A Taïwan, les tiraillements de jeunes chrétiens favorables au "mariage pour tous"
Parmi les jeunes salariés du salon, certains sont nés dans des familles chrétiennes de la côte orientale de Taïwan, où vivent notamment des communautés aborigènes ayant été l’objet depuis plusieurs décennies d’un important effort missionnaire. D’autres sont des convertis récents : si les chrétiens sont minoritaires à Taïwan (environ 4% de la population), certaines églises y sont très actives en termes d’évangélisation.
A Taïwan, des églises chrétiennes ont donné dès 2013 son impulsion au mouvement contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Cette année, l’Alliance des groupes religieux de Taïwan pour la protection de la famille (護家盟 – hujiameng), l’équivalent local de la « Manif pour tous » française, a organisé plusieurs manifestations rassemblant des dizaines de milliers de personnes. Un club étudiant de l’Université catholique Fu Jen mené par le jeune Shih Chun-yu (施俊宇) a mobilisé un certain nombre de jeunes, alors que d’autres y ont participé en famille. Toutefois, les jeunes chrétiens sont loin de tous partager la position officielle de leur église respective. Comme le soulignait récemment l’UCAN, l’agence de presse catholique en Asie, la question du « mariage pour tous » divise les générations de fidèles catholiques taïwanais, constat qui peut s’étendre à l’ensemble des églises chrétiennes. Et même parmi les jeunes chrétiens réticents à l’idée d’amender le code civil pour permettre à tous les couples de se marier, la désinformation, les exagérations et les attaques personnelles lancées par certains responsables religieux ont du mal à passer.
S’il n’est pas lié à une église en particulier, John a participé sur Facebook à un groupe de discussion entre chrétiens favorables au projet de « mariage pour tous ». Certains membres de ce groupe de discussion, dit-il, ont ensuite organisé une délégation de protestants lors des récentes manifestations soutenant le projet. Un groupe similaire a été formé par des catholiques.
Pour autant, dans ce cadre religieux, Daniel n’a parlé à personne de son homosexualité. « Je ne suis pas sûr qu’ils l’accepteraient. Je pense que la plupart des gens qui sont dans mon cas font comme moi et se taisent, car les responsables de leur église pourraient chercher à les remettre dans le droit chemin. J’ai un ami américain qui a justement quitté la sienne pour cette raison. Choisir la bonne église est capital. »
« L’église à laquelle j’appartiens ne participe pas aux manifestations contre le mariage pour tous, et je ne pense pas qu’elle franchira ce pas, explique Daniel. Elle est sûrement opposée au projet mais croit davantage au pouvoir de la prière pour nous guider. Moi, je pense qu’ouvrir le mariage aux couples homos n’est pas une question de bien contre le mal. Les gens devraient s’entraider et se respecter les uns les autres. »
Contexte
Pendant la campagne pour l’élection présidentielle de janvier 2016, Tsai Ing-wen avait indiqué son soutien à « l’égalité face au mariage », formule interprétée par beaucoup comme un appui clair à l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe. Depuis leur prise de fonction en mai, la chef de l’État et son gouvernement n’ont toutefois pas présenté de projet de loi en ce sens et ce sont des députés, du Parti démocrate-progressiste (DPP) mais aussi du Parti de la Nouvelle Force et du Kuomintang, qui ont introduit des propositions de loi prévoyant le « mariage pour tous ». Celles-ci sont actuellement discutées au Parlement et pourraient faire l’objet d’un vote en commission le 26 décembre. Alors qu’opposants comme partisans du « mariage pour tous » ont donné de la voix dans la rue, et qu’une partie des députés DPP a exprimé sa préférence pour un partenariat civil aux contours encore imprécis, la présidente Tsai a fait savoir qu’elle n’avait pas de préférence sur la voie juridique à suivre, tout en appelant au dialogue et au compromis.
« Cet aspect politique est devenu évident à partir de l’année 2013, quand les églises ont organisé leurs premières manifestations contre le « mariage pour tous, dit John. Même si l’Alliance des groupes religieux de Taïwan pour la protection de la famille inclut des bouddhistes et des taoïstes, ceux-ci n’ont traditionnellement pas à Taïwan de formation théologique très poussée. Ce sont donc principalement des chrétiens qui cherchent à influencer des secteurs de la société sensibles aux valeurs familiales, alors même que la religion à Taïwan joue traditionnellement une fonction sociale importante mais pas un rôle directement politique. »
« Ils parlaient souvent de politique et voulaient changer notre façon de penser. Ils proposaient de modifier notre orientation sexuelle grâce à la prière, » raconte la jeune fille. Quand les dirigeants de l’église lui présentent un formulaire pour la tenue d’un référendum national sur la « protection de la famille », Rice refuse d’apposer sa signature. « La plupart des autres jeunes croient ce que leur disent les dirigeants de l’église mais ils ne comprennent pas vraiment, » dit-elle.
Pour Rice, pas question pour autant de frapper à la porte d’une autre église. « Cela aurait été pareil ailleurs. Certaines églises de Kaohsiung discriminent les gays encore plus que celle-là. » L’attitude des églises chrétiennes locales, explique la jeune fille, s’inscrit dans un tissu social largement conservateur. « Les Taïwanais rejettent les homos, surtout dans le Sud où les gens sont plus traditionnels. Ils pensent que l’homosexualité, c’est le sexe, les maladies… A Kaohsiung, la maire de la ville soutient les gays mais elle est bien seule. »
Aujourd’hui, Rice croit toujours en Dieu. « Il m’a appris à voir ma propre valeur, ma propre beauté. » Elle trouve aussi matière à rester modérément optimiste. « L’atmosphère est un peu plus amicale aujourd’hui pour les gays mais un long chemin reste à parcourir. »
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