’identifier d’abord, puis pour exposer sa vie privée dans ses moindres facettes. Et le pire a peu à peu pris le pas sur le meilleur. La colère a fait place à la soif de vengeance, mais aussi à l’outrance, la victime étant elle-même mise en cause par certains. N’avait-elle pas tu l’identité de son agresseur sans jamais porter plainte ? N’avait-elle pas commis un adultère ? Ne souffrait-elle pas déjà de troubles mentaux à l’époque ?
De ce tourbillon médiatique dont Taïwan est coutumier (et dont il n’a bien sûr pas l’apanage), l’observateur étranger se demande s’il restera quelque chose à la fin. Est-ce que l’appel de la Fondation John Tung à renforcer le budget pour la prise en charge des maladies mentales (par Taïwanais, il représente seulement la moitié de la moyenne mondiale) sera entendu ? On se souvient que les attaques au couteau dans le métro de Taipei, en 2014, avaient entraîné les mêmes appels. Est-ce que les mots forts de l’écrivain Chen Fan-ming (陳芳明) citant Adorno resteront dans les mémoires, rappelant aux lecteurs le caractère indicible de la catastrophe, qu’elle soit collective ou personnelle ? Est-ce que cette tempête laissera à d’autres jeunes victimes le courage de se confier ?
Chronique inachevée.

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.