"Addicted" : "front uni" chinois et jeunes gays taïwanais
Une promotion plus active, par Pékin, des opportunités d’emplois et de salaires qu’offre la Chine est par exemple venue compléter les traditionnels échanges proposés aux étudiants taïwanais – et dont l’efficacité reste d’ailleurs à prouver.
Mais la Chine compte aussi sur sa puissance culturelle (son soft power, diraient certains) pour favoriser un rapprochement entre les deux rives. Dans le domaine du divertissement, notamment télévisé, l’ascendant pris ces dernières années par les productions chinoises n’est pas passé inaperçu à Taïwan, au point d’inquiéter sur la capacité du secteur local de l’entertainment à rester pertinent face au grand voisin.
Depuis The Voice of China, avec ses juges et ses candidats taïwanais, jusqu’aux séries historiques où jouent de nombreux jeunes comédiens taïwanais, les programmes télévisés continentaux ont su attirer les talents, séduire le jeune public taïwanais et “ringardiser” les productions insulaires, là où, il y a quelques années encore, les talkshows taïwanais donnaient le “la”, y compris sur le continent, à l’image du célèbre Kang Xi Lai Le, définitivement stoppé l’an dernier.
La diffusion en ligne, en février, du premier épisode de la série chinoise Addicted (上癮), a confirmé – dans un genre inédit – ce pouvoir de séduction.
Pourquoi une telle fébrilité ? Addicted est pourtant loin d’être le premier “Boy’s Love” (BL) tourné en mandarin. A Taïwan, l’homosexualité est souvent abordée dans les films, à la télévision et dans des courts métrages ou séries diffusés en ligne – des bluettes semblables à Addicted existent en outre en Thaïlande, en Corée du Sud ou au Japon, aisément accessibles à Taïwan grâce à leurs sous-titres chinois.
Mais à côté du réalisme, des scènes assez crues, de l’audace (la combinaison des prénoms des personnages forme le mot “héroïne” – la drogue) et de l’ambition d’Addicted, avec ses 15 épisodes et déjà une deuxième saison en préparation, les récentes productions taïwanaises du même genre – Happy Together ou encore Boy/Friend– ont tout d’un coup semblé bien fades.
Las ! C’était sans compter sur les censeurs pékinois ! “La Chine censure une série romantique gay”, titrait récemment Le Figaro, alors que Direct Matin détaillait les nouvelles règles de décence pesant sur la télévision chinoise.
On laissera les spécialistes de la Chine contemporaine décrire les luttes politiques qui conduisent au renforcement de la main-mise du parti communiste chinois sur la production audiovisuelle. Quoi qu’il en soit, au moment où la série Addicted disparaissait du web chinois, les fans taïwanais continuaient, comme le reste du monde, à y avoir accès sur YouTube.
La page Facebook regroupant les fans taïwanais de la série, déjà forte de près de 24 000 membres, est donc devenue un point de ralliement, des fans chinois s’informant même sur l’organisation de réunions de fans à Taïwan, celles prévues en Chine, à Shanghaï notamment, ayant été annulées une fois la censure prononcée. Beau retournement.
“On a de la chance de vivre à Taïwan”, a commenté un jeune Taïwanais sur cette page Facebook, et aucune “armée d’internautes” n’est cette fois venue du continent pour le démentir.
Le destin de la série suggère toutefois que, dans certains domaines au moins, le principal obstacle au “front uni” voulu par le parti communiste chinois est justement ce dernier.
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