Société
Témoin – Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

L’été itinérant d’un étudiant taïwanais

Howard, étudiant en mandarin langue étrangère, attend sa convocation pour le service militaire. (Copyright : Pierre-Yves Baudry)
Howard, étudiant en mandarin langue étrangère, attend sa convocation pour le service militaire. (Copyright : Hward Hsu)
Howard attend sa convocation pour le service militaire. Le jeune étudiant se pose des questions même s’il a de quoi être serein. Comme tous ceux nés en 1994, il n’aura à servir sous les drapeaux, dans son cas au sein de l’armée de l’Air, que pendant quatre mois, contre dix mois pour les jeunes hommes nés les années précédentes – une conséquence de la professionnalisation des armées impulsée par le président Ma Ying-jeou [馬英九]. Sa licence d’enseignement du mandarin langue étrangère empochée en juin, il regrette toutefois de ne pouvoir rien prévoir pour les mois qui viennent. « Je serai sans doute appelé en novembre, mais ce n’est pas sûr. » En attendant, il va partir sur l’île Verte – une île située au large de la côte orientale de Taïwan – pour rendre des services dans une maison d’hôtes en échange d’un hébergement gratuit. « J’ai rendu ma chambre à Taipei et cela m’oblige à rester dans ma famille à Hsinchu. Au moins, à l’île Verte, je pourrai m’initier à la plongée. »
Rares sont les pays en Asie à maintenir la conscription obligatoire. Les trois ans de service militaire en Corée du Sud ou les deux ans à Singapour et la loterie en Thaïlande font ainsi figures d’exception. Selon la CIA, la jeunesse est forcée de porter le treillis dans six pays seulement. A Taïwan, la promesse d’une professionnalisation de l’armée d’ici à 2015 engagée par le président Ma Ying-jeou a fait débat. Pour l’instant, les jeunes nés après le 1er janvier 1994 sont tenus d’observer quatre mois de service au lieu de dix précédemment.
Si comme dans la plupart des pays, les jeunes gens ne sautent pas de joie à l’idée de participer à l’effort de défense, certains comme Howard se posent des questions : « Bien sûr, de manière égoïste, je préfère ne faire que quatre mois, explique-t-il, et beaucoup de gens pensent de toute façon que le service national est une perte de temps. Mais pour le pays, je trouve que cela n’a pas de sens. En quatre mois, on ne peut pas recevoir un entraînement approfondi. Mes amis à Singapour effectuent deux années de service militaire et sont ensuite rappelés tous les ans. A Taïwan, cela change tout le temps. » Or Taïwan est toujours considérée comme une province rebelle par Pékin, et la Chine continentale continue de braquer ses missiles sur l’île. Sauf qu’heureusement, comme le confiait en 2013 un jeune Taïwanais à la BBC, s’il y a menace chinoise elle est surtout économique : « La Chine n’a pas besoin de missiles pour nous envahir, elle n’a besoin que de l’économie. »

« Camps d’été » en Chine continentale

Avant l’île Verte, au mois de juillet, Howard a participé à un échange organisé par l’Université de Nankin, en Chine. Le « camp d’été » rassemblait des étudiants américains, malaisiens, hongkongais ou encore taïwanais, tous « d’origine chinoise ». « Ce que je peux dire, c’est que le gouvernement chinois est riche. Ils ont dépensé beaucoup d’argent pour ce séjour et la table était toujours garnie de très nombreux plats. » D’une durée de douze jours, le programme visait à familiariser ces jeunes avec la culture chinoise et l’histoire de Nankin, avec bien sûr la visite du Mémorial du massacre de Nankin et de sites historiques, mais aussi la découverte d’entreprises locales. « Ce programme voulait que l’on se sente les bienvenus en Chine mais les professeurs et les guides n’avaient pas grand-chose dans la tête. L’ensemble était assez mal préparé et les étudiants chinois qui nous accueillaient étaient très passifs, constate-t-il. Lors de la soirée d’adieu, une chose incongrue s’est produite. Des jeux étaient organisés autour d’un feu de camp et les perdants avaient droit à un gage. Un étudiant chinois ayant suivi un cursus d’un an à Taïwan a alors demandé à une étudiante taïwanaise de chanter en gage l’hymne national de la République de Chine [autre nom de Taïwan, NDLR]. Elle a essayé mais c’était bizarre, et quelqu’un a vite changé de sujet. »
Après le service national, Howard envisage de revenir à Taipei pour quelque temps, histoire de trouver un job d’appoint et de préparer le test d’anglais TOEFL. « Ceux qui réussissent ce test ont de meilleurs salaires », assure-t-il. Pour autant, il ne prévoit pas de rester dans l’île ni même d’enseigner le mandarin à l’étranger. « Je ne veux pas enseigner le mandarin. A Taïwan, il y a déjà trop de profs de chinois et pour enseigner à l’étranger, mieux vaut disposer d’une double nationalité car il est difficile d’obtenir un visa de travail. J’ai eu la chance d’entrer à l’Université nationale normale de Taïwan [NTNU, aussi connue sous le diminutif de Shida, NDLA] et ,bien sûr, l’université nous aide à trouver des stages à l’étranger mais il est très rare que ces stages débouchent sur une embauche : les instituts de langues préfèrent recruter de nouveaux stagiaires. »
Howard prêt à prendre sa valise afin de poursuivre ses études ou travailler à l’étranger. (Copyright : Pierre Yves-Baubry)
Howard prêt à prendre sa valise afin de poursuivre ses études ou travailler à l’étranger. (Copyright : Howard Hsu)

Rêve d’études ou d’un travail à l’étranger

Alors, le grand rêve de Howard est de poursuivre ses études ou de travailler à l’étranger, à Singapour, aux Etats-Unis ou éventuellement en Chine, dans un tout autre domaine. « Ma passion, c’est le fitness et, pour commencer, j’espère trouver un stage chez une enseigne de fitness ou une grande marque d’articles de sport. Ici, tout le monde me conseille de travailler d’abord pendant deux ans à Taïwan avant d’entreprendre un master à l’étranger puis de revenir en espérant un meilleur salaire. Bref, de gravir un à un les échelons. Mais parmi ceux qui me conseillent cela, certains qui viennent d’une famille aisée ont pourtant poursuivi leurs études à l’étranger aussitôt leur service national et directement décroché de bons postes. »
« Ma famille ne veut pas que je parte à l’étranger, admet-il. Mais ils ne pourront pas m’arrêter. Ce sont mes grands-parents qui m’ont élevé et je comprends qu’ils veuillent que je reste. Ils ont peur de se sentir seuls. En fait, personne dans ma famille n’a fait de longues études, donc ils voudraient juste que je soit normal. Mais je ne me suis jamais senti normal », conclut-il dans un éclat de rire.

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.
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