Société
Témoin – Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

Jeunes Taïwanais à l’air libre

La pratique du surf est en progression constante, comme ici à Yilan dans le nord-est de Taïwan. (Copyright : district de Yilan)
La pratique du surf est en progression constante, comme ici à Yilan dans le nord-est de Taïwan. (Copyright : district de Yilan)
Bains de mer, surf, pique-nique, camping, randonnée… Les activités de plein-air sont de plus en plus prisées des jeunes Taïwanais. Une popularité qui reflète une mondialisation des formes de loisirs mais contribue aussi à modeler le rapport des Taïwanais à leur île.
Avec sa coupe au bol, ses larges lunettes, sa guitare à la main et son indécrottable bermuda, le chanteur taïwanais Crowd Lu (盧廣仲), 31 ans, incarne plus que nul autre l’éternel étudiant. Dans le clip (sponsorisé par une marque de vêtements de sport) illustrant son dernier titre en date, 7 jours de 24 h, il déambule à travers Taïwan, pris en stop par un surfer qui l’emmène vers les plages de la côte orientale, à l’arrière d’une camionnette traversant des petits villages, passant du train au bus, s’arrêtant dans un petit café, serpentant à scooter entre les rizières, ou sur un vélo dans les rues de Taipei. Placement de produits mis à part, le clip semble un condensé des rêves de déambulation de la jeunesse taïwanaise.

Se laisser dorer sur la plage, poser sa tente dans un coin de nature ou dans un camping aménagé, partir en randonnée… Toutes ces activités ont connu en Europe et en Amérique du Nord un développement continu depuis la fin du XIXe siècle, portées par les mouvements hygiénistes, naturistes ou bien encore scouts, puis par l’avènement des congés payés et du tourisme de masse. A Taïwan, ces loisirs de plein-air sont essentiellement des nouveautés, popularisés au cours des 20 ou 30 dernières années, et pour certains tout récemment. Ils participent d’une diffusion mondialisée des loisirs et d’un certain « art de vivre », font écho à de nouveaux « rites de passage » et traduisent l’appropriation de l’île par sa jeunesse.

A voir, le clip de Crowd Lu, 7 jours de 24 h, :

La plage

Taïwan est une île mais son littoral a longtemps en partie échappé à ses habitants. En effet, jusqu’à la levée de la loi martiale en 1987, de larges portions de la côte étaient interdites d’accès pour des raisons militaires. Même au début des années 1990, il n’était pas rare de se voir interdire l’entrée d’une plage par une patrouille de soldats. Une grande partie du littoral est en outre peu propice à la baignade, soit à cause du développement industriel sur la côte ouest, soit en raison de la violence des courants sur la côte est, là où les hauts pics de l’île plongent dans le Pacifique.

Qui plus est, encore peu de Taïwanais savent nager – au milieu des années 2000, seuls 4% des élèves suivaient des cours de natation dans le cadre scolaire, une proportion qui a heureusement augmenté depuis. Avec l’ouverture des plages au public dans les années 1990, les décès par noyade ont monté en flèche, contribuant à associer dans l’imaginaire collectif la plage avec les dangers de l’océan. En 2005, selon le ministère de l’Éducation, 80 jeunes Taïwanais sont morts noyés, chiffre qui n’a cessé de baisser depuis, avec 21 décès enregistrés en 2016. Cela dit, le taux de mortalité par noyade chez les jeunes reste à Taïwan près du double de l’Australie ou du Japon.

Pour les jeunes Taïwanais, la plage est fortement associée à certains rites de passage, comme les voyages de fin d’études entre étudiants, en particulier dans la station balnéaire de Kenting, à la pointe sud. Au fil des ans, ce loisir est toutefois devenu commun, du printemps jusqu’à l’automne, le long de la côte nord de l’île, près de Taipei, ou dans les archipels au large, comme à Penghu.

Le surf

Apparu de manière confidentielle à Taïwan dès les années 1960, à Daxi près de Yilan, le surf a lui aussi connu un fort développement depuis la levée de la loi martiale, avec l’éclosion d’une véritable filière avec ses instructeurs, magasins et médias spécialisés, tendance confortée par la venue de surfers japonais ou occidentaux. Ces dernières années, l’engouement s’est confirmé, et les plages les plus connues du nord-est de l’île, comme à Toucheng, sont bien souvent prises d’assaut. Restent les petits villages et leurs criques désertes, ou encore les spots de la côte sud-est, entre Hualien et Kenting. C’est d’ailleurs près de Taitung qu’est organisé l’Open international de surf de Taïwan, désormais inclus dans le circuit mondial.

Les pique-niques

Il y a encore quelques années, une proposition de piquenique suscitait l’étonnement : quelle idée saugrenue d’aller déjeuner loin du confortable air climatisé des restaurants ? Et qu’allait-on bien pouvoir faire assis tout un après-midi sans activités organisées à l’avance ? Avec l’aménagement de parcs urbains – les parcs sur berges et celui de Da’an à Taipei, le parc d’été à Taichung, face au nouvel opéra, ou encore le parc central à Kaohsiung, pour ne citer que les plus grandes agglomérations -, piqueniquer est devenu, en quelques années, un must pour les jeunes citadins. L’activité a été promue par des magazines de mode, des chaînes câblées internationales (comme TLC), les marques de lifestyle (vente de sets de pique-nique à la clé) et rapidement relayée par les municipalités. Le déjeuner sur l’herbe s’organise désormais jusqu’à Pingtung, le district le plus méridional de l’île.
Incongru il y a encore quelques années, pique-niquer dans un parc public est aujourd'hui un loisir apprécié. (Copyright : municipalité de Taipei)
Incongru il y a encore quelques années, pique-niquer dans un parc public est aujourd'hui un loisir apprécié. (Copyright : municipalité de Taipei)

Camping

Dernier venu dans cette conquête des espaces verts, le camping était jusqu’à des temps très récents tout à fait confidentiel à Taïwan, pratiqué en pleine nature par une poignée de randonneurs ou par des citadins n’ayant à leur disposition qu’un ou deux terrains aménagés sur toute l’île. Aujourd’hui, le camping a, pour ainsi dire, pignon sur rue. Des espaces dédiés ont été aménagés sur toute la côte est, mais aussi dans des coins champêtres proches des grandes agglomérations. Un magazine lui est consacré. Les boutiques équipant les randonneurs renouvellent leur clientèle, et des marques européennes comme Nordisk ou Decathlon exploitent le filon.
Le camping, nouveau loisir de plein-air des jeunes urbains taïwanais. (Copyright : Roger Tsai)
Le camping, nouveau loisir de plein-air des jeunes urbains taïwanais. (Copyright : Roger Tsai)

Tour de l’île

Si l’introduction d’un certain « art de vivre » couplé aux loisirs de plein-air est largement liée au degré de développement économique atteint par Taïwan, à la promotion effectuée par des marques et des médias, ainsi qu’aux exemples importés des cultures étrangères, l’attrait pour le plein-air a aussi des caractéristiques bien locales. En particulier, faire le tour de l’île à pied, en vélo ou à scooter, est devenu une véritable tradition parmi les étudiants. Comme l’a souligné Michael Turton dans un article publié en 2016 par Ketagalan Media, « à travers ces activités, les jeunes Taïwanais inscrivent la géographie de leur île dans l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, comme un territoire connu qui fait partie de leur identité ».

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.