Société
Témoin - Siau-Lian-Liang, être jeune à Taïwan

Taïwan : l'autochtone qui rêvait de retourner dans sa tribu

Dongi Hamu a passé l'été dans sa tribu, où elle rêve d'ouvrir une auberge. (Crédit : Dongi Hamu).
Dongi Hamu a passé l'été dans sa tribu, où elle rêve d'ouvrir une auberge. (Crédit : Dongi Hamu).
Dongi Hamu, 27 ans, est une jeune aborigène Amis qui vit à Taïpei mais rêve de s’installer dans le village de ses ancêtres, près de Hualien, sur la côte orientale de Taïwan, pour y ouvrir une auberge. S’efforçant de renouer avec ses racines, elle doit toutefois compter avec la réalité du marché de l’emploi.
« Depuis la fin de mes études et jusqu’en juin dernier, je travaillais à la régie des programmes d’information de la chaîne de télévision TVBS, confie Dongi Hamu. J’ai ensuite passé l’été dans le district de Hualien, dans le village de Sado à Guangfu, là où vit ma famille et où je comptais chercher du travail. Une fois sur place, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas vraiment d’offres d’emploi, à part peut-être au 7-Eleven [un magasin de proximité], mais bon le 7-Eleven, vraiment je me suis dit que ce n’était pas possible… »

« Mon rêve, c’est d’ouvrir une auberge à Sado. Il y a bien des auberges ou des chambres d’hôtes dans la région mais cela ne me dit rien de travailler pour elles car leurs propriétaires sont avant tout intéressés par gagner de l’argent. Moi, j’ai envie d’ouvrir une auberge à côté de notre maison et de proposer aux clients de découvrir nos traditions, par exemple en les emmenant pêcher au filet dans les rivières [il s’agit d’une technique de pêche traditionnelle des Amis], poursuit-elle. J’imagine que je pourrais aussi en partie choisir mes clients et accueillir en priorité ceux qui veulent vraiment découvrir la vie locale. »

Dongi Hamu (au centre) avec ses cousines et amies, en tenue traditionnelle amis à l'occasion de la fête des moissons.
Dongi Hamu (au centre) avec ses cousines et amies, en tenue traditionnelle amis à l'occasion de la fête des moissons. (Crédit : Dongi Hamu).
Pour autant, peut-elle oublier les réalités du marché ? « Donc, à la fin de l’été, après deux mois de réflexion, j’ai décidé de retourner à Taïpei. J’aime vraiment mon village, mais pour l’instant, ce n’est pas possible d’y vivre. Que faire ? J’ai travaillé longtemps à TVBS mais il n’y avait pas d’évolution possible. Je n’étais pas non plus en situation de proposer des sujets ayant davantage d’intérêt que ceux, souvent des faits divers, qui passaient à l’antenne. A TVBS, les sujets sont sélectionnés en fonction de leur potentiel d’audimat, et donc de recettes publicitaires. Et cela aurait sans doute été la même chose dans une autre chaîne de télévision… »

Dongi Hamu se décide donc à « prendre le taureau par les cornes » et à changer de secteur d’activité. « Mon grand frère travaille pour une compagnie d’assurance depuis quelques années et j’ai vu comment sa situation personnelle a changé du tout au tout. Je voudrais faire comme lui et, après quatre ou cinq ans, avoir économisé suffisamment pour pouvoir ouvrir mon auberge au village. Début octobre, j’ai donc commencé à travailler pour la même compagnie d’assurance. »

Pour autant, la question est d’importance : pourquoi veut-elle ouvrir une auberge dans le village de Sado ? « J’habite à Taïpei depuis longtemps, depuis mes 15 ans et mon entrée au lycée. Mais avant cela, je ne vivais pas à Hualien : mes parents ont très tôt quitté leur village respectif et sont partis travailler à Taïpei où ils se sont rencontrés, avant de déménager à Changhua [une ville industrielle de la côte occidentale de Taiwan, près de Taichung]. Petite, j’ai donc vécu entre Changhua et Taichung. Nous ne rentrions à Hualien qu’un ou deux jours par-ci, par-là, pour le Nouvel An ou pour l’Ilisin [la fête des moissons chez les Amis]. Quand j’étais étudiante, mes parents sont retournés vivre dans le village natal de mon père, auprès de mes grands-parents. Je n’ai jamais vraiment vécu là-bas mais j’aimerais vraiment m’installer dans ma tribu. Être en famille, vivre au milieu de ma tribu, ce serait une meilleure vie pour moi. »

