Société
Témoin – Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

 

"Addicted" : "front uni" chinois et jeunes gays taïwanais

Les principaux acteurs de la série télévisée chinoise "Addicted"
Les principaux acteurs de la série télévisée chinoise Addicted. (Crédit : D.R.).

A la lumière du “mouvement des tournesols” surgi à Taïwan en 2014, Pékin a officiellement révisé en janvier 2015 sa politique de “front uni” et identifié la jeunesse comme l’une des cibles privilégiées des échanges entre les deux rives du détroit, avec bien sûr pour objectif plus ou moins lointain la “réunification de la Chine”.
Une promotion plus active, par Pékin, des opportunités d’emplois et de salaires qu’offre la Chine est par exemple venue compléter les traditionnels échanges proposés aux étudiants taïwanais – et dont l’efficacité reste d’ailleurs à prouver.

Mais la Chine compte aussi sur sa puissance culturelle (son soft power, diraient certains) pour favoriser un rapprochement entre les deux rives. Dans le domaine du divertissement, notamment télévisé, l’ascendant pris ces dernières années par les productions chinoises n’est pas passé inaperçu à Taïwan, au point d’inquiéter sur la capacité du secteur local de l’entertainment à rester pertinent face au grand voisin.

Depuis The Voice of China, avec ses juges et ses candidats taïwanais, jusqu’aux séries historiques où jouent de nombreux jeunes comédiens taïwanais, les programmes télévisés continentaux ont su attirer les talents, séduire le jeune public taïwanais et “ringardiser” les productions insulaires, là où, il y a quelques années encore, les talkshows taïwanais donnaient le “la”, y compris sur le continent, à l’image du célèbre Kang Xi Lai Le, définitivement stoppé l’an dernier.

La diffusion en ligne, en février, du premier épisode de la série chinoise Addicted (上癮), a confirmé – dans un genre inédit – ce pouvoir de séduction.

Série télévisée chinoise "Addicted"
La série télévisée chinoise Addicted. (Crédit : D.R.)
Contant l’histoire de deux frères adoptifs dont la relation prend un tour amoureux, la série a immédiatement séduit les jeunes gays taïwanais. Les vidéos de la série et les photos des acteurs sont devenues à ce point virales que certains ont rapidement pointé l’incapacité de la télévision taïwanaise à aborder de manière aussi directe un tel sujet. Alors que Taïwan accueille la plus grande Gay Pride de toute l’Asie, réfléchit à ouvrir le mariage aux couples homosexuels et offre, tout au moins dans la capitale, toute la gamme des lieux de sociabilité homosexuelle, c’est une production chinoise, et non taïwanaise, qui créait l’événement !

Pourquoi une telle fébrilité ? Addicted est pourtant loin d’être le premier “Boy’s Love” (BL) tourné en mandarin. A Taïwan, l’homosexualité est souvent abordée dans les films, à la télévision et dans des courts métrages ou séries diffusés en ligne – des bluettes semblables à Addicted existent en outre en Thaïlande, en Corée du Sud ou au Japon, aisément accessibles à Taïwan grâce à leurs sous-titres chinois.
Mais à côté du réalisme, des scènes assez crues, de l’audace (la combinaison des prénoms des personnages forme le mot “héroïne” – la drogue) et de l’ambition d’Addicted, avec ses 15 épisodes et déjà une deuxième saison en préparation, les récentes productions taïwanaises du même genre – Happy Together ou encore Boy/Friend– ont tout d’un coup semblé bien fades.

Las ! C’était sans compter sur les censeurs pékinois ! “La Chine censure une série romantique gay”, titrait récemment Le Figaro, alors que Direct Matin détaillait les nouvelles règles de décence pesant sur la télévision chinoise.

On laissera les spécialistes de la Chine contemporaine décrire les luttes politiques qui conduisent au renforcement de la main-mise du parti communiste chinois sur la production audiovisuelle. Quoi qu’il en soit, au moment où la série Addicted disparaissait du web chinois, les fans taïwanais continuaient, comme le reste du monde, à y avoir accès sur YouTube.
La page Facebook regroupant les fans taïwanais de la série, déjà forte de près de 24 000 membres, est donc devenue un point de ralliement, des fans chinois s’informant même sur l’organisation de réunions de fans à Taïwan, celles prévues en Chine, à Shanghaï notamment, ayant été annulées une fois la censure prononcée. Beau retournement.

“On a de la chance de vivre à Taïwan”, a commenté un jeune Taïwanais sur cette page Facebook, et aucune “armée d’internautes” n’est cette fois venue du continent pour le démentir.
L’accueil enthousiaste d’Addicted par le jeune public gay taïwanais montre – et c’est un exemple parmi d’autres – que les jeunesses chinoise et taïwanaise ont beaucoup en commun et pourraient trouver matière, sinon à rapprochement, tout au moins à conversation.

Le destin de la série suggère toutefois que, dans certains domaines au moins, le principal obstacle au “front uni” voulu par le parti communiste chinois est justement ce dernier.

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.
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