Lutte anticorruption à la chinoise
A peine arrivé au pouvoir, Xi Jinping s’est emparé de ce problème, notamment à l’occasion d’un discours prononcé à Beijing le 16 novembre 2012, dans lequel il note que ”de nombreux problèmes urgents […] doivent être résolus, notamment la corruption, la distance marquée avec le peuple, le formalisme et le bureaucratisme chez certains responsables du Parti”. En se plaçant au cœur de la lutte, l’Etat-parti répond aux attentes de l’opinion publique, mais s’assure dans le même temps le contrôle des informations pouvant filtrer sur les cas de corruption décelés, ce qui lui donne l’opportunité d’être au cœur du système, tout en dénonçant dans le même temps ses dérives. Il s’offre enfin et surtout un moyen de légitimer une lutte accrue contre les éléments jugés subversifs.
Dirigisme 2.0
La présidence de Xi Jinping, souvent pointée du doigt comme dirigiste, s’inscrit dans cette tendance. La raison de cette fermeté est assez simple : l’élite communiste chinoise est obsédée par l’idée de décadence. Un Etat fort, une police et une armée puissantes permettront, pense-t-on en haut lieu, d’échapper à une « féminisation de la société », en d’autres termes à ce qui est perçu comme la multiplication des signes de faiblesse. Ni Xi Jinping ni le commissaire politique du Département général de la logistique de l’Armée Populaire de libération Liu Yuan – fils de Liu Shaoqi, ancien président de la RPC de 1959 à 1968 et victime de la Révolution culturelle, tous deux très nationalistes et engagés contre la corruption, ne sont insensibles au spectre du déclin.
Des coupables sélectionnés
D’où les interrogations concernant les orientations prises par cette lutte contre la corruption. Si Xi Jinping a insisté sur le fait qu’il n’épargnerait « ni les tigres, ni les mouches », force est de constater que ce sont surtout les premiers, à savoir les personnalités les plus en vue – et potentiellement les plus encombrantes – qui semblent faire le plus les frais du renforcement des dispositifs de lutte contre la corruption. Bo Xilai, mais aussi les proches – on parle de plus de 300 personnes – de Zhou Yongkang en sont les exemples les plus significatifs.
Pour mémoire, nous rappelerons que Zhou Yongkang, l’un des principaux dirigeants chinois de ces dernières années, fut notamment responsable de la sécurité. C’est un ancien membre du Comité permanent du Bureau politique du PCC, avant son arrestation et son exclusion du Parti en décembre 2014. Le 11 juin 2015, il fut condamné à la prison à perpétuité pour « recel de corruption, abus de pouvoir et révélation intentionnelle de secrets d’État » par un tribunal de Tianjin, à l’issue d’un procès à huis-clos.
Cette campagne anticorruption ne se déroule pas que dans les milieux plitiques, puisqu’elle touche également les responsables de l’Armée Populaire de Libération – devenue à la faveur de ses augmentations capacitaires une rente de situation pour certains de ses membres –, comme les généraux Guo Boxiong et Xu Caihou, et dans leur sillage plusieurs dizaines d’officiers supérieurs. Sans doute les accusations de corruption sont-elles justifiées pour ces personnages, mais en éliminant ces cadres, ce sont aussi et peut-être surtout des rivaux réels ou potentiels que Xi Jinping met à genoux, avec la complicité supposée de ses prédécesseurs Jiang Zemin et Hu Jintao, et de l’ancien Premier ministre Wen Jiabao (dont la fortune est avérée) mais qui ne semblent pas inquiétés. Difficile pour ces raisons de ne pas voir dans le ciblage de certains « tigres » une opportunité de faire le vide au sein de l’appareil politique.
Dans la Chine contemporaine, la chasse à la corruption est donc de nature polysémique. Elle vise, sur le plan idéologique notamment, des cadres ou dissidents qui s’opposent à la politique de Xi Jinping, soit dans un intérêt oligarchique pour les premiers, soit par un attachement au libéralisme politique pour les seconds. Elle est également une pratique de positionnement tactique voire plus lointainement stratégique, et avec un objectif final : sauver le Parti d’une crise de corruption majeure qui pourrait entraîner dans sa chute l’équipe dirigeante. Cette finalité recouvre des priorités qui dépassent de loin les seules frontières de la Chine et revêt une dimension planétaire, comme l’illustre l’exemple africain. Toutefois, on peut sérieusement douter de son efficacité dans la mesure où les structures de l’État se confondent avec celles du Parti ainsi que le note Jean Pierre Cabestan dans son ouvrage Le système politique chinois. Un nouvel équilibre autoritaire (Paris, Presses de Sciences Po, 2014). Autrement dit, la corruption est inhérente au “système clientéliste chinois” – comme le définit la chercheure Stéphanie Balme dans le livre issu de sa thèse Entre soi. L’élite du pouvoir dans la Chine contemporaine (Paris, Fayard, 2004) – et est prompte à s’engendrer d’elle-même, logique que nourrit l’absence de séparation entre les pouvoirs.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don