Ce « retour aux sources » ne doit pourtant pas être mal interprété prévient-elle. « La vie à Taïpei est agréable et pratique mais ce n’est pas « chez moi ». Mes parents sont retournés vivre au village quand ils avaient entre 40 et 50 ans. Moi j’ai 27 ans et j’ai déjà envie de m’y installer et d’y travailler. Depuis mes 20 ans environ, j’y retourne plus régulièrement. Grâce à mon père, j’ai appris à reconnaître les plantes, les légumes… Le village abrite environ une centaine de foyers. Les habitants sont surtout des personnes âgées et il y a aussi pas mal d’enfants : les parents sont partis travailler à la ville et ont laissé les enfants en garde aux grands-parents, tout en leur envoyant chaque mois de l’argent. Il y a donc peu de jeunes, et peu de bras pour aider à déblayer ou réparer quand les typhons, nombreux dans cette région, frappent le village. »

A Sado, pendant l'"Isilin", la fête des moissons, tout le village est rassemblé, y compris les jeunes qui vivent au loin.
A Sado, pendant l'"Isilin", la fête des moissons, tout le village est rassemblé, y compris les jeunes qui vivent au loin. (Crédit : Dongi Hamu)
« Chaque année, tout le village est rassemblé pour l’Ilisin, la fête des moissons, lors de laquelle tout le monde porte les habits traditionnels. Tous les Amis de Taïwan célèbrent cette fête, en commençant en juillet par ceux du sud de Taïwan, où les récoltes avaient autrefois lieu plus tôt en raison du climat plus chaud, et en remontant ensuite vers le nord. Cette année, dans mon village, l’Ilisin a débuté le 8 août et a duré trois jours en tout. Aujourd’hui, on ne moissonne plus à la main mais la tradition est restée. Cela ressemble à notre Nouvel An [Dongi Hamu dit « notre » Nouvel An, en référence au Nouvel An lunaire célébré selon la tradition chinoise]. Tout le monde revient dans la tribu, même ceux qui habitent à l’étranger. On a plaisir à se retrouver. »

« A Taïpei, des activités sont organisées par le département des peuples autochtones, surtout des manifestations sportives qui ont lieu le week-end avec des sports traditionnels au programme. J’y vais rarement car je ne connais presque personne. Ce n’est pas non plus la même atmosphère que dans ma tribu, mais cela dit, c’est bien que cela existe. »

« Je parle mal la langue amis et j’ai du mal à communiquer avec ma grand-mère qui, elle, parle assez mal le mandarin. Mais pourquoi cela serait-ce à elle d’apprendre ma langue ? J’ai donc commencé à suivre des cours d’amis à Taïpei. Cela dit, du nord au sud de Taiwan, et même de Hualien à Taitung, cette langue n’est pas parlée de la même façon, même si son système de romanisation est unifié. Ce qu’on apprend en cours dépend donc aussi du village d’origine du professeur. »

« Dans ma famille, j’ai été la première à utiliser mon nom amis et à l’afficher sur Facebook. Vivant à Taïpei, je ne voulais pas oublier d’où je venais. Ensuite, j’ai encouragé mes cousins, cousines et amis à faire la même chose. Mon nom est Dongi. Dans la tribu, d’autres filles portent le même nom, donc pour savoir qui est qui, l’habitude est de faire suivre son nom du nom de sa mère (les garçons font suivre leur nom du nom de leur père). Ma mère est une Amis également mais elle n’a plus de lien avec sa famille ni avec sa tribu. Elle n’a pas non plus de nom amis, alors je fais suivre le mien du nom de mon père, Hamu. »

« Mon petit ami vient de Taitung. Il est Paiwan [les Paiwan sont un autre peuple autochtone de Taïwan]. Si nous avons des enfants, j’espère qu’ils pourront grandir dans l’une de nos deux tribus, sans tablette numérique, sans smartphone, en apprenant à connaître leurs cultures maternelle et paternelle. »

Le 1er août dernier, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a présenté au nom de l’Etat des excuses officielles pour les mauvais traitements et discriminations subis depuis des siècles par les peuples autochtones de Taïwan.
Voici ce qu’en pense Dongi Hamu : « On peut bien sûr discuter des détails de sa déclaration, se demander si elle est allée assez loin, mais je trouve sa démarche très positive : avant elle, aucun président n’avait présenté d’excuses officielles. Certains aborigènes voudraient rejeter complètement les Han mais aujourd’hui, Taïwan, c’est un mélange. Tsai Ing-wen elle-même est au quart aborigène. Je ne veux pas non plus entendre parler de “réunification avec la Chine”. L’important, c’est notre terre, c’est ici. »
Propos recueillis par Pierre-Yves Baubry

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.